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La Cour des comptes, cette vieille dame à la transparence parfois bien opaque
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Bonnes feuilles

Prestigieuse institution de la République et pourvoyeuse de rapports en tous genre, la Cour des comptes n'en reste pas moins une vieille dame secrète en retard sur les questions déontologiques. Extrait de "Et si on enquêtait sur la Cour des comptes ?" publié aux Editions du Moment (2/2).

Bruno  Botella

Bruno Botella

Bruno Botella est rédacteur en chef d'Acteurs publics.

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Cette spécificité peut sembler paradoxale pour un gros producteur de rapports comme la Cour des comptes mais la tradition orale a la vie dure rue Cambon. Le président de la toute puissante association des magistrats de la Cour des comptes, Philippe Hayez 1, le reconnaît : "Ici beaucoup de choses ne sont pas écrites, on est dans un régime qui demeure un peu coutumier." C’est particulièrement flagrant pour la prévention des conflits d’intérêts. En cela, la Cour se met au diapason des autres institutions et administrations françaises, en retard sur les questions déontologiques, même si la prise de conscience est là. Un coup d’œil au code des juridictions financières permet de mesurer le pas de géant qu’il reste à accomplir. Du point de vue de la loi, tout tient dans le sacro-saint serment que prête obligatoirement le magistrat devant ses pairs. Il promet de « bien et fidèlement remplir ses fonctions, de garder le secret des délibérations et de se comporter en tout comme un digne et loyal magistrat ».

Dignité, loyauté, les mots sont lourds de sens mais pour la précision on repassera… Bien sûr, tout manquement au devoir peut être sanctionné, crescendo, par un avertissement, un blâme, le retrait de certains emplois ou fonctions, l'exclusion temporaire, la mise à la retraite d'office ou la révocation. Les magistrats sont inamovibles mais pas irrévocables même si personne, à la Cour, n’a le souvenir d’une punition aussi radicale. Dans tous les cas, l’avis du Conseil supérieur de la Cour des comptes pèse de tout son poids. Cette instance est à la Cour des comptes ce que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est à l’autorité judiciaire. Elle rend des avis sur la déontologie, les nominations sensibles, l’avancement des magistrats, les mesures disciplinaires, les règles de fonctionnement et les réformes internes. Présidé par le premier pré- sident, ce Conseil supérieur ne concerne que les magistrats de la rue Cambon et pas ceux des chambres régionales qui disposent de leur propre instance. Composé du procureur général, de présidents de chambre et de représentants de magistrats, le Conseil supérieur comprend aussi trois personnalités qualifiées qui n'exercent pas de mandat électif, et qui sont désignées pour une période de trois ans non renouvelable par le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

Cette intrusion de l’exécutif et du législatif dans les affaires de la Cour, prévue par les textes, surprend encore tellement en interne que chaque vague de nominations est scrutée à la loupe. En octobre 2012, l’Élysée désigne le préfet Bernard Prévost, le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, nomme l’ex-ministre et ancien député PS Jean-Louis Bianco, tandis que le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, choisit un magistrat des chambres régionales des comptes et magistrat administratif, à la retraite, Patrick-Gilbert Francoz. Ce dernier nom fait tiquer les neuf magistrats élus au Conseil supérieur qui préparent une petite surprise pour la première séance du 12 décembre 2012. Comme le révèle alors Acteurs publics, ils claquent la porte après avoir lu une déclaration alambiquée dans laquelle ils se disent, certes, « respectueux des prérogatives du président de l’Assemblée nationale » mais « perplexes quant aux motifs qui l’ont conduit à procéder à cette nomination ».

Les représentants élus "entendent ainsi exprimer leur attachement aux principes déontologiques qui doivent s’appliquer aux débats du Conseil supérieur". Il se trouve que la prévention des conflits d’intérêts et les questions déontologiques figurent justement à l’ordre du jour du Conseil supérieur. Pas de bol, car du point de vue des magistrats en colère, le parcours de Patrick- Gilbert Francoz n’est pas irréprochable. Sur cette personnalité qualifiée pèse, en effet, l’ombre de l’ancien ministre Gilbert Baumet.

Le premier fut le chef de cabinet du second au ministère délégué au Commerce et à l’Artisanat dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy de 1992 à 1993. Depuis plus de quinze ans, la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon ne cesse de tailler en pièce la gestion des collectivités qu’a dirigées Gilbert Baumet : le conseil général du Gard, puis la mairie de Pont-Saint-Esprit. En retour, ce dernier, pugnace, n’a eu de cesse de critiquer leur travail et leurs méthodes. "Le personnage de Gilbert Baumet a quand même une place bien particulière dans l’histoire des quinze dernières années de la Cour", relève alors un magistrat. "Nous n’avons pas de preuves ou de faits incontestables pour appuyer notre démarche. C’est une impression générale. Cette personnalité ne correspond pas à ce que l’on est en droit d’attendre dans ce type d’instance", tranche encore un membre de la Cour interrogé par Acteurs publics.

La séance se poursuit sans les représentants élus qui comptent tout de même parmi eux des figures de la Cour comme la présidente de l’Association des magistrats, Dominique Malégat-Mély ou Laurence Fradin, par ailleurs épouse de l’ancien premier président Pierre Joxe. Dans ce climat plombé, Patrick-Gilbert Francoz se défend en indiquant qu’il ne travaille plus pour Gilbert Baumet depuis des lustres et, surtout, qu’il n’a jamais eu de fonction au conseil général du Gard ou à la mairie de Pont-Saint-Esprit. Depuis, les tensions se sont apaisées mais cet épisode a fait progresser l’idée que la Cour, de plus en plus sur le devant la scène, devait prendre à bras-le-corps les questions déontologiques.

Extrait de "Et si on enquêtait sur la Cour des comptes ?" de Bruno Botella, publié aux Editions du Moment

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