Les musulmans, des Français comme les autres pour près de 8 sondés sur 10 mais la lutte contre les paroles et actes anti-musulmans jugée moins prioritaire que celle contre le racisme anti-blanc et l’antisémitisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Les musulmans sont considérés comme des Français comme les autres
Les musulmans sont considérés comme des Français comme les autres
©Reuters

Sondage exclusif CSA-Atlantico

Un sondage exclusif CSA pour Atlantico sur la lutte contre les discriminations.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Vous trouverez en première page la lecture du sondage par Yves-Marie Cann, directeur du pôle Opinion de l'Institut CSA. En deuxième page, une analyse de ces résultats avec Guylain Chevrier, membre auprès du Haut-conseil à l'intégration.

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Yves-Marie Cann : Un point est forcément frappant lorsque l'on regarde ce premier volet du sondage, c'est que les types de discriminations sont systématiquement une question prioritaire, quelle que soit leur nature. Dans le détail, un certain nombre de nuances ressortent : les luttes contre les discriminations ne sont pas toutes mises sur un pied d'égalité en termes de priorité. Le dégradé de nuances le plus marqué apparaît en fonction de la préférence politique exprimée par les personnes interrogées. Ainsi, les sympathisants du Front national se démarquent assez nettement sur deux points : les discriminations ethniques, et les discriminations concernant l'orientation sexuelle. Cependant, elles demeurent prioritaires pour une majorité d'entre-eux. Au final, ces résultats témoignent de la légitimité dont bénéficient les pouvoirs publics, du point de vue de l’opinion publique, à lutter contre toutes ses discriminations.

>> Lire également Apartheid : de l’Etat, des habitants des zones concernées et du contexte économico-social, qui est responsable de quoi ?

Yves-Marie Cann : Comment pour le premier volet du sondage, les résultats sont massivement orientés en faveur de la lutte contre les paroles et les actes visant à stigmatiser certaines catégories de population, notamment en raison de leurs croyances religieuses. La lutte contre les paroles et les actes anti-blancs fait consensus quelle que soit la sensibilité politique des personnes sondées. De même, sympathisants PS et UMP (95% et 93% respectivement) s’accordent pour juger prioritaire à la quasi-totalité d’entre eux la lutte contre les paroles et les actes antisémites. En revanche, si les réponses sont encore très majoritairement positives de la part des sympathisants FN, nous enregistrons un score inférieur d’une vingtaine de points comparativement aux deux principales formations gouvernementales.

C'est à propos de la lutte contre les paroles et les actes antimusulmans qu'on observe les plus grandes divergeances : plus la sensibilité politique des personnes interrogées va à droite, et plus la priorité accordée à lutter contre eux baisse passant de 95% chez les sympathisants PS à 55% chez ceux du FN. 

>> Et pour aller plus loin sur le sujet : "C’est dur d’être élu par des cons" : quand la dénonciation obsessionnelle de l’islamophobie cache surtout un incroyable mépris pour le peuple en général et les musulmans en particulier

Yves-Marie Cann : Ce volet du sondage est intéressant car les traditionnels clivages partisans se retrouvent beaucoup plus que pour les précédents. Ces résultats illustrent une tendance de fond, que l'on observe depuis un certain temps, notamment sur le fait qu’il y aurait trop d'immigrés en France (opinion partagée par 66% des personnes interrogées). En 2012, ce chiffre était à peu près équivalent (69%) dans une étude menée par l’Institut CSA pour la CNCDH. Il s’agit d’un phénomène qui a surtout pris de l’ampleur dans les années 2000 et s’est stabilisé depuis, autour des 2/3 des Français.

Notons que l’immigration taraude une proportion significative, quoique minoritaire, de sympathisants socialistes. Ceci démontre que sur ce terrain un glissement s’opère en faveur de la droite. De même, une forte proportion de sympathisants socialistes se retrouve dans l'idée que les immigrés ne font pas suffisamment d'efforts pour s'intégrer (50%), et 4 sur 10 estiment que la plupart des immigrés viennent principalement en France pour profiter des avantages sociaux de notre pays, un score important. Le sujet n'est donc pas une source de division à droite mais par contre il l'est clairement à gauche, ce qui représente un défi pour ses représentants.

Yves-Marie Cann : Les perceptions sont peu ou prou les mêmes en fonction des religions, sauf pour les Français de confession musulmane. Ces résultats illustrent les crispations que suscite aujourd’hui la place de l’Islam auprès d’une partie de la population. Ceci étant dit, il convient d’insister sur le fait que près de 8 personnes sur 10 estiment aujourd’hui que les Français de confession musulmane sont des Français comme les autres, 53% le pensant "tout à fait". Les sympathisants socialistes se situent au-dessus de la moyenne nationale (88% sont d’accord avec cette affirmation), ceux de l’UMP étant légèrement en dessous (73%).

Atlantico : Alors qu'il est fréquemment redouté dans les médias une augmentation des actes islamophobes depuis les attentats de Charlie Hebdo, cette préoccupation arrive en dernière position parmi les autres discriminations. Comment expliquer que les Français, au regard des résultats de ce sondage, n'y accordent pas plus d'attention ?

Yves-Marie Cann : Il faut relativiser les écarts que l'on observe entre les degrés de priorité accordés aux différentes discriminations, mais ces résultats peuvent être le reflet de plusieurs facteurs : davantage que la religion juive, la religion musulmane est un sujet de crispation notamment chez les sympathisants du Front national, ce qui tire les résultats vers le bas. De plus, le fait que l'attention médiatique ne soit pas forcément du même niveau entre la stigmatisation des musulmans et des juifs peut contribuer à ce décalage. Il serait d'ailleurs intéressant de voir les prochains résultats sur le même sujet suite au travail de sensibilisation amorcé par l'observatoire de l'islamophobie.

>> Et sur ce sujet : +110% sur les actes anti-musulmans selon l’observatoire de l’islamophobie : radiographie de ce en quoi ils consistent exactement

Guylain Chevrier : Tout d’abord, parce que ces actes, malgré la publicité qui en a été faite, sont restés limités, 88 menaces et une trentaine d’actions directes d’atteinte aux biens et risques sur des personnes, sans commune mesure avec ce qu’on été les attentats terroristes que nous avons connus ou les menaces incessantes contre des journalistes, caricaturistes. On a pu même avoir l’impression d’une exagération de ces actes antimusulmans par les médias comme pour faire bonne mesure. En réalité, c’est notre vivre-ensemble qui est questionné. Les Français ressentent, à travers la montée des affirmations identitaires qui redouble le problème sensible de l’immigration, que ce qui est querellé au fond, c’est la façon de faire société ensemble, sur quelles valeurs. Le principe qui consiste à mettre ses valeurs religieuses avant celles de la société, qui marque une partie de l’islam en France, est au cœur de ce sujet. C’est la République, un modèle de principes et de valeurs qui est le nôtre traversé de part en part par le principe d’égalité qui ne voit pas d’abord des individus différents mais des citoyens, sur lequel on pensait la société bien assise, qui a été largement remis en cause ainsi et depuis plusieurs décennies. Voilà ce que l’on pourrait lire derrière l’ordre dans lequel se présentent une certaine sensibilisation aux différentes discriminations mettant en dernier la lutte contre les paroles et actes antimusulmans. On remarquera malgré tout que les personnes interrogées mettent en troisième position, à 47%, comme « tout à fait prioritaire » de lutter contre les paroles et actes antimusulmans, et si on ajoute ceux qui pensent qu’elle est « plutôt prioritaire, on arrive à un total élevé de 80%. Si on compare avec le caractère prioritaire donné à la lutte contre les actes antisémites on arrive à 88% donc à plus, et pour les actes anti-blancs à 88% aussi. On peu en conclure que, bon en mal an, les choses se tiennent dans une relative tendance générale au rejet des discriminations, quelles qu’elles soient, en reflet de l’esprit d’une société française qui reste favorable au mélange et non à une séparation selon les différences, malgré des problèmes. 

On peut voir la même lecture dans le sondage à travers le fait que les catholiques sont plus perçus, à 97%, comme « des Français comme les autres » que les musulmans, qui arrivent en dernière position mais avec un chiffre très fort, à 79% pour les sondés. Ce qui montre combien on est loin d’une société du rejet de l’autre pour autant. C’est une chance pour tous, qui exige de la part de la France mais aussi de ceux qui sont venus y vivre, s’y établir, des efforts pour parvenir à maintenir et même améliorer les conditions de notre vivre-ensemble, en faisant prévaloir ce qui nous rassemble sur ce qui nous différencie, sur ce qui peut nous diviser. C’est une chance qui est à saisir et qui risque de ne pas durer si on ne réagit pas très vite.

Sur l'un des volets, ce sont les actes anti-blancs qui arrivent en tête des discriminations contre lesquelles il faut lutter. Faut-il y voir un réflexe de défense après les attaques contre charlie Hebdo ?

Yves-Marie Cann : Oui, ce réflexe peut exister auprès d’une partie de la population mais je doute que ce soit le critère déterminant. La perception d’un risque plus diffus peut aussi influer sur les réponses. Le fait que plusieurs médias se soient fait l’écho ces dernières années de paroles ou d'actes anti-blancs en certains points du territoire contribue à sensibiliser la population à ce sujet, voire à susciter des craintes.

Guylain Chevrier : Est-ce un réflexe de défense propre à l’actualité ou est-ce que la question révèle une situation latente existant depuis longtemps ? Plus que les actes anti-blancs, c’est un sentiment diffus de mal être qui en ressort aussi, pour une population non-immigrée qui peut parfois se sentir minoritaire, mise à part dans certaines banlieues composite car isolée face à la montée de l’affirmation communautaire religieuse et ethnique marquée par des difficultés d’intégration avec des frottements. Le blanc peut être perçu dans ce contexte comme reflétant la société d’accueil avec laquelle il y a litige ici. Il peut y avoir ainsi la perception de la montée dans ces espaces urbains d’un sentiment anti-blancs qui fait rentrer les épaules à ceux qui sont issus de la population majoritaire, parce que s’y exerce réellement une certaine pression communautaire. Il n‘est pas rare qu’en école primaire on demande à un enfant, parce qu’il est blanc dans un contexte à dominante d’origine étrangère, à quelle religion il appartient, comme une injonction, et s’il est juif d’être amené à le taire, d’autant que l’on peut lui avoir dit de dire qu’il ne l’est pas pour se protéger, et s’il dit qu’il n’a pas de religion, qu’on lui dise que ce n’est pas normal, qu’il n’est pas moral, qu’il doit avoir un dieu. Il y a certaines franges de la société pour lesquelles la religion est au-dessus de tout en raison d’un pays d’origine où la religion est dans l’Etat, ce qui vient télescoper des habitudes de pensée des Français pour qui le droit de croire ou de ne pas croire est entré dans les mœurs, et de ne pas en faire état comme élément premier dans l’établissement de la relation sociale, ce qui joue dans cet perception d’une discrimination anti-blancs. Il y aussi une monté objective d’attitudes de rejet de la France et des Français de la part de certains qui se détachent du lien commun pour différentes raisons, et opposent leurs origines ou leurs religion aux autres en se trompant de colère, ce qui peut aller jusqu’à des insultes et des passages à l’acte.  On en parle très peu, car ils sont très difficiles même à exprimer au regard de la façon dont ils risquent d’être perçus.

D’autre part, s’il faut parler de réflexe de défense pour comprendre ce résultat du sondage, il y a aussi le fait que, dans les populations des quartiers, les Français non-immigrés qui y vivent ont disparu du discours politique. Dès que l’on parle de relégation territoriale, on l’identifie à des populations d’origine étrangère, dont les territoires seraient avant tout frappés par une discrimination liée au fait d’être à dominante immigrée ou/et ethnico-religieuse. Ce qui est révélateur du fait que la question sociale n’est plus vue par le prisme des classes sociales mais des discriminations, faisant disparaitre des radars politiques dans le diagnostic territorial ces populations non-immigrées qui y vivent, totalement reléguées pour le coup, abandonnées, y compris à travers l’analyse elle-même de la situation et donc sans espoir de réponse à leur condition d’exclusion sociale. Comme Christophe Guilluy le soulignait encore dans une interview au Figaro ce 22 janvier, selon un rapport de 2014, 75% des Français pensent qu’« il y a trop d’étrangers » et 60% que l’« on ne se sent plus chez soi comme avant en France », soulignant la nécessité de porter une attention toute particulière à cette situation qui pourrait basculer dans un rejet massif des différences et servir d’ingrédient chimique explosif dans le sens d’un nationalisme que certains cherchent à exacerber. C’est vrai aussi pour les populations qui vivent dans la ruralité, souvent totalement oubliées des analyses derrière une lutte contre les discriminations et l’exclusion sociale concernant les quartiers, alors que les zones urbaines sensibles ne représentent que 7% de la population française et que 85% des pauvres vivent hors de ces zones. On encourage ainsi, chez ces populations, une réaction de rejet des immigrés. Les Français sont 60% à s’opposer au vote des immigrés alors qu’ils étaient en 2011 aussi nombreux à y être favorables, ce qui montre aussi une évolution qui s’accélère. Il est d’autant plus important dans cette période de prendre en compte enfin cette réalité complexe alors que l’on parle de lutter contre les inégalités entre territoires, si l’on veut vraiment garantir la pérennité de notre vivre-ensemble ainsi que notre cohésion sociale.

Au vu de la ventilation des résultats, y a-t-il des positionnements qui se démarquent des positions traditionnelles, ou reflètent-elles les identités politiques des sondés ?

Yves-Marie Cann : Sur la quasi-totalité des questions, il n'y a pas de différence marquée d'un point de vue statistique entre grandes catégories de population. Finalement, ce qui prévaut avant tout, ce ne sont pas les attributs socio-culturels ou professionnels mais les affinités politiques.

Est-ce que qu'on a pu noter une évolution depuis les attentats de Charlie Hebdo ? Comment ce rapport aux discriminations ont-elles pu évoluer sur le temps long ?

Yves-Marie Cann :Il est encore trop tôt pour y répondre. Les attentats des 7 et 9 janvier puis les marches républicaines ont profondément marqué les esprits mais il est difficile d’évaluer avec précision, alors que nous sommes toujours sous le coup de l’émotion, s’ils ont pu influer durablement sur les représentations des Français. Ce qui est certain, c’est qu’ils n’effacent en rien les difficultés qui étaient celles de la France avant ces événements. Au contraire, ils peuvent renforcer la sensibilité, déjà forte, à certains enjeux tels que la place de l’Islam en France, la défense de la laïcité, etc.

Guylain Chevrier : Oui, depuis les attentats, les choses ont changé dans les esprits. Ce que l’on annonce vouloir mettre en place aujourd’hui, tel le retour absolument nécessaire de la laïcité à l’école par une volonté venue du sommet de l’Etat, en témoigne sans détour. Il y a eu le moment de la concorde avec les grandes manifestations au nom de tous et pour tous, mettant en avant les mêmes droits et libertés et particulièrement la liberté d’expression, droit au blasphème, qui est consubstantielle de la liberté de conscience et de pensée. Il y eu aussi la prise de conscience de la gravité de ce qui se passe dans certaines zones urbaines où le communautarisme est avancé, avec un rejet de l’intégration et de la République sous le signe de ruptures du lien social, de jeunes en risque de dérive radicale dans ce contexte sur lesquels l’endoctrinement peut avoir prise et conduire à la violence et à la barbarie sur notre sol.

Est-ce que le prisme des discriminations est le seul à prendre en compte, ou plutôt le fait qu’il y ait une prise le conscience que notre cohésion sociale dépend de la façon dont nous gérons le caractère bien plus composite de notre société, au regard de ce qu’elle était  il y a trente ans ? On sait que la problématique en cause, les enjeux culturels et identitaires auxquels nous avons affaire pour continuer de faire une seule communauté de destin, une seule nation par-delà nos différences, renvoie au questionnement de la politique économique, de la gestion des flux migratoires, de la capacité de la France à intégrer sur tous les plans des personnes arrivant sur notre sol et ayant besoin d’un emploi, d’un logement, de l’éducation, de la santé etc. L’utilisation dans certains secteurs économiques de façon massive d’étrangers en situation irrégulière crée les conditions de candidats au départ dans les pays à faible niveau de création de richesses, ce à quoi il faut remédier. La politique d’accueil et d’asile est à revoir en rapport avec ces enjeux, pour donner des signes clairs relativement aux difficultés que représente une immigration en trop grand nombre qui se traduit par des problèmes d’intégration et de la ghettoïsation, ce qui n’est digne pour personne, ainsi que dangereux à terme du point de vue des risques d’explosion sociale dont celui de la violence. Il en va aussi de la politique de coopération au développement que l’on souhaite entreprendre avec les pays qui sont à l’origine des fortes migrations du sud vers le nord qui nous atteignent. Le défi est véritablement global du point de vue des politiques publiques et relève à proprement parler d’un projet de société nouveau à initier. 

Propos recueillis par Alexis Franco

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