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La Croatie a-t-elle raison d'effacer les dettes de ses pauvres ?
©Reuters

Nouveau départ

Alors que la Croatie connaît une récession économique depuis six ans, le gouvernement a adopté une mesure visant à supprimer les dettes de 60 000 personnes pauvres, interdites bancaires en raison de leurs crédits impayés. Une première pour un pays de l'Union Européenne. Mais cette décision palliative ne remplacera pas la relance.

Sandrine Levasseur

Sandrine Levasseur

Sandrine Levasseur est économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de Sciences Po. Ses travaux portent sur l'élargissement de l'Union européenne, l'intégration économique, les Investissements directs étrangers, le logement social, l'immobilier et le foncier.

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Atlantico : Est-ce la première fois qu'un pays de l'Union européenne efface une partie des dettes de ses citoyens?

Sandrine Levasseur : C'est en tout cas la première fois qu'un gouvernement démarche des créanciers (entreprises publiques et privées, banques) pour qu'ils abandonnent leurs créances. D'ordinaire, ce sont des commissions (par exemple, en France, la commission de sur-endettement de la Banque de France) qui décident au cas par cas de l'abandon partiel ou total  des créances, en concertation avec les créanciers. Lors de ces commissions, l'emprunteur est mis en face de ses responsabilités.

Dans quel but un Etat en vient-il à décider d'effacer la dette de ses citoyens les plus pauvres ? L'endettement privé atteint-il des proportions inquiétantes en Croatie ?

Certes, le niveau d'endettement des ménages est élevé. Mais c'est surtout le fait que 70 % de la dette soit libellée en monnaie étrangère qui pose problème. La dépréciation de la kuna par rapport à l'euro mais surtout par rapport au franc suisse alourdit la charge de la dette des ménages endettés en monnaie étrangère. Il faudra vraisemblablement en venir à une solution à la hongroise où l'on a permis aux ménages de changer la monnaie de libellé de leur emprunt, c'est-à-dire de renoncer aux emprunts en euro ou en franc suisse pour des emprunts en forint (la monnaie nationale).

La mesure porte sur un effort financier de 46 millions d'euros, soit 0,1% du PIB de la Croatie. Quels bénéfices économiques en attend-on ?

C'est une goutte d'eau pour l'économie croate mais une grande bouffée d'oxygène pour les ménages endettés qui vont bénéficier de l'effacement de dette. Un ménage dont la dette est de 4 500 euros et dont le revenu mensuel est de 160 euros par personne (et donc aux seuils d'éligibilité d'effacement de la dette) bénéficiera d'un effacement de dette équivalent à 28 mois de revenus. C'est donc important pour les ménages bénéficiaires. Evidemment, il en faudra bien plus pour relancer l'économie croate ... 

Cela peut-il faire reculer la pauvreté ? Selon quels mécanismes ?

Cette mesure en tant que telle ne peut pas faire reculer la pauvreté. Elle ne résoudra pas le problème de fond dont souffrent les ménages surendettés : celui du chômage ou celui de l'emploi peu rémunéré. C'est la croissance économique et non l'effacement de dette qui permet de lutter contre la pauvreté.

Qu'espère le gouvernement par ce geste social ?

De prime abord, on ne peut s'empêcher de penser aux intentions électoralistes du gouvernement dont la cote de popularité a baissé alors que les croates devront élire un nouveau Parlement cette année. Pour autant, par ce geste, le gouvernement montre qu'il prend clairement en main la question du surendettement des ménages, surendettement qui se traduit par 317 000 personnes en interdit bancaire. Dans un pays qui compte 4,4 millions d'habitants, cela signifie qu'une personne sur quatorze est en interdit bancaire.

Pour bénéficier de cette mesure, le foyer doit avoir des revenus mensuels inférieurs à 165 euros par personne, et être endetté pour moins de 4500 euros. Ces seuils ne sont-ils pas arbitraires pour les personnes pauvres qui se situent juste au-dessus de cette limite ?

Les seuils sont clairement arbitraires. Mais cela n'aurait fait aucun sens pour le gouvernement de négocier un effacement des dettes pour toute personne en interdit bancaire. Les personnes concernées par l'effacement de dette sont clairement parmi les plus pauvres, elles perçoivent des allocations sociales, sont non propriétaires de leur logement et ne disposent pas d'épargne, trois conditions à remplir pour bénéficier de l'effacement de dette. Certes, la mesure prise par le gouvernement ne concerne "que" 20 % des personnes en interdits bancaires. Mais c'est un bon début pour envisager de résoudre ce problème de surendettement des ménages.

Quelles seront les conséquences pour les organismes qui vont devoir éponger les dettes ? Est-ce que cela ne va pas nuire à la confiance des créanciers, et renforcer leur vigilance vis-à-vis des demandes de crédit venant de personnes aux revenus faibles ?

Ce type de mesure est à double tranchant. D'un côté, on soulage les personnes surendettées. D'un autre côté, on peut développer la suspicion des créanciers vis-à-vis des personnes à faibles revenus. Pire, les créanciers peuvent choisir de leur prêter mais à un taux d'intérêt élevé ... L'effacement de dette ne peut fonctionner que s'il y engagement des créanciers à ne pas discriminer les emprunteurs dans le futur. De la même façon que les créanciers ont accepté d'abandonner leurs créances vis à vis des plus pauvres, ils peuvent accepter de ne pas les discriminer dès lors que le dossier de crédit apparaîtra crédible dans sa capacité à être remboursé.

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