Obama tient le discours de l’état de l’Union au Congrès... et sur les réseaux sociaux : quand la communication politique à l’américaine nous en met encore une fois plein la vue <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Obama tient le discours de l’état de l’Union au Congrès... et sur les réseaux sociaux : quand la communication politique à l’américaine nous en met encore une fois plein la vue
©Reuters

Yes he can

En annonçant ses réformes sur les réseaux sociaux plusieurs jours avant son très attendu discours sur l'état de l'Union, Barack Obama a réinventé l'exercice de la communication politique. Ou comment faire parvenir un message plus direct et plus clair à des publics plus précisément ciblés.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


Voir la bio »

Atlantico : En 1993, les américains étaient 67 millions derrière leur poste de télévision pour écouter le discours sur l'état de l'Union de Bill Clinton. Ils n'étaient plus que 33 millions cette année pour Barack Obama. Est-ce le signe d'un désintérêt pour la politique ou pour la télévision ?

François DurpaireNi l'un ni l'autre. Barack Obama est le président qui depuis 50 ans a fait venir le plus de monde dans une campagne électorale, lors de la présidentielle de 2008. Il y a eu un intérêt considérable pour la politique de la part des minorités et des jeunes. On a fait la queue pour voter lors de caucus qui sont normalement considérés comme réservés aux partisans, lors des primaires. Ce n'est pas non plus un désintérêt pour la télévision. Il suffit de regarder les audiences de la finale du Super Bowl, par exemple. Elle a une audience très importante. Ce qui est vrai en revanche, c'est le désintérêt pour la politique à la télévision.

On dit souvent aux Etats-Unis que quand les Américains ne s'arrêtent plus devant leur téléviseur pour regarder le Président c'est que le Président a un problème.  Là, c'est plus profond que cela. Aujourd'hui l'alliance entre la télévision et la politique n'est plus un mariage monogame. Il faudrait plutôt parler d'une polygamie médiatique du politique, avec une diversité de médias, une multitude de supports. Un citoyen ne sait plus où il a vu la dernière annonce d'Obama : sur son smartphone, à la télévision, sur sa tablette etc. 

Les mesures annoncées ont été révélées officiellement sur les réseaux sociaux pendant deux semaines avant le discours. Sont-ils devenus incontournables pour délivrer un message politique au plus grand nombre ?

C'est une règle essentielle que connaissent tous les communicants : quand un message ne passe pas, ce n'est pas le récepteur qu'il faut mettre en cause, mais bien l'émetteur du message.  Les services de communication de la Maison-Blanche savent que pour faire passer un message, il faut s'adapter à la révolution numérique. Ce n'est pas une question de réactivité, mais bien une question d'anticipation. Il ne faut pas avoir un temps de retard sur la manière de communiquer, mais un temps d'avance.  Celui qui comprend le mieux les nouvelles manières d'échanger a de fortes chances d'être le vainqueur. Dès la campagne de 2007, Barack Obama l'avait emporté face à Hillary Clinton grâce à une large campagne virale. Ce sont des éléments qui permettent de mobiliser autour d'actions. Cela avait ensuite permis de mobiliser autour de l'Obamacare pour faire passer ce projet devant le Congrès. Lorsque vous avez répondu une seule fois à un mail de l'équipe d'Obama ou lorsque vous avez été une fois son ami sur Facebook, vous recevez périodiquement des contenus. Ces médias ne transforment pas uniquement la manière de transmettre les messages mais transforment aussi la manière de faire de la politique étant en interaction permanente avec les cyber-citoyens. Il y a donc deux catégories de citoyens, les citoyens connectés et ceux qui ne le sont pas, et qui sont dans une infra-citoyenneté.

L'intervention a également été raccourcie, pour ne pas ennuyer les téléspectateurs. Est-ce que cela change la façon de construire le discours politique ?

Cela change effectivement la manière de construire le discours politique. Par exemple, le discours sur l'état de l'Union a été rénové par les nouvelles technologies. Le premier discours a été prononcé par le premier président des Etats-Unis, George Washington. C'est dire l'ancienneté. Barack Obama l'a modernisé en annonçant une partie de ses mesures sur Facebook, dans des vidéos. Il utilise une diversité de réseaux sociaux. Sur LinkedIn, par exemple, a été dévoilée la possibilité future de faire garder ses enfants grâce à des crédits d'impôt. Et aujourd'hui, le discours sur l'état de l'Union est commenté et expliqué pour les youtubers. On a donc l'utilisation d'un panel très large de médias du Web pour atteindre un maximum de gens qui fait que le discours sur l'état de l'Union a été réduit au profit d'annonces sur ces nouveaux moyens de communication.

Plus profondément, cela peut transformer la manière de faire de la politique. Comme tout réseau, le réseau social est un entre-soi.  Cela veut dire que la politique pourrait bientôt se résumer en la capacité de captation des différentes tribus du web. C'est ainsi que se penseront les victoires électorales de demain. On peut ainsi imaginer de s'adresser à la communauté noire américaine par le site de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Chaque communauté aux Etats-Unis aurait son semblant de communication "personnelle" avec le Président.

La télévision d'hier, pour le dire simplement, c'était "voir ensemble pour vivre ensemble". Quand vous aviez il y a vingt ans 66 millions de personnes devant la télévision, vous pouvez imaginer que tous les âges, toutes les communautés étaient en train de regarder. S'il y a moitié moins d'Américains qui ont vu le discours en 2015 par rapport à 1993, c'est parce qu'il n'y a désormais qu'une partie des Américains qui regarde, les plus âgés notamment. Car les plus jeunes sont sur les réseaux sociaux.  Les médias communautaires transforment ainsi le rapport entre les médias en général et la politique.

Le discours politique n'en perd-il pas de sa valeur ?

Le discours n'est pas meilleur parce qu'il est plus long. Parfois, un discours plus compact, en se resserrant autour d'un certain nombre d'idées, est plus efficace. En revanche, il ne faudrait pas que cette évolution aboutisse à la disparition du discours pour tous. Le discours sur l'état de l'Union avait précisément la vocation de parler d'unité. Que l'on est de moins en moins de choses à dire de l'unité est symptomatique. Et préfigure d'une société qui est une myriade de micros sociétés. En revanche je n'interprète pas cela à travers le prisme du communautarisme, qui laisse penser, à tort, que ces communautés sont closes et sans rapport les unes avec les autres. Je crois néanmoins que ce serait la mort du politique comme cohésif, si par exemple le président français ne devait s'adresser aux populations ultra-marines que par l'intermédiaire de la télévision France Ô ou Français maghrébins par l'intermédiaire de Beur FM . Le discours politique a cette vocation de fédérer la communauté la plus large possible. Un discours plus court, oui, mais toute société a besoin d'un récit commun. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !