Middle class economics : Obama a-t-il (enfin) trouvé la méthode pour sauver les classes moyennes du tsunami des inégalités ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Middle class economics : Obama a-t-il (enfin) trouvé la méthode pour sauver les classes moyennes du tsunami des inégalités ?
©Reuters

Economie politique

Lors de son 6ème discours sur l'état de l'Union, mardi 20 janvier, le président Obama a fait part de volontarisme. Après les années de guerres et de récession, les Etats-Unis connaissent de nouveau la croissance. Le nouvel objectif de Barack Obama : lutter contre les inégalités sociales aux Etats-Unis à travers une politique en faveur des classes moyennes.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : Faut-il voir dans ce 6ème discours sur l'état de l'Union, une évolution significative du président Obama dans sa relation avec les classes moyennes ?

Mathieu Mucherie : En 2014, les Etats-Unis ont vu les meilleurs chiffres de créations nettes d'emplois depuis 1999, qui pourtant était une année déjà assez exceptionnelle avec une création de 3 millions d'emplois dans le secteur privé, soit presque autant que la France ne compte de chômeurs. Quand aux salaires, beaucoup de monde trouve qu'ils évoluent peu, ils sont à 2% pour les salaires nominaux, ce qui n'est pas énorme car ils devraient plutôt se situer à 3%. Cependant l'inflation était à 3% alors qu'aujourd'hui elle plutôt aux alentours de 1%. 

Il y a donc des créations d'emplois massives, des salaires qui évoluent convenablement, et ce ne sont pas forcément les gens qui ont des actions qui profitent de la reprise. Ce que l'économie privée et décentralisée fait spontanément très bien, et qui est favorable aux classes moyennes, Obama s'engage à le renforcer. 

Mais son discours est un peu curieux, en tout cas il ressemble fortement à celui prononcé lors de sa première campagne présidentielle : le thème des inégalités, de la croissance économique qui doit profiter à tout le monde, la crise payée essentiellement par les pauvres : une vieille rengaine ressortie à chaque fois qu'il y a des élections en vue. Il n'y a pas de contexte électoral, mais beaucoup d'analystes considèrent cette évolution comme un pré-positionnement par rapport à la campagne présidentielle de 2016. Sa réélection n'a pas empêché une perte électorale tout au long de sa présidence, que ce soit à l'échelle locale ou sénatoriale. Ce positionnement a donc vocation à favoriser un futur candidat démocrate.

On assiste donc ici plus à une série de manoeuvres d'ordre politique plutôt qu'à la mise en place d'un véritable programme économique ?

Oui, c'est clairement positionner le parti Républicain comme le parti des extrêmes : d'un côté les rednecks du fin-fond de la campagne, payés moins de 20.000 dollars par an, et de l'autre côté les très riches, les fameux 1%, qui gagnent plus de 200.000 dollars par an. Le parti des classes moyennes serait donc le parti démocrate. C'est amusant car c'est exactement le contraire que l'on constate depuis quarante ans : le parti Républicain est clairement le parti des classes moyennes, certes blanches, qui représentent une grosse partie des effectifs du pays. Au contraire, le parti Démocrate fait de très gros scores chez les très bas revenus, notamment les minorités ethniques, et chez les très riches. Si vous êtes très riche et que vous vivez à Los Angeles ou Manhattan, que vous travaillez dans l'industrie du cinéma, alors vous votez démocrate. Ce rebalancement est très curieux. La base sociologique du parti Démocrate, on le voit à travers la carte électorale, est de plus en plus aux extrêmes, mais dans le discours le parti se positionne toujours comme celui des classes moyennes. Mais sur le plan médiatique c'est toujours très positif d'avoir un discours en faveur des classes moyennes, même si ce n'est plus la réalité, dans chaque pays on voit ça.

Ensuite, ce n'est pas parce qu'on est très riche ou très pauvre que l'on se considère comme tel, la majorité des Américains se définissent comme faisant partie de la classe moyenne même quand ils en sont parfois extrêmement éloignés. Au-delà de ce biais dans les perceptions, c'est très important dans les perceptions politiques, l'électeur médian est celui qui fait l'élection. Aux Etats-Unis 40% des gens votent démocrates quoiqu'il arrive et 40% républicains quoiqu'il arrive, ce qui compte pour gagner une élection présidentielle ce sont les swing states, en résumé il faut gagner dans l'Ohio. Gagner dans l'Ohio, un Etat de classe moyenne où les deux partis se livrent à une concurrence acharnée, se joue à 200.000 voix, ce qui n'est pas énorme dans un pays de plus de 300 millions d'habitants, et cela se jouera sur une perception, là en l'occurrence celle que le parti Démocrate défend les classes moyennes, alors que le parti Républicain sera perçu comme celui des riches.

Barack Obama a détaillé plusieurs mesures dans son discours, notamment fiscales. Revêtant l'habit de président redistributeur, il a annoncé plus d'impôts pour les mieux lotis, ce qui profiterait aux pauvres. Que peut-on penser de ces mesures ?

C'est compliqué. Sur le plan des marges de manœuvre, c'est complètement déphasé. Nous ne sommes pas en France, donc si l'on n'a pas la majorité au Congrès, on peut proposer ce que l'on veut, ça sera difficile. Après Obama a un tour dans son sac : il peut agir sur les nominations à la FED. Il a eu l'occasion depuis six ans de faire beaucoup de nominations car il y a eu un gros turnover, il a donc fallu qu'il nomme des gens. Au-delà des mots, dès que ça touche au concret, on voit qu'Obama nomme des incompétents à la FED, et pas forcément des gens qui sont favorables à une politique en faveur des classes moyennes, c'est-à-dire des personnes qui souhaiteraient que la FED reste relativement accommodante en ne remontant pas ses taux trop vite et trop fort, qu'elle soit rassurante pour l'économie. Encore récemment, Barack Obama a proposé de nommer à la FED un "community banker", c'est-à-dire un banquier de province, toujours dans cette idée de positionner son camp comme le parti des petits banquiers, du crédit, du monde concret.

Il ne voulait ni nommer un grand ponte de Wall Street, ni un économiste de Chicago. Le problème c'est qu'à chaque fois qu'il a fait des nominations à la FED, ça s'est toujours retourné contre lui car ces personnes n'avaient pas forcément envie de soutenir une politique monétaire accommodante qui serait dans l'intérêt de tout le monde et des classes moyennes. C'est typique du décalage entre les mots et les actes.

Cependant, Barack Obama peut faire des propositions fiscales en jouant sur le volet dépenses. Sur le volet recette il n'a pas les marges de manoeuvre nécessaires, développer les dépenses sociales, levier très peu utilisé pendant ses six années de présidence est une possibilité. Dans son discours sur l'état de l'Union, il parle aussi de choses plus concrètes : par exemple la diminution des frais de scolarité pour les étudiants dans les petites universités, les écoles en deux ans. C'est un peu de la redistribution à l'envers parce qu'en général les gens qui font des études supérieures sont des futurs riches, ce n'est donc pas forcément très juste. Il a également proposé le renforcement des droits aux congés pour ceux qui en sont privés, notamment privés de congés maladie, c'est déjà plus concret car là les Etats-Unis peuvent faire beaucoup, ils sont très loin des standards internationaux. Il faudra donc négocier avec le Congrès, mais on a surtout l'impression qu'Obama cherche à exciter la base des Républicains pour les diviser. Il faut apparaître comme le parti des gens sympathiques alors qu'on n'a plus la main et que l'on ne l'a pas fait quand on l'avait.

Quel est donc l'intérêt de proposer des réformes économiques sans pour autant bénéficier de la marge de manoeuvre nécessaire pour les faire appliquer ?

Barack Obama a toujours été très bon dans la communication, comme son équipe. Il faut savoir que c'est quelqu'un qui, avant d'être président des Etats-Unis, n'avait géré que deux personnes : son adjoint et sa secrétaire. Il n'avait jamais eu de fonctions exécutives dans sa vie et venait de très loin, il était sénateur de l'Illinois, ce qui n'est pas un poste majeur, et venait d'un courant qui n'est pas dominant chez les Démocrates. Il n'a jamais été gouverneur ni maire et a été élu président. C'est un demi-dieu de la com', il est et reste très bon, même s'il a un peu perdu la main. Il est toujours très bon pour diviser le camp d'en face, qui n'est pas très malin, et pour draguer l'électeur médian. Il veut apparaître comme celui qui a fait des propositions en faveur des classes moyennes, qui ont été rejetées par "les méchants Républicains qui sont favorables aux riches".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !