L’embellie économique qui pointe son nez sera-t-elle suffisante (et assez rapide) pour sauver François Hollande ? <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, accompagné du patron de Renault, Carlos Goshn.
François Hollande et son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, accompagné du patron de Renault, Carlos Goshn.
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Soleil d'hiver

2015 pourrait être l'année de la reprise économique, comme en témoigne la création par Renault d'un millier de CDI. Néanmoins, la perception de la crise étant toujours palpable, il n'est pas sûr que l’exécutif en profite, à l'instar de Barack Obama qui a perdu il y a quelques mois les élections, avec un bilan pourtant beaucoup plus favorable que celui du Président français actuellement.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Renault, entreprise jusque-là symbole d'une industrie française en souffrance, a annoncé un triplement de ses bénéfices et l'embauche en 2015 de 1000 CDI. Quels sont précisément les facteurs qui ont contribué à ce redressement ? 

Alexandre Delaigue : Sur le secteur automobile, il y a tout d'abord le bénéfice de la baisse du prix des carburants, même si cela joue surtout sur les gammes plus élevées (les gens préfèrent acheter une plus grosse cylindrée quand les prix de l'essence baissent). L'automobile est un secteur cyclique : en période de crise économique, les gens préfèrent faire durer leur voiture un an de plus, et les ventes s'effondrent rapidement même quand l'offre est de qualité. Dernier point : la chute libre des taux d'intérêt, indépendamment d'ailleurs du quantitative easing. Et vu la quantitié de véhicules achetés à crédit, cela booste naturellement le secteur automobile. La configuration est donc optimale actuellement pour ce secteur, et à Renault en particulier. Je pense par contre qu'il est encore trop tôt pour juger réellement de l'impact de la baisse de l'euro. Le pacte de compétitivité enfin a sans doute joué un rôle, car une entreprise comme Renault fait typiquement partie des destinataires de ce genre de mesures.  

Jean-Pierre Corniou : Un redressement industriel dépend de multiples facteurs intrinsèques – stratégie produits, productivité – et exogènes – croissance des marchés, évolutions politiques, prix de l’énergie - . Mais dans tous les cas les évolutions structurelles nécessitent du temps.  Dans le cas de Renault, il serait inexact de dire que l’entreprise n’a pas réagi aux difficultés conjoncturelles puisque beaucoup de mesures de productivité et de réduction des coûts ont accompagné ce redressement.  Mais Renault bénéficie également de l’impact de décisions stratégiques de long terme qui lui donnent une structure plus robuste que ses concurrents généralistes.

Cependant Renault souffre toujours de quelques handicaps structurels qu’il est  difficile de corriger sur le court terme. La marque est absente des Etats-Unis, dont le marché automobile est actuellement florissant, et ses débuts tardifs en Chine avec la mise en service de sa nouvelle usine en coopération avec Dong Feng  se feront en 2015 dans un marché tendu et très concurrentiel. Renault qui réussit très bien en entrée de gamme et pour les petits véhicules n’a pas réussi son retour en haut de gamme avec le double échec de Vel Satis et Avantime, et les palliatifs mis en en oeuvre comme Latitude ont eu des résultats anecdotiques. Seul le lancement d’une nouvelle génération d’Espace, désormais grand cross-over plutôt que monospace, porte les ambitions de Renault en haut de gamme avec beaucoup de risques tant les marques premium, allemandes mais aussi britanniques, occupent ce terrain avec beaucoup de talent.

L'annonce de Renault offre une occasion au gouvernement de montrer que sa politique a des effets. Ces derniers pourraient-ils être suffisants pour inverser la donne économique d'ici 2017 ? Quels sont les autres secteurs économiques, outre l'automobile, qui peuvent bénéficier de ce contexte favorable avec bénéfices et emplois à la clef ? Ce contexte peut-il amorcer un vrai retour vers l'emploi, par exemple d'ici 2017 comme semble l'espérer l'exécutif ?

Alexandre Delaigue : Un facteur favorable que l'on oublie souvent, et sans doute plus impactant que le quantitative easing qui ne commence que maintenant, c'est les stress tests que les banques ont passé en décembre. Avant ces tests, les banques n'avaient pas trop intérêt à laisser filer leur encours de crédit. Or, depuis décembre, les banques savent où elles en sont, et on a observé une hausse des crédits octroyés. Cela profite automatiquement aux secteurs des biens durables, qui peuvent également bénéficier du sentiment d'enrichissement des consommateurs générés par la baisse des prix du carburants. 

Je ne serai pas surpris en tout cas que la fameuse stabilisation tant attendue arrive enfin en 2015. C'est effectivement probable. Mais il s'agit d'un contexte très favorable. Le prix des carburants s'est effondré d'un coup, il peut remonter à la même vitesse. La baisse de l'euro peut s'interrompre et repartir aussitôt à la hausse. Et la tendance budgétaire dans la zone euro reste orienté vers l'austérité. Il ne faut donc pas s'imaginer que beaucoup d'effets positifs vont être générés, et ils risquent de ne pas être durables. 

Jean-Pierre Corniou : N’en déplaise aux gouvernants, la vie des entreprises dépend de multiples facteurs extérieurs à la sphère de la responsabilité politique. La situation de Renault n’est pas transposable aux autres secteurs industriels, qui ont chacun leur logique propre. Il est certain que plusieurs secteurs vont bénéficier de la baisse du coût du pétrole, comme les transports ou la chimie, mais d’autres vont en souffrir durement, comme Total. Il serait vraiment prématuré de voir dans les perspectives économiques plus favorables de 2015 une perspective de réduction sensible du chômage massif structurel que subit la France. 

François Hollande peut-il se servir de cette bonne conjoncture économique comme argument pour 2017, et saper ainsi les efforts de l'opposition, dans un contexte où le Président apparaît de plus en plus comme un rassembleur dans son camp ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, la conjoncture devrait en principe profiter à François Hollande. Mais il ne faut pas qu'il s'illusionne sur la qualité des chiffres. Le chômage va sans doute se stabiliser, mais les chiffres ne rendent pas compte de la situation de l'emploi telle qu'elle est vécue par les Français. Il est d'ailleurs arrivé la même chose à Lionel Jospin en 2002 : il était persuadé d'avoir un bon bilan, mais les Français n'ont pas ressenti de changement radical dans le marché de l'emploi. Les Français attendent des CDI, et le sentiment que le retour de l'emploi réponde d'une dynamique inscrite durablement. 

A moins que l'on constate une reprise miraculeuse, François Hollande aura donc du mal à en profiter. Mais on voit mal comment – en temps de paix et sur la durée qui nous sépare de 2017 – on pourrait voir un mouvement de mobilisation de la main d'oeuvre, résolvant ainsi un problème pour lequel on ne trouve aucune solution depuis 1974. D'ailleurs Barack Obama a perdu des élections à mi-mandat malgré un taux de chômage en baisse. N'oublions pas que Barack Obama a perdu les élections mid-term aux Etats-Unis malgré une croissance que nous ne pouvons qu'envier. Le marché de l'emploi est loin de s'être rétabli pour les classes moyennes.

Y a-t-il un risque que cette conjoncture favorable n'encourage plus à faire des réformes structurelles – que l'exécutif n'était déjà guère incité à faire ? 

Alexandre Delaigue : Ce n'est pas un scénario qui me paraît très plausible car il reste une contraite forte : celle de l'Union européenne. Pour l'instant, le seul facteur qui permet de faire accepter à l'UE le dépassement de nos obligations budgétaires, c'est justement le volontarisme apparent sur la question des réformes structurelles, avec en fer de lance la loi Macron. Et il faut pas s'imaginer que la conjoncture d'événements favorables va redresser très fortement les comptes publics. La pression va donc continuer à s'exercer pour poursuivre les réformes, dont on peut discuter de l'efficacité. 

Christophe Bouillaud : La seule chose qui fera repousser ou non les réformes structurelles, c'est la pression européenne. Si elle devient moindre, le gouvernement ne se sentira pas obliger de se lancer dans ces réformes. Et je pense d'ailleurs qu'elles vont devenir moindre quand on voit la position actuelle de la Commission européenne, qui prétend maintenant que la France est "en règle"... Mais le recul des réformes structurelles ne viendra pas du gain pour l'emploi du bon contexte actuel. 

Un retour à de bons résultats est certes une bonne nouvelle pour les entreprises. Cependant, la situation pourrait-elle désinciter les entreprises à engager leur transition industrielle ? 

Jean-Pierre Corniou : Nous sommes loin d’avoir réalisé en France la mutation économique dont le pays a besoin pour recréer des emplois. Des facteurs positifs comme la baisse du prix du pétrole et l’allégement des charges qui va avoir plein effet en 2015 vont certes aider la trésorerie des entreprises. Mais les fondamentaux économiques sont persistants. La compétition se joue sur la valeur réelle des produits et des marques mais aussi sur l’image qui prend beaucoup de temps à faire évoluer. L’industrie ne représente plus que 9% du PIB de la France.Or recréer de l’activité industrielle suppose la reconstitution d’un tissu industriel qui dans de nombreuses régions a été déchiré. Le succès des start-up françaises ne touche que quelques dizaines de milliers d’emplois. On voit bien avec l’exemple de Mory Transports qu’on ne reconstruit pas les entreprises par la simple volonté politique.

Le travail des dirigeants d’entreprise est plus que jamais de continuer à investir dans les nouvelles technologies, à concrétiser une ambition mondiale et à porter au plus haut niveau les compétences de leurs équipes. Le temps n’est certes pas venu de pavoiser et de ralentir l’effort structurel. 

Alexandre Delaigue : Le problème, c'est que les anticipations des entreprises ne sont pas très optimistes. Elles voient que la conjoncture est meilleure, mais elles pensent que ce n'est sans doute que temporaire et que la demande va replonger de nouveau. Elles utilisent donc les ressources actuellement collectées pour reconstituer leurs réserves. Mais elles ne se projettent pas dans des investissements. Pour faire une comparaison, elles se sentent dans la position de quelqu'un qui trouverait au hasard dans la rue un billet de 100 euros... Il faudrait vraiment une croissance auto-entretenue qui se maintienne dans la durée pour avoir une vraie amélioration. Et on en est encore loin, nous sommes aujourd'hui purement dans du conjoncturel. Bien sûr on ne va pas se plaindre ! Mais même aux Etats-Unis, on ne peut pas avoir de certitude de la durabilité d'une reprise, qui est dure déjà depuis bien plus longtremps qu'en France. 

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