La Libye, une menace pour l'Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Tripoli, en proie au chaos
Tripoli, en proie au chaos
©REUTERS/Ismail Zitouny

Inquiétant

La Libye, enfoncée dans une crise politique et dans une situation d'isolement diplomatique, est devenue le sanctuaire de groupes d'islamistes radicaux. Le pays constitue aujourd'hui une menace pour le Maghreb mais aussi pour l'Europe.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : La chute de l'ancien régime en Libye a signifié le début d'une ère particulièrement instable sur le plan de la politique intérieure. Est-il envisageable de penser aujourd'hui que la Libye puisse devenir un danger pour l’Europe ?

Fabrice Balanche : La Libye se trouve dans un processus de somalisation : un Etat failli qui se désintègre sous la pression de groupes armés concurrents. Le pays est en proie à de multiples conflits ethniques et tribaux accentués par la concurrence pour l’accaparement des ressources en hydrocarbures. Et comme si cela ne suffisait pas à faire exploser ce pays fragile, il est devenu un sanctuaire pour les groupes djihadistes internationaux qui profitent de l’écroulement de l’Etat et des conflits internes pour s’imposer. La Libye réunit tous les facteurs favorables pour l’implantation de ce type d’acteurs : disponibilité d’armes lourdes, division politique, extrême faiblesse des forces armées régulières, sécessionnisme des périphéries, absence de légitimité de l’Etat, incapable d’assurer la sécurité des habitants, et enfin présence d’acteurs historiques de l’islamisme radical. Les dirigeants libyens depuis la chute de Khadafi se sont montrés incapables de contrôler le territoire.

Par sa position géographique stratégique entre le Maghreb et le Moyen-Orient, la Méditerranée et le Sahel, la Libye est un carrefour pour les opérations militaires et terroristes. Jusqu’à présent l’action des groupes djihadistes s’est portée vers le Sahel, l’Algérie et la Tunisie, mais aussi la Syrie et l’Irak, puisque la Libye sert de camp d’entraînement pour les djihadistes maghrébins désireux d’aller se battre en Syrie. C’est à partir de la Libye qui les premières cargaisons d’armes furent livrées à l’opposition syrienne par l’entremise du Qatar. L’Europe n’a pas encore été touchée directement, si ce n’est à travers ses représentations diplomatiques en Libye. Pour l’instant l’objectif des réseaux jihadistes présents en Libye, tout comme au Proche-Orient, est de se constituer des bases territoriales puissantes et non de frapper l’Occident en son cœur, comme ce fut le cas le 11 septembre 2001. Néanmoins nous ne sommes pas à l’abri d’un regain d’attentats perpétrés par des djihadistes passés par la Libye.

Le commissaire de l'Union Africaine pour la Paix Smaïl Chergui a affirmé que l'intervention au Mali par les forces françaises n'aurait pas mis les groupes terroristes hors d'état de nuire, mais ne les aurait que dissipés. Quel risque y a-t-il à ce qu'ils se regroupent en Libye ? Le fait que le pays ne se trouve qu'à 250 km des frontières françaises pourrait-il en faire une fenêtre de tir sur l'Europe ?

La présence de groupes islamistes radicaux en Libye n’est pas la conséquence de l’opération Serval au Mali. Ils sont arrivés dès les premiers signes d’affaiblissement du régime de Kadhadi en 2011. L’opération Serval n’a pas résolu le problème, elle n’a fait que le déplacer. Car les djihadistes sont extrêmement mobiles et surtout, ils ignorent les frontières. Ils constituent donc une menace permanente pour un Etat en déliquescence comme le Mali, mais également le Niger, le Tchad ou le Burkina Fasso. Même le riche Nigéria n’est pas exempt de la menace islamiste puisque le groupe Boko Haram appartient à cette nébuleuse.

Suite à des menaces d'avions kamikazes, le Maroc, la Tunisie et l'Algérie ont pris des mesures de contrôle de leurs espaces aériens, en disposant notamment des missiles sol-air à leurs frontières ainsi que près de leurs grandes-villes. De l'autre côté de la Méditerranée pourtant, aucune mesure préventive n'a été prise. Qu'est-ce qui nous prémunit de ces attaques ?

En cas d’intrusion d’un avion non identifié dans notre espace aérien, la chasse française interviendrait immédiatement puisqu’elle est opérationnelle 24h sur 24h, tout comme dans les autres pays de l’OTAN. La distance vis-à-vis de la Libye, plus de 1000 km des côtes françaises, nous protège naturellement, c’est moins le cas pour l’Italie. Quant aux pays du Maghreb, la proximité avec la Libye et la faiblesse de leur défense aérienne, les oblige à disposer de missiles sol air à leur frontière.

Il y aurait par exemple une possibilité pour les islamistes de retirer les transpondeurs de ces avions afin qu'ils ne soient pas repérables ni traçables par les radars. Également, on a pu voir suivant les conclusions du crash en Ukraine que le matériel militaire nécessaire pour tirer sur un avion en haute altitude n'était pas à la portée de tous. Au regard de ces éléments, existe-t-il des zones de vulnérabilité en Europe ? Lesquelles ?

En Europe, les zones de vulnérabilité sont très nombreuses à l’égard d’une attaque aérienne suicide : les centrales nucléaires, les raffineries et surtout les centres villes densément peuplés. Mais la menace vient moins de ce type d’attaque que de l’utilisation de Manpads (Man-portable air-defense systems) : des lances missiles sol air portatifs de la taille d’un bazooka qui tiennent dans le coffre d’une voiture. Ces appareils peuvent détruire un avion civil au décollage ou à l’atterrissage. Ils sont la terreur des pilotes et de la défense civile en Europe. Une cinquantaine de ces appareils auraient disparus des arsenaux de Kadhafi en 2011.

Selon Frontex, l'agence européenne des frontières, le nombre de réfugiés en provenance de Libye aurait été multiplié par 5. Dispose-t-on de moyens suffisants pour s'assurer qu'à l'avenir, la Libye ne devienne pas, comme la Syrie ou l'Irak aujourd'hui, des zones d'entraînements pour djihadistes ?

L’absence d’Etat favorise le transit des immigrés clandestins par la Libye. Les groupes armés chargés par le CNT de contrôler les frontières méridionales organisent eux-mêmes ce trafic d’êtres humains des plus lucratifs. Cela fait partie des sources de financement des groupes islamistes avec le trafic d’armes, de drogue et autres produits de contrebandes. Ils peuvent ainsi entretenir des camps d’entraînement pour leurs combattants et les divers candidats au djihad qui affluent du monde musulman ou d’Europe. Comment se prémunir contre cette menace ? A court terme en renforçant les mesures sécuritaires et en cessant toute complaisance à l’égard de l’Islamisme radical, même s’il est financé par nos alliés et clients du Golfe. A long terme en s’abstenant de nouvelles aventures militaires contre des régimes autoritaires certes, mais dont le renversement ne fait que provoquer le chaos.

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