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Syriza au pouvoir en Grèce : quelle onde de choc pour l’Europe ?
©Reuters

Effets collatéraux

La victoire de le gauche radicale en Grèce était attendue. Ses effets sur le reste de l'Europe, eux, restent encore mystérieux. Voir le pays qui a le plus bénéficié de l'aide européenne prendre complètement le contre-pied de l'austérité bourrait faire bouger les lignes.

Coralie Delaume

Coralie Delaume

Coralie Delaume est une blogueuse, journaliste et essayiste française. Elle est diplômée de l’Institut d'études politiques de Grenoble, elle devient ensuite journaliste et chroniqueuse pour plusieurs médias. Spécialiste de la gouvernance économique européenne, elle crée le blog L'arène nue en février 2011.

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Jean Luc Sauron

Jean Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est Haut fonctionnaire, professeur de Droit européen à l'Université Paris-Dauphine.

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Atlantico : Que signifie cette large victoire de la gauche radicale en Grèce pour l'ensemble de l'Europe ?

Jean-Luc Sauron : Le débat politique en Europe va bien évidemment être impacté par la victoire de Syriza. Mais il est trop tôt pour savoir comment le monde politique grec va gérer lu-même cete victoire. Syriza sera d'abord mobilisé par la mise en place d'un nouveau gouvernement et à l'établissement de la nouvelle direction de l'économie grecque. Curieusement les urgences politiques de Syriza seront sans doute très grèco-grecques.

>>> A lire aussi : La Grèce ou la tragique illustration de la capacité de l’Europe à perdre sur tous les tableaux

Coralie Delaume : Syriza a obtenu 149 sièges sur 300 au parlement grec. Il manque de deux sièges la majorité absolue. Il va donc devoir se mettre en quête d’alliés pour pouvoir former un gouvernement. Malgré tout, ça reste une victoire spectaculaire, qui donne à Alexis Tsipras une puissante légitimité démocratique.

C’est nouveau et significatif. Nouveau parce que la Grèce était devenu un pays sous tutelle. Clairement, la démocratie avait désertée pays. Or celui-ci vient de signifier, me semble-t-il qu’il souhaite récupérer la maîtrise de son destin.

C’est significatif parce que le peuple grec a su résister à tous les chantages. A celui de Bruxelles tout d’abord : on se souvient de la sortie de Jean-Claude Junker affirmant qu’il préférait voir des « visage amis » prendre le pouvoir à Athènes. Au chantage de Berlin également. Les Allemands n’ont pas été avares de sous-entendus scabreux au cours des dernières semaines, allant jusqu’à distiller l’idée que la Grèce pourrait être contrainte de quitter la zone euro en cas de victoire de la « gauche de la gauche ». Ce que Syriza n’a pourtant jamais envisagé dans son programme. Il s’agissait donc, à l’évidence, d’une opération d’intimidation de l’électorat hellène. Mais celui-ci vient d’administrer la preuve d’une belle force de caractère en refusant de céder aux menaces. C’est un très bon point pour la démocratie dans ce pays. C’est aussi un signal fort adressé à l’Europe entière.

Enfin, la victoire de Syriza s’accompagne du mauvais score du parti Aube Dorée. Cela semble montrer que la montée de l’extrême-droite à la faveur de la crise n’est pas une fatalité. Au bout du compte, la poussée des extrême-droites dans de nombreux pays du continent est une aubaine pour les tenants de l’européisme le plus conservateur. Ça leur permet de faire accroire que tous leurs adversaires – souvent qualifiés « d’europhobes » pour faire encore plus peur – sont de dangereux fascistes. Impossible d’user de cet argument avec Syriza. Il ne leur reste donc plus qu’à hurler au bolchevisme et ça, c’est sûr, on n’y coupera pas. 

Le parti d'Aléxis Tsípras n'a cessé de promettre une renégociation de la dette grecque, ce qui avait inquiété la "troïka" des créanciers de la Grèce mais également de nombreux pays européens. Quelles sont les intentions de Syriza ? A-t-il les moyens de ses promesses ? 

Coralie Delaume : Beaucoup d’économistes savent et disent que la dette grecque n’est pas soutenable. Le problème, c’est que l’organisation actuelle de l’Europe produit des situations ubuesques. Depuis le début de la crise, tout le génie des techniciens supranationaux a consisté à faire passer les dettes des mains des créanciers privés à celles de créanciers publics. C’est cela qu’on a appelé le « sauvetage de la Grèce ».

Les marchés, eux, ont certes subi des pertes à l’occasion des restructurations précédentes (haircut) mais c’est leur métier, de prêter à risque. D’ailleurs, ils avaient préalablement touché des intérêts substantiels en prêtant à la Grèce à des taux élevés. Aujourd’hui, ils ont retiré leurs billes et le risque a été tranquillement transféré vers des institutions publiques : Etats membres de la zone euro dans le cadre de prêts bilatéraux, mécanisme européen de stabilité (MES), banque centrale européenne.

Le moins que l’on puisse dire est que cela complique les choses ! Pourtant, les faits sont têtus : en l’état, la Grèce est insolvable. Il faudra bien trouver une solution. 

Une sortie de la zone euro est-elle encore à l'ordre du jour si les négociations n'aboutissent pas ?

Jean-Luc Sauron : Il y aura négociations. L'équilibre doit être trouvé entre les respect de la parole donnée par Syriza à ses électeurs et le respect de la parole donnée aux autres gouvernements européens par le précédent gouvernement grec de M. Samaras. Rien que de très normal dans une démocratie européenne en marche...Il y aura des négociations sur l'euro. La solution est moins compliquée que certains le souhaiteraient : il est envisageable d'allonger la maturité des remboursements dus par la Grèce, notamment en tant que les détenteurs de la dette grecque sont aujourd'hui des institutions ou des gouvernements européens. L'impact sur l'euro est contrôlable sauf à ce que des acteurs souhaitent spéculer à l'encontre de la valeur de l'euro. Les ennemis de l'euro sont davantage à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Europe !

Coralie Delaume : C’est difficile à dire. Syriza ne le propose pas et les Grecs ne le souhaitent pas. Ce peuple est éreinté. Il a été martyrisé  - et ce n’est pas un abus de langage - par la Troïka. Un « Grexit » serait évidemment un gros choc, et on comprend les réticences….

Mais il y a les intentions initiales d’une part, et les surprises que peut réserver l’enchaînement des évènements d’autre part. Or le moins que l’on puisse dire est que ça se bouscule quelque peu ces temps derniers. Il se trouve que par un curieux hasard, le scrutin grec livre ses résultats au moment précis où le patron de la banque centrale européenne Mario Draghi, lance une vaste opération de rachat des dettes souveraines, un «quatitative easing» (QE) via lequel plus de 1100 milliards d'euros seront injectés dans l'économie européenne.

Cela n’aura probablement pas les effets escomptés en matière de conjuration du risque déflationniste, et ça a surtout induit, dans un tout premier temps, une montée des bourses.

Mais ce sont plutôt les modalités de mise en œuvre de cette opération qui sont intéressantes. Aux termes d’un long bras de fer avec l’Allemagne, hostile par principe et par tradition à toute création monétaire (Jens Weidmann, président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, a d'ailleurs voté contre), la BCE a pu lancer son programme. Mais elle a dû faire des concessions à Berlin. Or ces concessions fragilisent considérablement la zone euro. Pour faire simple, les choses vont se passer ainsi : les risques liés au rachat des titres de dette ne seront pris en charge par la BCE qu'à hauteur de 20 %. Les 80 % restant seront eux assumés... par les banques centrales nationales ! C’est une véritable «dé-mutualisation» du risque qui ouvre la porte, ni plus ni moins, à une renationalisation de la politique monétaire par les pays de l’eurozone.

La victoire de Syriza en Grèce est un évènement important, mais un évènement qui prend place dans un contexte. Ce contexte est celui d’une fragilisation de la zone euro sous impulsion allemande.

M. Tsipras a assuré mener bataille "pour tous les peuples d’Europe", pour "mettre fin à l’austérité" et ainsi éviter "la fin de la démocratie". Cette victoire constitue-t-elle un danger ou une chance pour l'Europe ? Pourrait-elle  infléchir la ligne anti-austérité et réorienter l'Union européenne comme beaucoup de commentateurs le souhaitent ? 

Jean-Luc Sauron : Il convient de trier les déclarations de "campagne" des déclarations à venir. Il est certain que les prochaines élections en Espagne ou en France devront être analysées à la lumière de la victoire de Syriza de ce 25 janvier. Mais l'enjeu est tout d'abord grec. Si Syriza échoue, l'alternative est réduite et le pays pourrait basculer vers l'extrême droite civile ou... militaire. Le pays est fragile et les séquelles de la dictature des colonels demeurent importantes.

Coralie Delaume : Un danger ou une chance… Cela dépend de quel point de vue on se place et quel genre d’Europe on souhaite. Les conservateurs, ceux qui souhaitent la pérennité, quoiqu’il en coûte, d’une Europe de l’austérité et de la technique telle qu’issue des traités de Maastricht et de Lisbonne, y voient un danger.

Ceux qui aspirent à une Europe faite de coopération internationale (et non plus de coercition supranationale) entre des pays souverains gouvernés démocratiquement, y voient une opportunité…

Que signifie cette victoire symbolique de la gauche radicale pour les autres gauches européennes ? Peut-on imaginer des alliances et d'autres victoires dans d'autres pays européens ?

Jean-Luc Sauron : Ce sera aux dirigeants européens d'entendre le vote des Grecs qui est représentatif des souffrances d'autres populations européennes qui identifient l'Europe politique à la régression sociale. Le discours alarmiste sur le vote de ce week-end est irresponsable. Il faut en profiter pour assurer une pérennité à la remise à plat des comptes publics en Europe, mais à un rythme plus supportable pour les populations. La croissance ne redémarrera que par la lutte contre les inégalités que la poursuite comptable et notariale de l'austérité ont creusé. En réalité, il faudrait une politique européenne conduite sur un temps long, servie par une gouvernance politique dégagée des seuls égoïsmes nationaux.

Coralie Delaume : Comme vous le soulignez, c’est une victoire symbolique, qui pourrait avoir un effet d’entrainement. Syriza a un "parti frère" en Europe. Il s’agit de Podemos, en Espagne. On le sait Pablo Iglesias, chef de file de Podemos, était à Athènes pour soutenir Syriza le 22 janvier. Tsipras avait alors eu ce mot : "d'abord nous prenons Athènes, ensuite nous prenons Madrid". De fait, Podemos a le vent en poupe en Espagne, où les sondages le créditent d'excellents scores. La différence est que le parti socialiste espagnol, qui a obtenu un score de 23% aux élections européennes de juin dernier, n’est pas encore étrillé comme l’est le Pasok grec.

Mais l'année 2015 est justement celle des législatives espagnoles. Le parcours de Podemos dans les mois qui viennent et sa capacité - ou son incapacité - à s’imposer comme une véritable gauche de substitution au PSOE, seront donc intéressants à observer. 

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