Gavés aux médicaments : comment les personnes âgées sont arrivées au bord de l'overdose<!-- --> | Atlantico.fr
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Les personnes âgées sont de gros consommateurs de médicaments.
Les personnes âgées sont de gros consommateurs de médicaments.
©Reuters

Les nouveaux drogués

Une étude UFC-Que Choisir révèle des prescriptions abusives pour les personnes âgées. Une population très demandeuse de médicaments mais peut-être aussi victime de médecins peu regardants, et d'une industrie pharmaceutique prête à tout pour écouler ses stocks.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Atlantico : Une étude UFC-Que Choisir a observé qu'une personne âgée pouvait se retrouver avec 21 médicaments prescrits lors d'une visite chez le médecin, la moyenne, c 8,6. Cela se justifie-t-il réellement d'un point de vue médical ?

Sauveur Boukris : Oui et non. D'un côté c'est justifié car les personnes âgées cumulent 70 ou 80 années de vie et présentent donc plusieurs pathologies. Plus elles ont de maladies, plus elles ont la probabilité d'avoir des médicaments. D'un autre côté, on a tendance à surprotéger ces patients et à répondre à leurs sollicitations. On leur prescrit de nombreux médicaments pour des troubles du sommeil, quelques vertiges ou la constipation. Le médecin est à la fois dans l'obligation de soigner les maladies et parfois sollicité par les patients âgés qui ont de petits symptômes qui ne sont pas des maladies mais auxquels ils donnent beaucoup d'importance. A cet âge-là, le moindre petit handicap prend de grandes proportions.

Dans ces conditions, les risques d'interactions médicamenteuses peuvent-ils réellement être contenus ?

Plus vous associez des médicaments, plus les risques d'effets indésirables augmentent. C'est là tout le rôle du médecin, de savoir moduler entre les différentes molécules. Par exemple, on vous prescrit un diurétique pour une hypertension et vous prenez en même temps un somnifère pour dormir. Cela peut entraîner des chutes de tension et donc des chutes d'une chaise ou d'un lit qui peuvent causer de graves fractures. Ce sont des incidents connus dont il faut se méfier. La seule chose à faire, c'est d'arrêter certains médicaments moins importants pendant un certain temps.

Note-t-on des phénomènes d'accoutumance à certains produits ? Certains peuvent-ils seulement être arrêtés ?

Certaines personnes âgées relativement anxieuses continuent à prendre, par exemple, un somnifère le soir pour être sûr de bien dormir même si tout va bien. Il y a aussi la solitude qui fait que les personnes les plus isolées se disent qu'après 20 heures il n'y a plus de médecin de garde et elles se  rassurent en ayant sous la main un certain nombre de médicaments au cas où.

Qui est responsable de cette surconsommation ? Existe-t-il une tendance à prescrire certains traitements de façon automatique ? Les besoins en médicaments des personnes âgées sont-ils surestimés ? Quel rôle jouent les laboratoires pharmaceutiques dans ce phénomène ?

Tout le monde est responsable. Dans mon livre Ces médicaments qui nous rendent malades (2009), j'explique que c'est quand même le médecin qui a le stylo, qui prescrit. Certains praticiens ont tendance à avoir la main lourde en jouant le principe de précaution. Mais aussi par faute de temps : pour ne pas avoir à tout expliquer, ils délivrent un peu trop rapidement les médicaments.

L'industrie pharmaceutique est aussi responsable. Son rôle est de fabriquer et de vendre au maximum des médicaments. Son marketing joue sur les peurs et pour rassurer le médecin elle lui dit qu'elle a les solutions comme, par exemple, les traitements contre l'ostéoporose. Le praticien est de cette manière incité à écouler les médicaments.  L'industrie pharmaceutique créée ainsi des malades.

Quand un jeune médecin sort de la faculté, il a de très bonnes connaissances sur le diagnostic mais sur la partie thérapeutique il n'a qu'un ou deux ans de cours sur dix ans d'études. Quand il s'installe, l'industrie pharmaceutique assure sa formation et son information. Il est influencé de façon déguisée, par l'intermédiaire des congrès avec un orateur rémunéré par un laboratoire pour faire un discours en faveur d'un traitement, ou de façon claire, par un visiteur médical, c'est à dire un représentant qui va venir dans son cabinet pour lui expliquer que face à telle maladie il a tel médicament pour le manipuler dans ses décisions. Il a été montré par différentes études que les généralistes qui reçoivent ces émissaires prescrivent plus que les autres. On ne lui apprend pas la réflexion mais les réflexes. Pendant 20 ans, j'ai moi-même été naïvement sous leur emprise. Jusqu'en 2003 et l'affaire Vioxx, cet anti-douleur et anti-inflammatoire que j'ai beaucoup prescrit et qui s'est révélé être mortel. Un médecin qui ne va pas chercher l'information ailleurs, dans la revue Prescrire, sur Internet ou dans des médias anglo-saxons, va être aisément influencé par l'industrie pharmaceutique.

Il y a aussi la mentalité un peu latine des Français qui se disent qu'après-tout, s'ils ont un médicament qui peut les soulager, pourquoi pas. La sécurité sociale n'arrange rien avec le remboursement à 100% et la couverture maladie universelle qui donnent l'impression aux consommateurs que cela ne leur coûte rien. Le contexte médiatique pousse également à la consommation. Les campagnes grand public d'information, souvent financées par l'industrie pharmaceutique, encouragent l'augmentation des prescriptions.

Y-a-t-il un manque de communication entre les praticiens qui, tour-à-tour, ajoutent des traitements sans se concerter ?

Les malades ne nous disent pas tout le temps qu'ils sont allés voir un spécialiste. Et après quand ils viennent nous voir et qu'on leur prescrit d'autres médicaments, s'il y a une interférence, on leur fait changer ces médicaments mais il est trop tard : la boîte est déjà achetée. Certains patients pratiquent aussi le nomadisme médical : ils vont voir plusieurs médecins pour remplir leurs armoires. Le médicament est en quelque sorte l'obscur objet du désir. Il est devenu pour certains un compagnon de vie, une habitude.

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