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Proportionnelle intégrale : ce mauvais coup que Hollande pourrait jouer à la droite et à la démocratie
©Reuters

Risk

La popularité du président de la République baisse de nouveau, réduisant ses espoirs de réélection en 2017. Il lui reste encore un moyen de renverser la vapeur, déjà utilisé par un autre François... Mitterrand.

Hervé  Algalarrondo

Hervé Algalarrondo

Hervé Algalarrondo est journaliste politique et essayiste. A travaillé auparavant au Matin de Paris à France-Soir et au Nouvel Obs.

Auteur de plusieurs pamphlets contre le conformisme de gauche : « Les beaufs de gauche », éditions Lattès, "Insécurité : la gauche contre le peuple", éditions Robert Laffont, et "La gauche et la préférence immigrée", éditions Plon. Il vient de publier avec Daniel Conh-Bendit "Et si on arrêtait les conneries" (Fayard).

 

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : L’effet Charlie n’aura pas duré longtemps : le président de la République, dont la cote de popularité a baissé de 6 points pour arriver à 34%, voit de nouveau faiblir la possibilité d’une réélection en 2017. Au mois de novembre, il avait été question qu’il instaure une proportionnelle totale pour les prochaines législatives. Est-ce une option envisageable pour François Hollande aujourd’hui ?

Hervé Algarrondo : C’est une option qui se présente à François Hollande. Celui-ci avait d’ailleurs indiqué dans son programme qu’il voulait introduire une dose de proportionnelle, mais beaucoup de constitutionnalistes pensent qu’il n’aurait alors pas d’autre choix que de passer à une proportionnelle intégrale. En effet, l’existence de deux systèmes différents pour élire les députés pourrait être inconstitutionnelle, et en outre cela impliquerait un redécoupage complet et extrêmement complexe des circonscriptions. De plus ce serait l’occasion de diminuer le nombre de députés, qui passerait de 577 à 400. C’est tout ou rien.

>> Lire également Cote de popularité : la rechute se confirme pour François Hollande et Manuel Valls

Un tel projet serait soutenu par la gauche de la gauche, mais aussi le Front national. Pour le moment, Hollande se montrerait hésitant face à cette éventualité, car cela rendrait les Verts plus indépendants. Or il lui faut à tout prix éviter qu’un candidat d’EELV se présente au premier tour en 2017. La droite, depuis toujours, se montre défavorable à la proportionnelle, et le sondage CSA pour Le Figaro du 2 décembre n’est pas pour la faire changer d’avis : au scrutin majoritaire l’UMP emporterait plus de 500 circonscription, alors qu’à la proportionnelle la droite, même élargie au centre, n’obtiendrait pas la majorité absolue.

Dans quelle mesure l’instauration de la proportionnelle intégrale pourrait-elle permettre à François Hollande d’espérer l’emporter, et ce en dépit d’un bilan contestable ? Serait-ce une manière de jouer son va-tout ?

Olivier Rouquan : Rien n’est vraiment certain sur le plan constitutionnel par rapport à l’instillation d’une dose de proportionnelle, à condition que l’égalité face au suffrage soit respectée et démontrée. Après tout, le pluralisme fait partie des principes constitutionnels et de ce point de  vue, la composition de l’assemblée nationale laisse à désirer. Par ailleurs d’autres Etats pratiquent le mélange des scrutins et garantissent un égal traitement des citoyens. Rappelons enfin que la Commission Jospin proposait un vote double lors des législatives, dont l’un porterait sur des listes nationales (10% de sièges réservés à la proportionnelle), l’autre sur des députés tels qu'ils sont élus actuellement, mais dans le cadre de circonscriptions redécoupées... Une proportionnelle intégrale peut être également pratiquée dans le cadre départemental comme en 1986. Dans les deux cas, les partis satellites obtiennent plus de sièges, la diversité de la représentation parlementaire progresse; la constitution de majorités stables régresse. 

Le chef de l’Etat après avoir promis une dose de propositionnelle dans son programme, semble opter dans sa conférence du 5 janvier pour un maintien de la logique majoritaire.

Jean Petaux : Les socialistes ont toujours été, presque culturellement, hostiles au scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours (actuellement en vigueur). La SFIO, sous la IVème République, a pu participer aux majorités gouvernementales (et même voir son leader, Guy Mollet, battre le record de longévité à la présidence du Conseil, entre 1956 et 1957) uniquement que par la grâce de la proportionnelle. C’est bien la raison pour laquelle le général de Gaulle tout occupé à vouloir en finir « avec le régime des partis qui a causé tant de mal » (sic) n’aura de cesse, dès 1958, de changer le mode de scrutin en vigueur pour les législatives. Elu à l’Elysée, François Mitterrand qui ne manquait pas de pragmatisme (et d’opportunisme) se félicitera en privé du mode de scrutin pour l’élection des députés en juin 1981. Mode de scrutin qu’il aura constamment critiqué et dénoncé pendant ses 23 années d’opposition, depuis 1958. Il s’en félicita en 1981 parce que ce système, tant décrié, lui apporta, sur un plateau, une majorité absolue de députés socialistes au Palais-Bourbon et qu’il se paya même le luxe de faire entrer quatre ministres communistes dans le deuxième gouvernement Mauroy alors qu’il n’avait pas besoin des voix des députés PCF pour obtenir une majorité parlementaire « à sa main ».

Il reste qu’adopter une représentation proportionnelle quand on sent la défaite poindre comporte un fort parfum de « tripatouillage » de la règle du jeu. Faire rentrer 35 députés FN à l’Assemblée nationale en mars 1986 était, à l’évidence, un « coup » du futur président de la première cohabitation. C’était, sinon gêner la droite chiraco-barriste (de fait cela n’empêcha pas la droite parlementaire de gouverner et l’extrême-droite n’eût qu’un rôle mineur pendant les deux ans où elle a siégé) du moins empêcher que la victoire du RPR allié à l’UDF ne soit écrasante en offrant donc un espace de jeu à ce grand tacticien de Mitterrand.

Est-ce à cela que songe François Hollande ? Ce n’est pas impossible. C’est d’autant plus plausible que la proportionnelle présente une dimension « juste » que le scrutin d’arrondissement uninominal majoritaire à deux tours ne possède pas puisqu’il élimine de la représentation parlementaire toute formation politique isolée qui ne bénéficie pas de reports de voix au second tour. C’est ainsi que le FN n’a obtenu que deux députés depuis 2012 alors que Marine Le Pen, à la présidentielle de 2012, un mois auparavant totalisait sur son nom plus de 6,4 millions de voix (soit près de 18% des suffrages exprimés). Il n’est donc pas très difficile de convaincre l’électorat du « bien-fondé » de la proportionnelle.

Quel tort cette proportionnelle intégrale causerait-elle à la droite ?

Olivier Rouquan : le tort le plus important serait sans doute d’augmenter le nombre de parlementaires du FN, ce qui dans le contexte actuel et en cas de majorité penchant à droite, rendrait une alliance avec le parti populiste peu évitable. Dans cette logique de porosité, vu le taux de défiance atteint par l’élite politique dominante, rien ne dit que le parti de droite classique reste à terme le premier…

Jean Petaux : Ce mode de scrutin, dès lors qu’il suppose un système de listes, permet d’introduire la parité "femmes-hommes" et augmenterait donc mécaniquement la proportion de députées à l’Assemblée. Ce qui ne peut qu’être apprécié du corps électoral (et pas seulement de la partie féminine de celui-ci). Mais l’UMP pourrait avoir des difficultés à satisfaire cette obligation de parité.

Dans quel état de vulnérabilité l’UMP se trouverait-elle face au FN ?

Olivier Rouquan : Depuis le début des années 80, en plagiant parfois ici ou là, sans le dire ou en l’assumant plus, les positionnements de la droite extrême sur l'immigration et la revendication d'une société fermée, certaines factions de la droite classique l’ont finalement placée dans une mauvaise posture. Or, dès les premiers temps, des études indiquaient que le suivisme programmatique desservait la droite républicaine dans un contexte de crise durable. La stratégie de N. Sarkozy sur l'identité nationale et le siphonage du FN n’ont pas fonctionné, sinon le temps d'une élection. L’UMP est d'autant plus vulnérable que ce parti se divise désormais par rapport à la question, comme l’UDF en 1998. En plus, son leadership est moins assuré… comme à l'UDF dans les années 90. La question n'est donc pas dans quel état de vulnérabilité se trouverait… mais dans quel état de vulnérabilité se trouve l’UMP. Le mode de scrutin est un facteur parmi d'autres. Il n'est pas déterminant.

Jean Petaux : Les raisons apparemment « objectives » et « justes » que j'ai mentionnées peuvent être mises en avant et masquer ainsi une autre couche de « raisons pratiques » plus « subjectives et malignes » : affaiblir l’UMP, perturber fortement le fonctionnement de l’Assemblée avec un groupe FN compris entre 100 et 150 députés, imposer une sorte de « grande coalition » entre une partie de l’UMP et une partie du PS, au centre du jeu politique qui serait bornée à droite par une forte extrême-droite et à gauche par une extrême-gauche réduite. Recréer en somme une sorte de « Troisième force » modèle IVème République… Et, pour le président Hollande, une certaine respiration, si, d’aventure, l’Assemblée nationale était dissoute en 2016, avec ce nouveau mode de scrutin… Mais tout cela, bien sûr, relève de la politique fiction…

Car la vraie différence avec 1986 se situe aussi au niveau du calendrier. La proportionnelle mise en place par Mitterrand en 1986 pour la nouvelle Assemblée était destinée à lui permettre de tenir deux ans avant la présidentielle de 1988. Pour François Hollande, sauf à imaginer qu’il procède à une dissolution, il n’aurait pas le même intérêt à introduire la proportionnelle pour les législatives puisque, si la XIVème législature va à son terme celui-ci adviendra un mois après la présidentielle de mai 2017…. Présidentielle à laquelle on ne sait si l’actuel président se représentera, et si dans le cas d’une nouvelle candidature, on ignore s’il sera réélu (voire s’il figurera au second tour…). D’où l’intérêt quand même de corréler un éventuel changement de mode de scrutin législatif avec une non-moins éventuelle dissolution de l’Assemblée programmée en 2016…

A quels scénarios une telle réforme nous conduirait-elle ? Le pays pourrait-il devenir ingouvernable ?

Olivier Rouquan : L’enjeu de la démocratie gouvernante est posé en effet; mais peut-être sans proportionnelle. Le FN semble en voie de jouer le jeu avec le scrutin majoritaire. Il mobilise davantage lors du second tour désormais; il pourrait obtenir des sièges en nombre non négligeable à scrutin inchangé et gêner une majorité de droite. Dans le cas de l’usage de la proportionnelle, il aurait plus de représentants; mais les Ecologistes, la gauche radicale et les centristes aussi. La gouvernabilité dépendrait alors sans doute de majorités sur enjeux, majorités plus aléatoires. Sans évoquer un retour à la IVe, les dispositifs de rationalisation du parlementarisme de la Constitution pourrait ne pas suffire à contraindre les tendances  centrifuges...

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