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Pourquoi le procès de masse sans précédent fait aux Frères musulmans est un pari risqué.
Pourquoi le procès de masse sans précédent fait aux Frères musulmans est un pari risqué.
©REUTERS/Amr Abdallah Dalsh

Le Caire : No Care

Depuis le renversement du gouvernement Morsi en 2013, la justice égyptienne a organisé des procès de masse visant principalement les Frères musulmans, et si les Nations unies les condamnent fermement, les gouvernements occidentaux restent très silencieux.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : La condamnation à mort lundi 9 février de 183 partisans des Frères musulmans, accusés d'avoir participé au meurtre de 13 policiers, a été qualifiée de procès de masse par les Nations unies. Quel sort le régime du maréchal Al-Sissi réserve-t-il concrètement aux Frères musulmans et à leurs partisans ?

Frédéric Encel : Disons qu'à partir d'un certain nombre de prévenus puis de condamnés, oui, on peut parler de procès de masse ! C'est le cas ici, et il ne s'agit pas d'une première : depuis la chute du pouvoir dominé par les Frères musulmans, en juillet 2013, plusieurs procès de cette envergure se sont déjà tenus. Et tout indique que le régime d'Al Sissi compte bien en poursuivre le rythme et la nature. Très concrètement, la confrérie a été déclarée hors la loi. Sous nos cieux français, on parlerait de dissolution, avec en l'occurrence une dimension aggravante et infamante : l'accusation de terrorisme. Or, cette qualification n'est pas que juridique, elle revêt aussi et surtout un aspect moral et psychologique, destinée qu'elle est au grand public. Car souvenons-nous que l'opinion a été échaudée par l'atmosphère d'insécurité puis de chaos qui aura régné durant la courte année de pouvoir Morsi. Des églises coptes sautaient, les salafistes alliés au Parlement aux Frères faisaient ici et là - notamment en Haute Egypte - régner la terreur islamiste dans les rues, et des djihadistes provenant de la bande de Gaza abattaient des soldats égyptiens en prière dans le Sinaï ! 

Aussi le maréchal Al-Sissi, bien que très conservateur lui-même, a-t-il décidé de frapper fort son principal rival politique, en jouant sur cette exaspération sécuritaire de la population. On ajoutera qu'il bénéficie du soutien du patronat mais aussi des classes moyennes supérieures et d'autres couches de la population détestant non seulement le désordre mais aussi les islamistes, tout simplement. Avec la montée en puissance du djihadisme dans le Sinaï, il est certain que Morsi va maintenir la pression sur les Frères musulmans, quand bien même ces deux catégories de l'islam politique divergent profondément.  

Problème : dans la "charrette" des condamnés, on compte aussi nombre de jeunes révolutionnaires démocrates des débuts du Printemps arabe de 2011.Cette confiscation de la révolution n'est pas nouvelle,  la France en fut elle-même le théâtre peu après 1789...

Comment expliquer l'indifférence des gouvernements et médias occidentaux ?

Frédéric Encel : Indifférence, pas tout à fait aux Etats-Unis. La Maison Blanche a durement critiqué la reprise en main - en fait le coup d'Etat institutionnel - de l'été 2013, et a admonesté le nouveau chef d'Etat égyptien pour sa politique répressive, à l'instar de nombreux médias. D'où, sans doute, la décision sans précédent depuis Camp David en 1979 (entre autres variables explicatives) d'acquérir non pas des chasseurs-bombardiers américains mais des Rafale...

En revanche, vous avez raison, en Europe, gouvernements et grands médias font preuve d'une relative mansuétude à l'égard du nouveau pouvoir égyptien. Sans doute la crainte de voir le plus peuplé et le plus puissant des Etats arabes sombrer, à son tour et parmi d'autres, soit dans le chaos, soit dans l'islamisme radical, en cas de chute d'Al Sissi. Or il faut bien avouer que cette crainte est fondée. 

Finalement, la répression du gouvernement égyptien est-elle efficace dans la lutte contre le terrorisme ?

Alain Rodier : C'est une méthode qui est efficace, car elle a fait ses preuves, notamment en Tchétchénie. Mais elle est risquée car elle mélange les adversaires, assimilant les Frères musulmans aux salafistes-djihadistes (Al-Qaida "canal historique" et Daech) , qui sont responsables d'une réelle menace terroriste au Sinaï notamment, mais également dans toute la profondeur du pays jusqu'aux frontières libyennes. Or ces deux mouvances sont très différentes : tandis que les Frères musulmans acceptent de participer au jeu politique, les djihadistes, eux, le refusent totalement.

En organisant ces procès de masse, l'Egypte prend le risque de créer un mouvement d'opinion favorable à la dissimulation des salafistes-djihadistes, qui, s'ils reçoivent le soutien des populations, seraient à même de se cacher en son sein et donc de créer des groupuscules dissimulés. C'est la technique du "poisson dans l'eau" prônée il y a de longues années, par les révolutionnaires maoïstes. Point besoin que les activistes soient nombreux, il faut qu'ils aient le soutien du peuple.

Dans le contecte actuel, le silence des gouvernements occidentaux est-il une bonne stratégie?

Alain Rodier : Nous sommes aujourd'hui en guerre contre les salafistes-djihadistes et il est important de se définir des alliés dans cette lutte. L' "ennemi de notre ennemi devient donc notre ami". Il convient de se rappeler que les salafistes-djihadistes font d'abord -et principalement- des victimes musulmanes.

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