Alexis Tsipras à Paris : le gouvernement saura-t-il saisir une occasion historique pour la France de réorienter l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande arrivera-t-il à réorienter l'Europe ?
François Hollande arrivera-t-il à réorienter l'Europe ?
©Reuters

Maintenant ou jamais

En pleine opération séduction au sein de la zone euro, le nouveau Premier ministre grec rencontre François Hollande ce mercredi 4 février à l’Élysée. Une occasion en or de se rattraper pour celui qui, du temps où il était candidat à la présidence française en 2012, voulait "changer l'Europe".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Fabien Escalona

Fabien Escalona

Fabien Escalona est enseignant en science politique à Sciences Po Grenoble, collaborateur scientifique au Cevipol (Bruxelles).  Il est co-directeur du Palgrave Handbook of Social Democracy(Palgrave Macmillan, 2013) et auteur de La social-démocratie, entre crises et mutations (Fondation Jean Jaurès, 2011).

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Atlantico : Le nouveau Premier ministre grec Alexis Tsipras est à Paris ce mercredi 4 février. Peut-il espérer le soutien de François Hollande dans son objectif de renégocier la dette de son pays ?

Fabien Escalona : La France va plutôt soutenir les Grecs dans les mesures consistant à rallonger la durée des prêts ou à réduire autant que possible les taux d’intérêt. Autrement dit la France n’est pas contre un aménagement de la dette existante, mais il n'est pas question pour elle de se prononcer en faveur d’une annulation en tant que telle, alors même que c’était l’objectif de Syriza. Beaucoup d’économistes considèrent que sans une annulation partielle de la dette, le fardeau, même étalé dans le temps, handicapera pendant encore longtemps l’économie grecque.

Nicolas Goetzmann : La victoire de Syriza embarrasse le parti socialiste depuis le début. La ligne portée par François Hollande depuis le début de son quinquennat a été de prétendre vouloir le changement de l’Europe, tout en ne faisant rien pour y arriver. Non pas par faiblesse, mais par choix. La ligne "sociale-démocrate" de François Hollande n’est pas compatible avec Syriza. Par contre, en politicien, François Hollande va chercher à profiter du courant de sympathie que suscite ce parti. Car Syriza, que l’on soit de gauche ou de droite, donne un message de retour du politique au sein de la zone euro. Il ne s’agit plus d’appliquer les règles, mais de changer ces règles.

Dans de telles conditions, Alexis Tsipras devrait pouvoir compter sur François Hollande pour parvenir à un réaménagement de la dette, dans la durée ou sur les taux, mais pas à une annulation. Pour le gouvernement français, il serait impossible de continuer de prôner une politique de "sérieux budgétaire" tout en acceptant un abandon de créance pour la Grèce.

Cette rencontre est-elle l’occasion pour François Hollande de renouer avec son ambition initiale de "changer l’Europe" ? Cette promesse non tenue avait fait des déçus ...

​Fabien Escalona : L’élection d’Alexis Tsipras et les demandes plutôt raisonnables de ce dernier donnent à Hollande un rôle d’intercesseur entre les pays du sud, au premier rang desquels se trouve la Grèce, et les pays créditeurs du nord, menés par l’Allemagne. Ce rôle est assez logique dans la mesure où il correspond à la situation géoéconomique de la France dans la zone euro. La France se trouve à mi-chemin dans son modèle entre le nord exportateur de produits à forte valeur ajoutée, et le sud qui est plus dépendant de la demande intérieure.

François Hollande n’a jamais vraiment joué le rôle de chef de file d’une coalition anti austérité en Europe, autour d’une revendication claire, et portée politiquement jusqu’au bout, et ce  malgré sa promesse de campagne. Cela lui a d’ailleurs beaucoup été reproché.  Il s’est même fait voler le rôle par Matteo Renzi lorsque ce dernier est arrivé au pouvoir en Italie. C’est alors qu’on a de nouveau entendu parler de la possibilité de se passer de l’austérité, mais sans suite …

On ne peut pas attendre grand-chose de la rencontre entre Tsipras et  Hollande, car bien que les socialistes français aient toujours eu des velléités pour modifier l’architecture de la zone euro dans un sens néo keynésien, notamment sous Jospin et pendant la campagne de 2012, ils s’avèrent incapables de réunir une vraie coalition d’intérêts contre les revendications allemandes. Inconsciemment pour certains, et consciemment pour d’autres, persiste l’idée selon laquelle malgré la position géoéconomique médiane de la France, cette dernière peut être l’égale de l’Allemagne, et comme elle, peut réussir en respectant les règles de la zone euro. Ce n’est jamais assumé comme tel, même si parfois certaines paroles trahissent cette conviction que l’euro est un outil de discipline permettant de ressembler à l’Allemagne. C’est ainsi que Laurent Fabius a déclaré lors d’un conseil des ministres que si l’Allemagne y arrivait, pourquoi pas nous ?

Nicolas Goetzmann : Changer l’Europe est un slogan depuis bientôt 3 ans. Renégocier le pacte budgétaire européen (TSCG) était une promesse de campagne qui fut abandonnée dès l’été 2012 contre un plat de lentilles ; un plan de croissance de 200 millions d’euros, soit moins de 0.001% du PIB de la zone euro. Malgré cette réalité, le gouvernement s’était félicité d’avoir "changer l’Europe" vers plus de croissance. Cette stratégie des mots sans les actes a perduré tout au long des années suivantes. La dernière "sortie" en date sur ce terrain a été de revendiquer la paternité du plan de relance monétaire mis en place par la Banque centrale européenne le 22 janvier dernier. Pourtant, c’est bien Mario Draghi qui est à l’origine de cette nouvelle doctrine car le Président français n’est jamais parvenu à construire un discours cohérent sur les problématiques monétaires européennes. Il n’a été là que pour se féliciter des actions mises en place par d’autres. Il surfe.

Au lendemain de son élection en 2012, François Hollande avait reçu une lettre d’Alexis Tsipras le félicitant, et l’invitant à organiser une rencontre à Paris le plus rapidement possible, lettre à laquelle le nouveau président n’aurait jamais répondu selon le Canard Enchaîné. Dans le fond, Hollande est-il plus un opposant qu’un allié de Tsipras ?

​Fabien Escalona : Ce qui s’est passé à l’époque confirme ce que je viens de dire : si Hollande avait voulu donner un signal anti austérité très fort, il aurait fait un geste en direction de Syriza. Au-delà de l’affaire de cette lettre,  il avait pris position pour le Pasok, l’équivalent grec du PS. Cette posture était somme toute logique, mais clairement pas inscrite dans le sens de la refonte de l’Union européenne.

François Hollande sera "allié" jusqu’à un certain point, c’est-à-dire l’aménagement à la marge du fardeau de la dette, mais sera un opposant à l’annulation de la dette et à la révision des principes sur lesquels repose la monnaie unique.

Nicolas Goetzmann : Encore une fois, François Hollande est un social-démocrate parfaitement à l’aise avec la construction européenne telle qu’elle est dessinée aujourd’hui. Pierre Moscovici est sur une ligne très proche et siège à la Commission européenne, au budget. Il sera donc directement impliqué concernant le cas de la dette grecque comme il s’était directement impliqué contre Syriza pendant l’élection. Et Alexis Tsipras n’est pas dupe de cette situation. Le nouveau ministre des finances grec non plus, car Yanis Varoufakis déclarait il y a encore 10 jours que le gouvernement français était dans une situation de "Vichy post moderne", accusant par cette formule la soumission française face à la domination de l’Allemagne au sein de la zone euro. La confrontation est donc violente entre les deux. Il s’agit finalement de préserver les apparences. 

Contrairement aux apparences, n’est-ce pas plutôt François Hollande qui a besoin d’Alexis Tsipras, notamment en termes d’image ?

​Fabien Escalona : Alexis Tsipras se gardera bien de faire un casus belli de la lettre restée sans réponse, car il a urgemment besoin d’alliés pour réaménager partiellement la dette grecque.  L’urgence se trouve selon moi beaucoup plus du côté grec. Par ailleurs c’est une occasion pour François Hollande de se replacer au centre du jeu européen, de ne plus apparaître comme le "junior partner" d’Angela Merkel. Mais je ne pense pas qu’il ait beaucoup à attendre de cette rencontre, au plan intérieur. Aujourd’hui c’est plus le Doubs qui intéresse la France que le cas grec !

Nicolas Goetzmann : Cela me semble tout à fait clair. Alexis Tsipras peut donner à François Hollande un certificat de « gauche » dont le Président français a cruellement besoin pour remobiliser son électorat. Il cherche également à bénéficier de la sympathie constatée en France à l’égard de ce parti "proche du peuple". Ainsi, la synthèse "hollandaise" consiste aujourd’hui à assembler la loi Macron et Syriza, ce qui est assez cocasse. Et en échange de cet avantage cosmétique, Alexis Tsipras vient chercher un soutien pour renégocier, non pas la dette elle-même, mais un échéancier, ce qui est tout à fait raisonnable. Mais encore une fois, le premier ministre grec n’est pas dupe de la situation. Il sait que le "moment" Syriza est délicat à gérer  pour François Hollande et qu’il peut en tirer parti. Délicat parce que cette fois ci, les déclarations indiquant que le parti socialiste "change l’Europe" ne pourront pas rester que des mots. Le Président est face à ses contradictions.

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