La loi Macron ou la dernière illustration en date de la victoire du trotsko-libéralisme que représente le quinquennat Hollande<!-- --> | Atlantico.fr
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La loi Macron dans le viseur
La loi Macron dans le viseur
©Reuters

Baptême de feu

Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron monte lundi à la tribune de l'Assemblée nationale pour défendre son projet de loi. Une loi décriée de toutes parts qui ne s'attaque pas aux vrais problèmes, en crée là où il n'y en a pas et participe surtout d'une véritable perte de repères au sein de la société.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Dans un texte célèbre, Karl Marx, prophète de la révolution prolétarienne, célébrait le rôle déjà  révolutionnaire du capitalisme :

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire (...)Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". (...)  Elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce (...).

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. (...)

La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux (...) Ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédente(Karl Marx, Manifeste du parti communiste, chapitre I)

Marx aurait-il  eu raison ?

Il est en tous les cas difficile de comprendre ce qui arrive aujourd'hui à la société française sans s'y référer.

Un changement toutefois depuis le XIXe siècle : la génération qui a suivi Mai 68 a compris que les bouleversements qu'amenait avec lui le capitalisme n'étaient pas seulement le prélude de ceux que devait apporter "la révolution",  mais qu'il était possible d'aller beaucoup plus loin dans  la radicalité en faisant l'économie d'une révolution sociale, forcément austère. On pouvait même, habileté suprême, opérer ce travail de destruction propre au capitalisme libéral en se réclamant  de la gauche !  

C'est dans ce contexte que s'inscrit la frénésie de réformes, plus inutiles les unes que les autres, qui touchent aujourd'hui la famille, l'école, l'organisation territoriale et, au travers de la loi Macron, les professions réglementées.

Nous appelons ce travail de déconstruction systématique le "trotsko-libéralisme" car il plait autant aux doctrinaires du libéralisme qu'aux nihilistes libertaires. Si, parmi les disciples de Marx, les communistes "orthodoxes", sous la férule de Staline ou de Thorez, furent parfois soucieux (après avoir beaucoup détruit) de reconstruction sociale, les héritiers de Trotsky, nombreux aujourd'hui dans les allées du pouvoir actuel, ou les médias n'eurent  jamais ce scrupule.

La déconstruction à l'ordre du jour

Si l'on cherche le fil conducteur des réformes entreprises par le gouvernement socialiste - et même pour une part par ses prédécesseurs - , on n'en trouvera pas d'autre que ce que Jacques Derrida appelait la "déconstruction" de tout ce qui contribue à structurer la vie de nos concitoyens, à garantir le lien social .

On qualifiera cette doctrine de  "libéralisme" : néo ou ultra.  Il est vrai que, par un paradoxe qui n'est qu'apparent pour un gouvernement qui se dit socialiste, une prétention libérale inspire une partie de ces réformes. Mais pourquoi alors poursuivre un long travail de sape contre la médecine dite "libérale", au travers par exemple de la généralisation du tiers payant promis par Mme Touraine ? Pourquoi, sinon parce que le médecin de famille contribue au lien social et donc à une société plus humaine ?  Quel rapport entre le libéralisme et la mégalomanie qui inspire le  regroupement des régions quand on sait qu'elles étaient  déjà  aussi grandes que dans le reste de l'Europe et que toutes les opérations de "fusion-acquisition" opérées dans la sphère  publique n'allègent pas, mais au contraire alourdissent les coûts ?

On allèguera l'impératif budgétaire. Et il est vrai que ces réformes ont pour but de faire croire à Berlin ou à Bruxelles que Paris fait des efforts pour réduire ses déficits. Mais qui espère des économies sérieuses de la loi Macron ? Et puisque nous venons de l'évoquer, qui ne voit que le tiers payant est  une incitation à dépenser ? De fait si l'on regarde une à une les réformes prétendues libérales qui ont été concoctées depuis 25 ans (à commencer par les multiples lois de décentralisation et les successives réformes de l'Etat), on peut dire que toutes ont  contribué à alourdir les charges publiques. Ne serait-ce  que parce que beaucoup de ces lois démultiplient les pôles de décision ou que, déstructurant les repères de travail, elles démotivent les agents.

Faut-il rappeler en outre que tout  ce qu'on se propose de défaire aujourd'hui pour faire des économies existait dans les années 1950 et 1960 où la France avait vingt points de moins de prélèvements obligatoires. Comment faisait-on donc ?

L'effet commun à toutes ces réformes est un affaiblissement des repères de toute sorte qui structurent une vie humaine normale : déstructuration du temps au travers de l'extension du  travail du dimanche (dont il ne faut attendre naturellement aucune extension du pouvoir d'achat, seule variable qui importe), mais aussi du refus d'un  enseignement de l'histoire chronologique, voire de l'histoire tout court. Relâchement de  la langue, de la grammaire, de l'orthographe dont la légitimité est  remise en cause , brouillage de la nationalité, refonte de la plupart des cadres territoriaux : commune, département, région, au bénéfice de nouvelles entité artificielles, suppression et surtout non remplacement des vieux rites de passage comme le service militaire, le certificat d'études, le brevet et bientôt du bac. Les corps constitués de toute sorte ( police, gendarmerie, instituteurs  ...) sont remis en cause sur fond de dénigrement du corporatisme français qui serait la cause de tous nos maux  alors qu'il a été à la base de tous nos succès. N'est-ce pas l'esprit de corps qui assurait le zèle des fonctionnaires ?  L'essor remarquable des trente glorieuses aurait-il été possible sans l'ardeur des corps prestigieux des mines, des ponts, du génie rural, de l'armement ?

Et ne fallait-il pas un cadre solide pour avancer, celui qu'offrait entre autre un corps notarial ou un système de santé solide ? Précisément ce qui manque cruellement à la plupart des pays en voie de développement.

Et que dire de la famille et de la différence sexuelle, symbole emblématique des repères qui structurent les apprentissages, également déstabilisés  ?

Si l'on ajoute à cela la crise, bien réelle, du catholicisme, comment s'étonner que ces Français paumés s'orientent vers le vote de rupture ou l'abstention ? Que restera-t-il comme point d'ancrage à un jeune complètement perdu si ce n'est l'adhésion à quelque idéologie simpliste et qui lui semble forte, comme l'islamisme radical, seul aujourd'hui sur le marché ?

Le libéralisme n'explique pas tout

L'affaire dépasse la France. La loi Macron qui va être débattue au Parlement, pot-pourri de différentes réformes supposées libérales (dont bien peu sont vraiment utiles en dehors de celle du permis de conduire) est pour une large part  la transposition de directives européennes prises au nom de l'Acte unique de 1987. Cet acte unique visait à "parfaire le marché intérieur", c'est-à-dire à araser toutes les différences ou tous les statuts professionnels qui empêcheraient l'Europe d'être un marché pur et parfait.

Aberration : d'abord parce que le marché pur et parfait est un idéal scolaire qui n'existe que dans les livres d'économie (Même les Etats-Unis ne sont pas un marché parfait comme le voudrait la commission de Bruxelles). Ensuite parce que chacun sait que le marché, assurément nécessaire, ne fonctionne que s'il est encadré par une structure échappant à ses lois : tout le secteur régalien, bien sûr,  mais aussi les professions réglementées à caractère structurant, en particulier juridiques. Paradoxe : ce projet fou d'extension illimitée du marché a été conçu par de hauts-fonctionnaires d'obédience démocrate-chrétienne dans la mouvance de Jaques Delors alors que rien n'est aussi opposé à la doctrine sociale chrétienne.

Autre caractère de ce travail d'arasement : il vise particulièrement les classes moyennes, d'abord celles qui se trouvent dans le secteur réglementé, mais aussi les autres au travers d'une fiscalité qui s'alourdit toujours malgré le discours libéral. Ces classes moyennes n'ont pas, elles aussi, le défaut de structurer la  société, de faire obstacle à son atomisation totale. De nos zones rurales disparaissent ou ont disparu la mairie, l'école, le presbytère : et maintenant  le médecin, le pharmacien, le notaire ? Même désagrégation fatale dans certaines banlieues.

L'idéologie ultralibérale n'est pas la seule référence de l'entreprise de déconstruction en cours. On a évoqué la bureaucratisation projetée de la médecine. Mais d'autres idéologies contribuent depuis déjà un certain temps à déstructurer l'éducation nationale et, à leur manière, participent elles aussi de ce que nous appelons le trotsko-libéralisme. D'abord l'égalitarisme sans frein qui, par souci de non discrimination, aboutit à affaiblir sans cesse  le contenu des savoirs : la suppression des notes envisagée par Mme Vallaud-Belkaem en est l'ultime avatar. Les pédagogies faussement scientifiques ont eu l'effet destructeur que l'on sait. Le marxiste Bourdieu pour l'égalitarisme, le chrétien de gauche Meyrieu pour la pédagogisme ; deux "dieux" qui ont détruit une école qui fut jadis un modèle dans le monde !

D'inspiration opposée mais convergents dans la déstructuration, le libéralisme économique et les idéologies de l'Education nationale se complètent aussi en ce que celles-ci ont, par la baisse des niveaux, ouvert un large espace à la marchandisation de l'enseignement. Bruxelles encourage les uns et les autres.

Notons d'ailleurs que la responsabilité de ces réformes, inscrites sur le long terme, a été partagée entre la droite et la gauche, non parce qu'elles seraient neutres politiquement  mais du fait de l'indigence intellectuelle d'une  partie de la droite qui, faute de réflexion propre, a adopté passivement les schémas intellectuels  du camp d'en face. Et ce phénomène de dépendance intellectuelle n'est pas ce qui menace le moins la droite si elle revient au pouvoir en 1997. Empêcher qu'elle  enfourche à son tour le trotsko-libéralisme (que les Français détestent !)  n'est pas le moindre enjeu des mois à venir.

Un autre fil conducteur de ces réformes destructrices pourrait être le souci pur et simple, décrit par Guy Debord, d'entretenir le spectacle politique.

Mais il vaut mieux insister sur le caractère idéologique de ces réformes. Tout réduire à quelques principes simples, sans nuances, sans exceptions, sans ce travail de croisement  avec d'autres impératifs qui est le b a ba de l'art politique, telle est la racine de l' idéologie. Le tout-marché, la recherche systématique de la grande dimension dans la gouvernance publique sont des idéologies, le collège unique procède d'une idéologie.  Là où la vraie politique part du réel et fait la part de la complexité, la politique idéologique ignore le réel, applique unilatéralement des principes, peu nombreux et a priori et arase la complexité.

L'idéologie va toujours avec une fausse idée du progrès qui permet de diviser le monde en progressistes, ceux qui adoptent ses idées folles, et réactionnaires, qui y résistent  et,  par là, de pratiquer un terrorisme intellectuel d'autant plus implacable que les idées sur lesquelles elle se fonde sont peu assurées.

Ce déni du réel peut aller jusqu'à la fausse science comme la théorie du genre, aussi absurde que l'était la génétique de Lyssenko imposée par Staline, voire le créationnisme intégriste.

Détruire ce qui marche

Enfin l'idéologie n'épargne que ce qui ne marche pas : dans la France de Hollande, pas de prise à bras le corps de problèmes comme l'illettrisme, le chômage, l'immigration, les retraites, la désertification d'une partie de la France ;  en revanche est  dans le collimateur à peu près tout ce qui va bien : qui s'est jamais plaint avant  la loi Macron de notre système notarial, de notre système de distribution ?  Ce qui reste de  la puissance française est menacé :  une situation démographique moins grave que d'autres pays et on démantèle la politique familiale, une armée qui tient encore la route et on l'épuise de coupes budgétaires, EDF, et on le coupe en morceaux et, quoi qu'on dise, la SNCF qui pourrait être déstabilisée par la réforme projetée du transport routier,  comme le chemin de fer le fut  en Amérique, les grandes écoles, inséparables du fameux corporatisme tant décrié et toujours dénigrées, etc. Dès que quelque chose marche, l'idéologie le prend en grippe. Nous avons vu ces jours-ci comment l'ultralibéralisme, par la cession des meilleurs morceaux d'Alstom, a démonté notre filière nucléaire. Ne se croirait-on pas (en mois sanglant heureusement) dans l'URSS des années trente qui a vu la destruction de l'agriculture et de la petite entreprise, parce qu'elles n'étaient pas conformes à l'idéologie.

Où cela conduit-il ? L'étatisation de l'agriculture soviétique l'avait détruite. Pour y remédier, on ne savait proposer que davantage de contrôle étatique... jusqu'à la chute finale qui a rétabli la propriété privée. Le  ralentissement général de l'économie européenne ne coïncide-t-il pas aujourd'hui avec la généralisation tout-marché qui inspire M.Macron ? Que propose-t-on de faire, maintenant que nous sommes passés de la stagnation à la récession : encore plus de libéralisation !  Le laxisme théorisé de Bourdieu a détruit l'excellence scolaire qui faisait notre force : que propose-t-on ? la suppression des notes  !

Et tout cela jusqu'à quand ? La chute finale aussi ?   

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