Dieudonné vu des États-Unis : ce n’est pas en devenant adepte de la censure à la Poutine que la France se protégera du terrorisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Dieudonné a écrit sur sa page Facebook : "Je me sens Charlie Coulibaly".
Dieudonné a écrit sur sa page Facebook : "Je me sens Charlie Coulibaly".
©Reuters

French Tartuffes

Leonid Bershidsky est un écrivain et chroniqueur russe qui écrit régulièrement pour la partie opinion du site de Bloomberg. Il a beau ne pas apprécier l'humour de Dieudonné, selon lui ce n'est pas en restreignant la liberté d'expression que le climat s'améliorera en France. Et il sait de quoi il parle.

Leonid Bershidsky

Leonid Bershidsky

Leonid Bershidsky est un écrivain et chroniqueur russe. Résidant à Berlin, il est l'auteur de nombreux ouvrages (littéraires ou non). Il a fondé le quotidien économique le plus diffusé de Russie, Vedomosti, en partenariat avec le Financial Times et le Wall Street Journal. Il est également le fondateur du site d'opinion Slon.ru. Il officie actuellement dans les colonnes du site américain de Bloomberg dans la rubrique "Opinion".

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Atlantico : Après avoir participé à la marche républicaine dimanche 11 janvier, Dieudonné a publié un message sur facebook qui a donné suite à une vive réaction de la part du gouvernement :

"Après cette marche historique... que dis-je, légendaire ! Instant égal au big bang qui créa l'univers ! Ou dans une moindre mesure, (plus locale) comparable au couronnement de Vercingétorix, je rentre enfin chez moi. Sachez que ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly" - Sur la page Facebook "Dieudonné officiel" (supprimé peu après)

Quelle lecture en faites-vous ?

Leonid Bershidsky : Dieudonné est un cas d'école pour la liberté d'expression. C'est un antisémite plutôt rebutant, il me rappelle les membres du Parti national-socialiste aux Etats-Unis vers la fin des années 1970. Ils avaient décidé d'organiser un rassemblement à Skokie dans l'Illinois avec des croix gammées. La Cour suprême des États-Unis et la Cour suprême de l'Illinois avaient finalement autorisé le rassemblement, tout comme les swastikas. Pour se justifier, le tribunal de l'Illinois avait invoqué le Premier amendement de la Constitution américaine, et malgré les protestations, non, la justice ne voyait dans les swastikas rien de plus que de vulgaires symboles comme les autres.

Je suis juif, dire que je déteste les nazis est un euphémisme. Cependant, je dois dire que j’admire ces décisions de justice. Je pense même qu'après l'attentat contre Charlie Hebdo, la France aurait, elle aussi, dû mesurer sa réaction devant les appels à la haine, car ils ne méritent pas qu'on les censure. Leur niveau de gravité est en réalité assez bas. Même s'il y a une différence insondable entre les gauchos athées de Charlie Hebdo et l'extrémiste de droite qu'est Dieudonné, il y a, qu'on le veuille ou non, un point crucial qui les réunit : Ils utilisent tous les deux des stylos, des ordinateurs, la parole, et certainement pas des armes. Les stylos ne tuent pas, les armes, oui. Cela n'a aucun sens d'interdire uniquement quand le son de cloche ne nous convient pas. Il doit au contraire surtout s'appliquer aux opinions que nous trouvons ignobles.

Pensez-vous que'il pourrait alors y avoir des abus ? Jusqu'où pourrait aller une telle décision ?

Je suis allé à l'école de commerce de l'INSEAD à Fontainebleau et je vis maintenant à Berlin, mais je viens de Russie. Dans mon pays, il y a un type nommé Vladimir Poutine, qui aime interdire ceci ou cela au nom de la lutte contre le terrorisme, ou pour prémunir les enfants des "mauvaises influences". Il a un parlement où les gens pourraient interdire leurs propres mères si ça lui plaisait.

Mais est-ce que pour autant la Russie a enrayé le terrorisme ; est-ce que ses enfants sont protégés de toutes les menaces ? Mon sentiment est qu'elle n'est pas plus protégée que n'importe quel autre pays, y compris ceux qui sont libres, c'est à dire ceux où il y a peu ou pas de censure. En Russie, le climat intellectuel est plutôt oppressant. Les journalistes doivent se censurer ou ne plus écrire d'articles. Vous ne pouvez pas, par exemple, dire que la Crimée fait partie de l'Ukraine : il y a une loi qui protège l'intégrité territoriale du pays. Alors je me demande si la France veut s'engager sur cette voie, elle aussi. Je trouve ça déplacé de poursuivre une personne pour un post sur Facebook, même s'il donne l'impression de justifier le terrorisme (et d'ailleurs je doute que celui de Dieudonné le fasse vraiment).

Quelle aurait dû être selon vous la réaction proportionnée du gouvernement ?

Je pense que Valls a longtemps été à la recherche d'un prétexte pour se débarrasser de Dieudonné, il y a mis tous ses efforts. Même si Dieudonné avait réussi à faire une blague plutôt drôle, ce qui est assez rare de nos jours, Valls n'aurait pas su en rire.

La bonne réponse aux déclarations de Dieudonné - mais aussi aux caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo, tout comme de celles de Jésus-Christ - est de les ignorer. Ce sont des mots et des images destinés aux fans de Dieudonné et aux lecteurs de Charlie Hebdo. Ces gars-là prêchent pour leurs paroisses. Et ça ne nécessite pas de réponse aussi énergique de la part du gouvernement. Par contre, là où on attend une réponse, c'est sur la violence réelle, ou la menace de violence réelle. N'envoyez pas de flics pour arrêter Dieudonné, envoyez-les poursuivre de vrais terroristes comme les frères Kouachi.

Propos recueillis et traduits par Alexis Franco

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