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Quand un médecin en fin de vie se voit obligé de réclamer des soins plus humains : ces enjeux que ne doit pas masquer le débat sur l’euthanasie
©Reuters

Maltraités

Le témoignage d'une jeune médecin britannique atteinte d'un cancer en phase terminale pose plus que jamais la question du traitement des patients en fin de vie. Humainement blessée, elle est une victime parmi tant d'autres d'un système hospitalier trop souvent incapable de voir en ses malades des êtres humains.

Jean-Marc  La Piana

Jean-Marc La Piana

DIrecteur du centre de soins palliatifs La Maison à Gardanne (Bouches-du-Rhône).

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Atlantico : Kate Granger, une jeune médecin britannique en phase terminale de cancer a lancé sur Twitter une campagne pour que ses confrères traitent avec plus d'humanité leurs patients. Elle raconte notamment que le personnel soignant ne se présente pas lors des soins et, surtout, qu'on se réfère à elle uniquement par le numéro de son lit d'hôpital. La médecine fait des avancées formidables dans de nombreux domaines mais l'accompagnement de fin de vie pose toujours problème. Comment est-ce possible ?

Jean-Marc La Piana : L'hyper-technicisation de la médecine de ces dernières années a déshumanisé une partie de la prise en charge et aujourd'hui les relations sont plus rudes entre le personnel soignant et les patients. Ce n'est pas vrai partout, bien sûr, mais c'est quelque chose que l'on constate. Et c'est bien de le dire ou de l'écrire car un soignant va toujours avoir le sentiment qu'il fait bien son travail. Il sait que c'est la moindre des choses de taper à la porte avant d'entrer ou de s'adresser convenablement à quelqu'un comme on le ferait avec son voisin de palier. Mais ce que l'individu est capable de construire le collectif peut le détruire et on oublie ainsi les bonnes habitudes. C'est pourtant essentiel de respecter les patients. Un malade n'est pas une personne diminuée mais une personne à part entière qui fait partie de la société comme quelqu'un en bonne santé.

Quand nous avons créé La Maison, nous avons évalué ce qui se fait dans les établissements de santé. Notre objectif était de faire un lieu qui ressemble plus au domicile qu'à l'hôpital. Nous avons constaté que les relations à l'hôpital étaient parfois assez compliquées et qu'il y avait un respect très limité des gens. On ne tape pas à la porte et on ne parle pas aux patients de la même manière que dans n'importe quel autre lieu public. Il y a une certaine déshumanisation de l'hôpital.

Les médecins se concentrent souvent sur les soins en oubliant l'aspect humain. Y-a-t-il un problème de formation ?

On ne peut pas former au respect de l'autre. On peut travailler sur l'attention, sur tous les éléments qui créent du lien et sur la relation d'aide mais c'est surtout une question de bon sens dans la manière de travailler. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : il y a aussi les contraintes financières et administratives, qui ont pris le pas et qui font que l'on consacre plus de temps à ça qu'au reste. Cela créé l'impression que l'on est constamment débordé, même si cela ne prend pas beaucoup de temps de dire bonjour, de serrer une main ou de parler en regardant les patients plutôt que de regarder à côté.

Le compagnonnage peut faire changer ces habitudes. Il faut intégrer dans les services de soins palliatifs des équipes mobiles transversales qui se déplacent d'une unité à l'autre pour travailler sur cet accompagnement. Cela permet de mettre le doigt sur les problèmes. Un point de vue extérieur, même s'il est souvent peu apprécié dans le milieu hospitalier, peut être très efficace. Il faut un travail communautaire pour changer la culture de fonctionnement du service. C’est-à-dire recréer une culture d'équipe, une culture de soin partagée. Je dis toujours que je m'intéresse au bien-être de mon équipe avant le bien-être de mes patients. Car si mon équipe est équilibrée je sais que mes patients seront très bien pris en charge.

On a trop tiré sur la corde en termes de temps de travail. Le personnel soignant n'a pas le temps de se poser et de réfléchir à la prise en charge, qui est souvent complexe. Quand vous accompagnez quelqu'un en fin de vie, ce n'est pas uniquement la quantité de morphine pour calmer la douleur qui est en jeu. C'est toute la vie du patient qui est en question. Il faut avoir une certaine perspicacité. Il faut un certain éveil du personnel hospitalier. Le soin palliatif nécessite toute son attention.

Comment accompagner au mieux les patients en fin de vie ?

D'abord, il ne faut pas penser que tout le monde doit mourir dans un centre de soins palliatifs. Ils doivent être des lieux de recherche, d'étude, de formation et de compagnonnage. Le soin palliatif ne doit pas être un soin terminal mais un soin réel dès l'annonce d'un diagnostic difficile. Ce n'est pas forcément les derniers moments d'une maladie grave qui sont les plus compliqués. Il y a un certain nombre d'étapes à accompagner entre-temps. Il faut que la culture palliative dépasse largement le temps de la fin de vie.  Il faut aussi redorer le blason du soignant pour qu'il se sente mieux dans son travail et qu'il y accorde plus d'attention. Car si les relations avec les familles s'améliorent, le patient se sentira forcément mieux. Mais cela ne se fait pas en un jour.

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