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Les actes antisémites multipliés par 2 en un an : radiographie de leur nature
©Reuters

Attention danger

Les actes antisémites explosent en nombre et en violence, en horreur. Une réponse passe par l’éducation explique le Président du Crif, Roger Cukierman, mais dont le rendez-vous parait déjà manqué par le gouvernement.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Les actes antisémites (actions et menaces) ont plus que doublé en 2014 par rapport à 2013, passant de 423 à 851 actes ! C’est ce que révèlent les statistiques annuelles fournies par le Crif, qui cite des chiffres du Service de protection de la communauté juive (SPCJ) basés sur des données du ministère de l'Intérieur! La hausse la plus spectaculaire concerne les violences proprement dites (agressions, incendies, dégradation et vandalisme) : 241 recensés, soit + 130 % en un an. On se souvient de ce couple séquestré il y a peu à Créteil, la jeune femme violée et leur appartement cambriolé, par des agresseurs partant de l’idée, selon le parquet, « qu’être juif signifierait que l’on a de l’argent ».  Mesure-t-on vraiment l’horreur de ces faits et ce qu’ils annonçaient l’étape d’après ? Des chiffres où n’apparaissent pas les assassinats de ce 9 janvier dans l’épicerie cachère.

Voilà une information à retenir et à analyser dans le contexte du lendemain d’attentats terroristes qui ont visé, parallèlement à la liberté d’expression à travers des journalistes et des caricaturistes, des juifs parce qu’ils étaient juifs. Elle fait irruption sur la scène publique encore traumatisée par la barbarie. Il se trouve aussi que cela coïncide avec les cérémonies de la mémoire du 70ème anniversaire de la libération par les soviétiques du camp d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, mettant au jour « le crime des crimes » que fut la volonté d’extermination totale, idéologiquement et industriellement planifiée, d’un peuple dans l’histoire. Faut-il faire un parallèle entre l’esprit de liberté de ceux de Charlie Hebdo et la faculté d’intégration qui a toujours marquée les juifs dans leur proximité avec une République à laquelle ils ont si bien souscrits, conscients qu’elle les protégeait par les libertés qu’elle donne à tous? Faut-il voir dans l’attaque de juifs une attaque contre ceux qui sont désignés régulièrement comme des profiteurs, comme au bon vieux temps du « Juif Süss » des années noires? Est-il un hasard que la Shoah ne puisse être enseignée dans certains collèges de quartiers, en reflet des incidents qui ont pour le moins émaillé la minute de silence  du lendemain des événements ? Non ! De la liberté d’expression à l’enseignement du savoir historique, il y a un rejet qui fait continuité et qui ne vient pas de nulle part.

«Soixante-dix ans après Auschwitz, c’est la même logique qui est à l’œuvre : la haine du Juif, la lâcheté, l’ignorance, la barbarie », s’attriste Roger Cukierman, le président du conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Il y a quinze ans, avant que ne resurgisse ce fléau à la faveur de la seconde Intifada dans les territoires palestiniens, le nombre d’actes antisémites était dix fois moindre.  «La violence aussi ne cesse d’empirer», déplore-t-il encore, rappelant que ces dernières années, le gang des barbares, Merah ou Coulibaly ont «tué des Juifs parce qu’ils étaient Juifs». «La quasi totalité des actes est commise par des jeunes musulmans, issus d’une communauté où les préjugés antisémites sont désormais très ancrés. Le mal est désormais structurel, installé… »

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Il y a dans ce domaine malheureusement des signes qui ne trompent pas, comme ces cris entendus et repris en cœur par la foule des manifestations pro-palestiniennes parisiennes ou d’ailleurs, depuis l’été dernier, tels que « morts aux juifs » suivis d’ « Allah Akbar ». L’écho que reçoit chez des jeunes et des moins jeunes, issus de l’immigration, le message de haine de Dieudonné, en est encore un autre marqueur.

Il y a derrière cela une idéologie, celle de la mise en concurrence des victimes, entretenue par tout un courant où se mêlent religieux et politique, justifiée par le statut de pauvre qui colle à l’immigré identifié au musulman, en contrepoint du juif vu comme bien intégré et qui a réussi...en même temps que l’ennemi héréditaire rejoué derrière le conflit israélo-palestinien.

On assiste dans ce contexte à un mouvement de repli communautaire des Français de confession juive, poussés dans ce sens par un climat délétère dans l’école publique, dans les quartiers, qu’il faut contrecarrer en leur donnant des garanties nouvelles de sécurité et de respect de nos valeurs communes. Une situation qui s’est traduite par le départ de 7000 d’entre eux qui ont fait leur « alya » en Israël l’an dernier. Un chiffre record qui risque de s’amplifier encore.

On parle de déjouer le piège de l’antisémitisme, à l’aune de mots forts du rejet de l’abject et d’incantations républicaines. Le président du Crif, Roger Cukierman, dans un communiqué, "espère que des mesures puissantes et fortes seront prises dans les domaines de la prévention, la protection et l’éducation" pour endiguer la hausse de ces actes antisémites. Mais que dire malheureusement alors des dispositions annoncées par la ministre de l’Education nationale, Mme Najat-Vallaud-Belkacem, ce 22 janvier 2015, sur le renforcement de l’enseignement de la laïcité à l’école, qui, sur le site du ministère se traduit par le renforcement de l’enseignement dit « laïque » du fait religieux, comme si il en allait de cela, comme si, il en allait simplement de mieux connaitre la religion de l’autre pour le respecter, de cultiver on ne sait quelle tolérance et à quoi ! On ne saurait ignorer que Protestants et catholiques se sont entretués pendant des années en Irlande du Nord en connaissant parfaitement la religion de l’autre ou les chiites et les sunnites en Irak ! Nous n’en sommes vraiment plus du tout là. En réalité, on veut éviter les questions qui fâchent en renvoyant les problèmes à la problématique de la tolérance…

Renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école, c’est continuer dans cette logique qui est celle de l’intégration des enfants par leurs différences qui a renforcé le sentiment d’appartenance communautaire et avec lui, des tensions intercommunautaires qui sont un poison pour notre République. Les attentas à eux-seuls ont déjà montré que cette lecture de la situation est un total échec ! N’est-ce pas plutôt contre cette tendance à faire passer ses valeurs religieuses avant celle de la société qu’il faudrait agir, qui monte dans certaines banlieues ? N’est-ce pas cela d’abord qui conduit à l’enfermement communautaire et à reproduire des conflits religieux, et qui signe le recul de la place de la citoyenneté dans nos repères communs, de faire une seule France ?

Ne se rend-t-on donc pas compte, qu’avec cette façon de ramener la religion dans l’école, on encourage à ce que les élèves soient identifiés par rapport à une origine, une religion, qui pose le décor de toutes les fractures et à ce que le conflit israélo-palestinien resurgisse dans sa cour, puis à l’extérieur dans le quartier.

Ce dont nous avons besoin, c’est de faire que les enfants laissent la tradition et la religion à la porte de l’école pour qu’ils puissent se construire un libre-arbitre et se débarrassent des préjugés. C’est de mettre en avant le partage des mêmes biens communs de valeurs, de règles et de savoirs, qui est le chemin pour chaque enfant de sa propre liberté. C’est à avoir la liberté en commun que les enfants de notre République pourront se voir avant tout comme des citoyens, et non d’abord comme des croyants de telle ou telle religion  ou pas, à l’image de cette laïcité qui met le bien précieux de la liberté de pensée et de conscience au-dessus de nos différences, pour mieux pouvoir se respecter sans rien avoir à renier. La laïcité, c’est bien l’enjeu de la situation ici, une laïcité républicaine sans compromis, pour mieux demain enfin, peut-être, vivre sereinement ensemble.

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