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Boko Haram, silence on tue : les habitants du nord du Nigéria abandonnés face au rouleau compresseur des tueurs islamistes
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Inexorable

Rien ne semble arrêter l'avancée de Boko Haram dans le nord du Nigéria. Et ni la réponse insuffisante des pays africains, ni l'absence d'engagement formel de l'Occident ne font présager d'une amélioration. Le groupe armé va donc continuer son emprise par la violence sur les populations.

Philippe Hugon

Philippe Hugon

Philippe Hugon est directeur de recherche à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), en charge de l'Afrique. Professeur émérite, agrégé de Sciences économiques à l'université Paris X, il vient de publier son dernier livre Afriques - Entre puissance et vulnérabilité (Armand Collin, août 2016). 

 

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Atlantico : L'avancée de Boko Haram semble inéxorable et le Nigéria n'est pas en mesure de la stopper. Face aux exactions qui touchent les populations civiles, quelle réponse militaire est envisagée ?

Philippe Hugon : Pour l'instant, il y a déjà une mobilisation sur le terrain, du Nigéria bien sûr, mais aussi du Tchad, du Cameroun et du Niger. Ceci se fait dans le cadre de la "Commission du bassin lac Tchad". S'est ajouté en appui le Bénin. Une réunion à Niamey, regroupant 13 pays, dont les Etats-Unis et la France mais pas le Nigéria, ont prépaeé un plan pour une intervention militaire. L'Union africaine prévoit la constitution d'une force régionale de 7500 hommes, acceptée avec réticence par le Nigéria. Reste la question de son organisation et surtout de son financement. L'Union africaine, qui n'a pas les moyens, a donc demandé l'appui des Nations unies.  

Pourquoi une réponse militaire des pays occidentaux ou des Nations unies tarde-t-elle tant, alors qu'elle a, par exemple, été beaucoup plus prompte au Mali ou en Centrafrique ?

Une réunion organisée par François Hollande s'était tenue il y a quelques mois, ce qui était une première, car les tensions entre le Nigéria et le Cameroun notamment restent vives. Cependant, la France est en effet peu présente, car elle est au bout de ses capacités de financement et d'intervention. Si on regarde ce qu'il s'est passé après les attentats contre Charlie Hebdo, il a été décidé du renforcement important de la protection militaire en France, qui se fait – pour des raisons budgétaires – au détriment d'interventions extérieures. Et la France est déjà présente par Barkhane dans le Sahel et avec Sangaris en Centrafrique...
De plus, des pays proches de la France sont certes concernés (le Cameroun, le Niger et le Tchad) mais Boko Haram reste fondamentalement le problème du Nigéria. Or, dans une "division du travail" internationale, la France intervient plutôt dans les pays francophones. Ce serait donc plutôt aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne d'apparaître comme leader sur cette question. Or, cette dernière est particulièrement silencieuse sur ce dossier. 

Le Nigéria est, en principe, la première puissance africaine, et l'Union africaine a donc déjà mis en place des troupes prêtes à intervenir. Pourquoi semble-t-il y avoir une attente d'une réponse occidentale ? Pourquoi l'impulsion ne vient pas de l'Afrique, ou du Nigéria lui-même ?

La réalité de la puissance du Nigéria, qui aurait selon les chiffres dépassé l'Afrique du Sud, est à relativiser... Le pays, de plus, est actuellement en pleine élection présidentielle – elle aura lieu mi-février – qui verra s'affronter un représentant du sud, le président sortant Goodluck Jonathan, et un candidat du nord, Muhammadu Buhari, ce qui rend la situation actuelle particulière. Le Nigéria dispose d'une armée importante et bien équipée grâce aux revenus du pétrole. Mais, elle a fait montre d'une très grande inefficacité sur le plan militaire dans ses interventions contre Boko Haram. Elle n'a pas su mener une action contre un mouvement terroriste pratiquant les attentats-suicides qui nécessitent de savoir mener des opération de renseignements supposant une connaissance importante des populations. Or, elle a plutôt dirigé des actions ne repsoant que sur la force. Cela n'a généré qu'un engrenage : il y a eu des milliers de morts du côté de Boko Haram, son chef a même été tué en 2009, mais ce ne fût que de la répression pur. Or, pour gagner contre un groupe djihadiste, il faut se reposer sur le renseignement de terrain, une pénétration approfondie des populations, ou l'utilisation de drones, de satellites, que le Nigéria n'a pas.  

Le Nigéria est un pays à forte dimension stratégique, où de nombreux Etats occidentaux ont des intérêts. Comment cela pourrait-il jouer sur l'idée d'une intervention militaire ?

Evidemment, le Nigéria est stratégique, et c'est un allié des Etats-Unis. Mais le pétrole se trouve au sud, au niveau du delta du Niger, loin de Boko Haram. Le Nigéria est constitué de 36 Etats, 12 pratiquent la charia, et Boko Haram n'est présent que dans 3 d'entre eux, commençant à contrôler celui de Borno. Mais jusqu'à présent, ce qui s'est passé au nord n'a guère mobilisé les opinions publiques au sud, et même assez peu le président Goodlyck Jonathann car les ressources ne sont pas menacées par Boko Haram.   

Les interventions en Afrique, comme le Mali ou la Centrafrique, tendent à s'enliser. L'action militaire qui se prépare est-elle condamnée à faire de même, face à un groupe mieux armé que les djihadistes maliens ou les milices centrafricaines ?

Nous sommes vraiment là dans un processus qui n'est pas comparable, pour l'intensité, avec ce qu'il se passe au mali ou en Centrafrique. Boko Haram dispose d'un armement important car il a conquis des casernes et récupéré du matériel lourd, et car il profite de collusions avec des militaires et des hommes politiques du nord. On ne connaît pas les effectifs du groupe armée, les estimations variant de 8000 à 30 000 hommes. C'est assez conséquent. Boko Haram contrôle un territoire un peu plus grand que la Belgique aujourd'hui, et il est évident que les 7500 hommes qui seront mobilisés ne seront pas suffisants. Est-ce que l'Occident va laisser se développer un califat islamique qui réalise de telles exactions, usant de fillettes comme bombes humaines ou rasant des villages ? Si on est optimiste, on peut espérer que c'est à cause des élections présidentielles que Boko Haram veut peser, et que leur importance déclinera ensuite. Mais on prend très bien envisager la pérennisation d'un territoire contrôlé. A mon sens, Boko Haram est beaucoup plus grave pour l'Occident qu'AQMI. 

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