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Ces militants de gauche qui rallient le FN : focus sur le glissement rouge brun en cours
©Reuters

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Un ancien militant du NPA vient de rejoindre les rangs du Front national. Outre la stratégie de communication que ce ralliement représente pour le FN, il est aussi le signe d'un amincissement des différences réelles entre extrême gauche et extrême droite.

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Atlantico : Ancien militant du Nouveau parti anticapitaliste, Aurélien Legrand a rejoint le Front national où il dirigera le service de communication en septembre dernier (voir ici). Le glissement du Front national vers une proposition programmatique partagée par l'extrême gauche est-il une réalité ?

Philippe Braud : Le recrutement d’Aurélien Legrand n’est pas un débauchage purement anecdotique mais il ne doit pas non plus être survalorisé. Un parti qui a le vent en poupe devient attirant pour des militants d’autres formations, déçus par la ligne de leur parti, ses querelles internes ou son absence de perspectives politiques. Nicolas Sarkozy avait réussi des « prises spectaculaires » au lendemain de sa victoire présidentielle de 2007. Il existe néanmoins une certaine spécificité des adhésions de militants dans les partis situés aux deux extrêmes de l’échiquier politique. Ces petites formations séduisent des jeunes attirés par la radicalité mais encore peu ancrés dans leurs convictions politiques définitives. Cela explique une forte volatilité des engagements. Même en temps normal, beaucoup d’adhérents les quittent fréquemment au bout de quelques années, abandonnent la politique, ou se reconvertissent au sein d’un parti de gouvernement qui offre plus de perspectives. L’originalité ici, c’est la montée en puissance d’un parti d’extrême droite devenu une structure d’accueil qui n’est pas sans séduction (responsabilités à prendre, mandats électoraux à conquérir).

Bien sûr, le recrutement de ce second cadre du NPA, après celui de Fabien Engelmann, devenu maire d’Hayange, revêt une signification supplémentaire. Il faut bien qu’il existe entre la formation que l’on quitte et celle que l’on rejoint un minimum de convergences politiques. C’est la raison pour laquelle les migrations entre droite modérée et gauche modérée ne sont pas du tout rares historiquement, évoluant au gré des succès électoraux des uns et des autres. S’agissant plus précisément du FN, du fait que sa stigmatisation comme parti infréquentable a perdu une partie de sa force répulsive, c’est sa posture de principal parti protestataire aujourd’hui, qui exerce une attraction significative sur les adhérents d’un syndicat comme FO, comme sur les sympathisants de l’extrême gauche.

Quelles sont concrètement les thématiques convergentes de fond entre Front national et extrême gauche ?

Elles sont plus fortes que ne le suggèrent leurs positionnements totalement antagonistes sur l’échiquier politique. C’est d’abord une hostilité à l’Europe, celle des technocrates apatrides à l’extrême droite, celle des banques et des trusts à l’extrême gauche. Mais on retrouve ici la trace des convergences partielles qui, historiquement, ont jeté dans une même hostilité aux démocraties libérales, les mouvements anticapitalistes d’obédience marxiste, et les mouvements anti-ploutocratiques d’obédience fascisante ou fasciste. L’extrême droite populaire a toujours opposé "les petits" aux "gros", là où le vocabulaire plus savant des marxistes décryptait l’hostilité en termes de luttes de classes : exploiteurs vs exploités. Le fossé est grand sur le plan de l’analyse théorique, mais, dans la pratique, de sérieux recoupements existent. Les glissements électoraux du monde ouvrier ou des petits commerçants et paysans l’ont démontré dans le passé, aussi bien dans l’Allemagne des années trente que dans la France des vingt dernières années (dans les deux cas, au détriment des partis communistes) ou dans la Grèce d’aujourd’hui (au bénéfice de Syriza). Enfin le recours à une rhétorique populiste, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite, souligne une parenté d’apparences qui amplifie l’impression d’une convergence. Dans les deux cas, on se perçoit comme l’expression du peuple réel (même si à l’extrême gauche on préfère souvent parler des « travailleurs »).  

De là à parler d’une alliance rouge/brun, il y a un pas qu’on ne franchira pas, du moins au niveau des appareils dirigeants. Si une certaine porosité existe dans les bases électorales, les appareils relèvent d’une culture politique et d’une histoire trop différente ; plus encore, le formatage des alliances légitimes, par la place occupée sur l’échelle droite/gauche, exerce une pression qui demeure insurmontable.

Quel peut-être l'intérêt pour Marine Le Pen de faire appel à un ancien du NPA ? 

Sa démarche s’inscrit dans une stratégie plus large, illustrée récemment par le soutien bruyant apporté à Syriza, parallèlement à celui de Jean Luc Mélenchon. Il s’agit d’une part de sortir du ghetto de l’étiquette extrême droite que le FN a toujours rejetée parce que, symboliquement, elle rend les nécessaires alliances électorales beaucoup plus difficiles à envisager par des partenaires potentiels. Marine Le Pen cherche ici à faire bouger les lignes, au risque d’incommoder une partie de son cœur de cible. Il s’agit aussi pour elle de chercher à fidéliser son électorat populaire issu de l’électorat de gauche. "Vous pouvez vous sentir à l’aise chez nous ! » semble-t-elle dire à leur intention ; nous sommes réellement du côté du peuple, au delà du clivage droite /gauche.

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