Elections en Grèce : Syriza, c’est quoi, exactement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des élections législatives sont organisées ce dimanche en Grèce.
Des élections législatives sont organisées ce dimanche en Grèce.
©Reuters

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C'est ce dimanche que nous saurons si Syriza devient oui ou non le parti majoritaire de Grèce. De gauche radicale, contre la politiques d'austérité imposée par la Troïka… d'aucuns disent qu'il pourrait faire sortir le pays de la zone euro.

Fabien Escalona

Fabien Escalona

Fabien Escalona est enseignant en science politique à Sciences Po Grenoble, collaborateur scientifique au Cevipol (Bruxelles).  Il est co-directeur du Palgrave Handbook of Social Democracy(Palgrave Macmillan, 2013) et auteur de La social-démocratie, entre crises et mutations (Fondation Jean Jaurès, 2011).

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Atlantico : Alexis Tsipras, son fondateur et leader charismatique, est-il aussi "antisystème" qu'on le dit ? Quel est l'ADN de son parti ?

Fabien Escalona : Tsipras est un leader populaire, mais je ne suis pas sûr qu’il soit à ce point charismatique. Ce n’est en tout cas pas cette ressource principale qui lui permet de diriger Syriza, qui a une vie intra-partisane assez riche. Qualifier Syriza ou son leader d’ "antisystème" est en tout cas trop ambigu à mon sens. Il s’agit avant tout d’un parti de gauche radicale, qui souhaite effectivement en finir avec les politiques d’austérité imposés par les mémorandums de la Troïka.

Les responsables de Syriza n’ont pas la volonté de faire sortir le pays de la zone euro, ils proclament même le contraire. Le courant de gauche de Syriza, qui y serait plutôt favorable, n’en fait pas un préalable : il l’envisage plutôt comme une conséquence quasi-inévitable de la renégociation à mener sur la dette du pays. Le fameux "Grexit" n’interviendrait que si (1) l’UE utilise des armes de rétorsion massives contre la politique de Syriza, comme la BCE l’a fait avec Chypre en 2013 ; et si (2) le gouvernement Syriza choisit de ne pas céder. La limite que Tsipras a posée est "la dignité" : c’est un peu flou… Cela traduit le fait que le rapport de forces effectif sera déterminant, mais que les leaders de Syriza sont en fait peu préparés à une offensive frontale de la part des créditeurs de la Grèce.

Quelles sont les principales propositions de Syriza ? Celles-ci sont-elles raisonnables, ou au contraire qualifiables de populistes ?

Le parti promeut d’abord des mesures destinées à répondre à l’urgence sociale, voire humanitaire (rétablissement de l’électricité dans les foyers démunis, des repas scolaires dans les écoles, etc.). Il veut ensuite revenir sur des dispositions des mémorandums très négatives pour les salariés, comme la baisse du salaire minimum et la destruction de conventions collectives. Le point le plus problématique concerne la renégociation de la dette, incontournable selon le parti pour reconstruire l’économie du pays, relancer l’investissement. Syriza entend aussi s’attaquer à la corruption, au clientélisme et aux privilèges qui gangrènent l’Etat grec, qu’il souhaite plus largement démocratiser.

Des propositions populistes ? Je ne vois pas trop ce que ça veut dire, ce mot est tellement chargé et flou en même temps… Des propositions raisonnables ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais je ne vois pas en quoi elles seraient plus déraisonnables que la politique actuelle, qui a dévasté l’économie et la société grecque : le taux de chômage atteint 25% de la population active et le double chez les jeunes, tandis que l’activité s’est tellement effondrée que malgré des excédents primaires, le ratio dette/PIB continue d’augmenter. Même le Financial Times a reconnu la rationalité des propositions de Syriza ! Et je ne suis pas sûr que ce journal se voie lui-même comme populiste…

D'où vient ce parti ? Par quelles étapes successives s'est-il imposé comme celui que tout le monde considère déjà comme le vainqueur ?

Avant 2012, Syriza n’était qu’une coalition, qui s’illustrait déjà par son hostilité à l’austérité et son absence de coopération avec le Pasok, dont la conduite au pouvoir ne l’a donc pas entaché. La transformation en parti s’est faite à partir de 2012, et a été consacrée par un congrès fondateur en juillet 2013. Syriza est donc le fruit d’une recomposition partisane, à partir d’un ensemble d’organisations caractérisées par des cultures politiques très variées (communisme, mouvements sociaux, écologie politique…), mais appartenant toutes à l’espace de la gauche radicale. La plus importante de ces organisations était Synaspismos, le parti de Tsipras. De façon générale, une grande partie de l’appareil provient de scissions du parti communiste grec (le KKE), intervenues à la fin des années 70 puis au début des années 90 en raison du sectarisme de ce dernier. C’est aussi ce qui explique pourquoi les rapports avec lui sont si tendus.

Depuis au moins les années 2000, les composantes de Syriza sont impliquées dans les divers mouvements sociaux de la société grecque, sans les dénigrer ni tenter de les instrumentaliser. Cela a été un atout pour crédibiliser le parti comme celui de l’anti-austérité, au moment des grandes mobilisations contre les mémorandums. Syriza s’est engagée très concrètement contre les conséquences de l’austérité, en organisant des actions de solidarité sur le territoire. Et enfin, alors que le Pasok s’effondrait, le parti a proposé non pas une simple résistance, mais s’est dit prêt à assumer le pouvoir. Il a incarné, dans des circonstances particulières, la "radicalité concrète" dont Jean-Luc Mélenchon a lui aussi voulu se faire le héraut en France. Le succès de Syriza a donc dépendu à la fois de facteurs structurels et exogènes (l’ampleur de la crise, l’effondrement de la social-démocratie) mais aussi de facteurs politiques et endogènes (les liens avec la société, une autonomie stratégique, un leadership jeune et efficace).

Lundi 25 janvier, le NPA, le Parti de gauche, le Parti communiste, Europe Ecologie les Verts et des syndicats se sont réunis lors d’un meeting en soutien à Syriza. Jean-Luc Mélenchon a estimé que si ce dernier l’emportait, avec à sa suite le mouvement Podemos en Espagne, l’heure de la gauche radicale française pourrait venir. Tous ces partis forment-ils un courant homogène, ou bien les réalités nationales restent-elles tout de même plus fortes ?

Parmi tous les noms de partis que vous citez, il y a évidemment des différences inter et intra-nationales qui interdisent de les voir comme un tout homogène. Si c’était le cas, nous n’aurions pas assisté en France à tous les atermoiements stratégiques de cette "autre gauche" au moment des municipales, et Podemos ne susciterait pas autant de méfiance chez certains partis les plus anciens de la gauche radicale européenne.

Mélenchon est évidemment intéressé par la Grèce et par l’Espagne, car dans les deux cas les partis de gauche en tête des intentions de vote ont fait le choix d’une véritable autonomie par rapport à la social-démocratie. Il tente aussi de compenser l’absence de mobilisations populaires en France par un mouvement constituant. D’autres facteurs rendent cependant difficile une réplique française de ce qui se passe en Espagne ou en Grèce (l’ampleur de la crise, les institutions de la Vème République, la construction inachevée du Front de gauche, ses occasions ratées…).

Pour le reste, on ne peut écarter qu’un succès grec crédibilise davantage la gauche radicale dans d’autres pays, surtout dans ceux qui se considèrent comme des "perdants de la zone euro.

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