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Sondages à la russe : pourquoi Poutine n’est pas le président plébiscité qu’on croit
©Reuters

Enchaîné à l'expansion

Les 80% de popularité dont bénéficie Vladimir Poutine en Russie ne sont pas synonymes d'une confiance aveugle du peuple russe à son endroit. Pour conserver son soutien, le président se trouve obligé de perpétuer une logique de conquête de confrontation permanente avec l'Occident.

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin

Béatrice Giblin est géographe et membre fondatrice, avec Yves Lacoste, de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote, dont elle est actuellement codirectrice. Elle a fondé, en 2002, l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.

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Atlantico : "Poutine a besoin de victoires rapides pour consolider sans cesse sa popularité, pour démontrer au peuple russe qu’il est bien toujours le tsar", a déclaré dans l’Obs l’ancien Premier ministre du président russe, Mikhaïl Kassianov. Aujourd’hui, alors que les négociations visant à établir un accord sur l’Ukraine se tiennent à Minsk, de quel soutien Vladimir Poutine bénéficie-t-il dans l’opinion russe ?

Béatrice Giblin : L’observation de Mikhaïl Kassianov est assez juste. Globalement, Vladimir Poutine enregistre un taux de popularité de plus de 80 %. Dans les centres urbains comme Moscou ou Saint-Pétersbourg il n’est pas aussi soutenu, mais dans ce que l’on peut appeler la Russie "profonde", où la population est peu exposée à d’autres sources d’information que la propagande poutinienne, il n’a pas de souci à se faire.

Par ailleurs, à la fin de l’époque Eltsine les Russes se sont sentis humiliés, et c’est avec Poutine qu’ils ont retrouvé une fierté nationale, grâce à l’Ossétie du Sud, la Crimée, aujourd’hui le Donbass… Pour une grande partie de l’opinion il tient la dragée haute à "l’Occident", et en particulier aux Etats-Unis. Ils sont absolument persuadés que les Américains veulent l’affaiblissement définitif de leur pays.

Après l’annexion de la Crimée, Poutine a enregistré une cote de popularité de 85 %. Cependant au même moment, le même institut de sondage constatait que 53 % des Russes se disaient prêts à voter pour lui à la prochaine élection présidentielle. "L’effet Crimée" peut-il retomber aussi vite qu’il est apparu ?

Il faut prendre en compte plusieurs éléments. La Russie est une économie de rente : la chute du prix du pétrole et du gaz diminue considérablement les revenus. Nous savons aujourd’hui que la croissance de la Russie n’est plus à 6 %. Le rouble s’est dévalorisé, beaucoup de capitaux sont partis, la situation économique est donc difficile à gérer pour le gouvernement russe aujourd’hui. Il est possible que cela entame de beaucoup le capital de popularité de Poutine, cependant une grande partie de la population russe est restée habituée à un faible pouvoir d’achat. Des victoires à l’extérieur peuvent donc servir à compenser. Il ne faut pas sous-estimer le matraquage qui est fait auprès des Russes : leur fierté est galvanisée, l’existence passée d’une division SS ukrainienne est sans cesse rappelée, les Polonais et les Etats-Unis sont critiqués en permanence… S’impose à eux l’évidence selon laquelle il faut sauver les russophones d’Ukraine. Rien ne vaut la désignation d’un ennemi pour ressouder un peuple.

On a tendance à considérer la Russie comme un seul bloc uni, mais quelle est la force des voix dissidentes ?

La force des voix dissidentes est faible, dans la mesure où les manifestations d’opposition sont vigoureusement réprimées. Ceux qui osent parler haut et clair, sur internet notamment, se font vite rappeler à l’ordre. Lors des dernières élections, Russie Unie n’a pas fait des scores aussi bons qu’ailleurs à Moscou, Saint-Pétersbourg et certaines autres villes, mais ce dont bien les seules. Nous sommes face à un régime qui a conservé l’habitude de contrôler sa population.

Son pouvoir ne risque donc pas de s’effriter à la longue ?

Tout dépend du résultat des négociations. Si Poutine est en position de dire qu’il a orienté l’Ukraine vers un modèle fédéral, qu’il a forcé les Européens à l’humilité et qu’il a su imposer ses conditions, tout en passant son silence son soulagement de voir les sanctions levées, il saura se donner le rôle du meneur. Si les négociations capotent, il montera en puissance sur le plan militaire pour fragiliser encore plus le gouvernement ukrainien, et la question se posera alors : que faisons-nous ? Les occidentaux vont-ils être amenés à financer l’Ukraine, à lui donner des armes ? En ce cas les sanctions seraient renforcées, mais pour le moment on estime que la Russie peut tenir deux ans avec ses réserves financières.

Qu’en est-il des cercles dirigeants ?

Les oligarques tiennent dans la main de Poutine, et tous ceux qui ne s’y trouvent pas sont à l’ombre, ou exilés. Ils se sont enrichis avec son aide, et lui-même est l’un des hommes les plus riches de Russie. Tous les oligarques qui ont essayé de faire de la politique se sont brûlé les ailes, à l’instar de Khodorkovski, qui a passé tout de même dix années en Sibérie.

Dans le cadre des négociations actuelles, les occidentaux ont-ils suffisamment pris en compte le caractère vital de cet accord pour Poutine du point de vue de sa popularité ? Le président russe est-il condamné à une fuite en avant dans une logique de conquête et de confrontation ?

Les Occidentaux en sont sans doute conscients, de même qu’ils savent que le projet d’Eurasie dont rêve Poutine ne tient pas sans l’Ukraine. On peut parler d’une fuite en avant, à ceci près qu’il garde une grande maîtrise des événements. L’annexion de la Crimée s’est déroulée sans dommage pour lui, comme lorsqu’il est entré en Géorgie. En outre, Poutine sait que nous n’enverrons jamais des troupes au sol.

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