Et si Jean-Louis Borloo rebondissait à la Mairie de Paris en 2014 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'annonce du retrait de Jean-Louis Borloo à la course à la présidentielle rebat les cartes au centre.
L'annonce du retrait de Jean-Louis Borloo à la course à la présidentielle rebat les cartes au centre.
©Reuters

Centre en retrait

L'annonce du retrait de Jean-Louis Borloo à la course à la présidentielle rebat les cartes au centre. L'occasion pour ses concurrents de ressortir de l'ombre : François Bayrou était au 20H lundi soir, Hervé Morin sur RTL ce mardi matin. Mais de quoi l'avenir des centristes sera fait ?

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Que pensez-vous de la prestation au 20H ce lundi soir de François Bayrou, suite au retrait de la course à la présidentielle annoncé dimanche par Jean-Louis Borloo ?

David Valence : François Bayrou s’est montré relativement habile. Sans ouvrir trop explicitement les bras aux amis de Jean-Louis Borloo (c’est trop tôt), il a cherché à offrir un fort contraste avec le président du Parti radical. Sur ce mode : « lui hésite, puis renâcle devant l’obstacle ; moi, je suis et ai toujours été déterminé à l’affronter ».

Quid des chances de François Bayrou à la présidentielle ? Alors que personne n’en parle, il oscille dans les sondages entre 6 et 10%. Est-ce à dire qu’il obtiendra un score forcément supérieur à cela ?

Deux choses ont joué en faveur de François Bayrou ces dernières semaines. Les hésitations de Jean-Louis Borloo, d’abord : elles le font apparaître, lui, comme un leader solide, déterminé, ferme dans ses intentions.

Le second élément qui joue en sa faveur est l’éclatement d’ « affaires » (Karachi, Bettencourt notamment) qui semblent, pour le grand public, accréditer l’idée qu’existent, entre le pouvoir politique et certains « intermédiaires » peu scrupuleux, des rapports de complicité assez choquants. Or, François Bayrou a dès longtemps enfourché le cheval de la moralisation de la vie publique. Il est considéré comme un homme probe, entêté mais scrupuleux.

Certes, il ne rééditera pas son opération de 2007 (18%), mais il peut très bien finir à 10%. Compte tenu de ce qu’a été son isolement, notamment au lendemain des catastrophiques régionales de 2010 pour le Modem, ce serait inespéré.

Et Hervé Morin ou Dominique de Villepin : ont-ils leurs chances après le retrait de Jean-Louis Borloo ?

Dominique de Villepin a mis son mouvement politique, et donc sa candidature, en sommeil. Ses soutiens se résument presque aujourd’hui au député Jean-Pierre Grand et à l’ancienne ministre Brigitte Girardin. Où sont ses légions ?

Quant à Hervé Morin, son potentiel est bien moindre que celui de Borloo avant la décision de dimanche. Les sondages ne lui sont guère favorables. Sa notoriété reste faible. Hors de milieux très politisés, beaucoup d’électeurs de droite connaissent à peine le nom d’Hervé Morin. Par ailleurs, il a été membre du gouvernement de François Fillon, comme Jean-Louis Borloo. Et est donc solidaire de la politique menée de 2007 à 2010. Pis ! Là où Borloo incarnait alors, au gouvernement, quelque chose de différent, de plus social, de plus écologiste, Hervé Morin n’a pas réussi à incarner quoi que ce soit.

Son seul avantage est de pouvoir compter sur un mouvement mieux implanté dans le pays qu’on ne le dit –le Nouveau Centre-. Mais ses troupes sont elles-mêmes partagées sur l’utilité de sa candidature…

Et Jean-Louis Borloo ? Comment peut-on expliquer qu’il soit allé aussi loin pour finalement renoncer ?

Jean-Louis Bourlanges, a récemment publié, dans la revue Pouvoirs, un article qui répond en partie à votre question. Il est consacré à Ceux qui n’y vont pas. C’est-à-dire aux personnalités qui renoncent à être candida(e)s à l’élection présidentielle, alors qu’elles l’ont un peu envisagé. Jean-Louis Bourlanges y consacre de longues lignes à ces candidats potentiels qu’il désigne sous le nom de « mandataires » : des hommes que beaucoup attendent, dans lesquels beaucoup  placent leurs espoirs, mais à qui il manque un rien de détermination ou d’esprit de sacrifice pour l’être. Quand on regarde l’interview  de Jean-Louis Borloo au 20H de dimanche, on ne peut qu’être frappé par son expression de soulagement. Comme s’il était sorti d’une nasse où son tempérament le dissuadait de se laisser enfermer.

Je pense qu’il a pris conscience, au fur et à mesure de la pré-campagne, que cette présidentielle allait être tout particulièrement dure. Peut-être qu’il ne s’est pas senti prêt à cette violence, à ces attaques, comme l’explique le maire de Valenciennes Dominique Riquet.

La deuxième explication, c’est qu’il a été soumis par ses « amis » centristes à une série d’épreuves et de chausse-trappes qui l’ont assez vite lassé...

Ce qui surprend c’est le timing, au début de l’automne, alors que rien n’annonçait une telle précipitation. D’autant plus qu’apparemment beaucoup des soutiens de Jean-Louis Borloo n’étaient même pas au courant.

Peut-on imaginer que l’Elysée est derrière tout ça, qu’il y aurait un accord officieux ?

Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, le retrait de Borloo n’avantage pas forcément l’Elysée. Des pressions se sont exercées sur lui, c’est certain, qui peuvent être de plusieurs ordres. Mais elles étaient, à mon sens, inspirées par un mauvais calcul. Les sondages montraient très nettement  que la candidature de Jean-Louis Borloo n’était pas susceptible de « mordre » sur l’électorat de Nicolas Sarkozy.

Jean-Louis Borloo aurait attiré à lui un électorat urbain, de classes moyennes voire supérieures, très diplômées : un électorat plutôt profilé à gauche. Il aurait probablement privé les socialistes de nombreux suffrages au premier tour. On s’apercevra assez vite que sa non-candidature n’avantage pas plus que ça l’UMP.

Où vont donc aller ces voix qui devaient porter sur Jean-Louis Borloo ?

Je pense qu’une partie de cet électorat tenté par Borloo ira vers François Bayrou, qui paraît en être le réceptacle le plus naturel.

Le PS profitera également de ce retrait, plus encore si François Hollande est son candidat.

Enfin, une frange se reportera vers Nicolas Sarkozy ou s’abstiendra. Mais je ne crois pas à une hausse massive des intentions de vote en faveur du chef de l’Etat suite à ce retrait…

Peut-on faire une analogie entre ce renoncement de Jean-Louis Borloo et celui de Jacques Delors avant l’élection présidentielle de 1995. Ces deux annonces avaient le même caractère très personnel…

Oui, parce qu’ils avaient tous les deux l’impression de ne pas être soutenus totalement par leur famille politique. Et que ces deux hommes très estimés, respectés, étaient des marginaux au sein de leur « camp », par formation et par tempérament. Des free riders, en somme !

Jean-Louis Borloo n’a pas le goût des appareils, pas plus que Jacques Delors ne l’avait. Comme lui, il aime à travailler sur des dossiers, des projets, et répugne aux chicayas, aux calculs, aux intrigues qui sont, aussi, une part de la politique.

Le retrait de Jean-Louis Borloo ne symbolise-t-il pas l’échec du centre à exister politiquement ?

L’erreur de Borloo est peut-être d’avoir voulu faire deux choses à la fois : à savoir, se présenter à la présidentielle et organiser un mouvement autour de lui.L’expérience prouve qu’il vaut mieux créer un parti après l’élection présidentielle : pensez à l’UMP ! Il est plus facile de structurer des énergies que des appareils dans la perspective d’une présidentielle. Particulièrement dans une famille politique où le poids des individualités est très fort, et dont les nuances font tout le charme.

Jean-Louis Borloo s’est donc épuisé à courir à la fois le lièvre de l’union des centres et celui de sa propre candidature. Il s’y est épuisé.

Reste un espace politique aujourd’hui vierge : celui d’une droite modérée, d’un centre droit « raisonnable ». Il finira forcément par être occupé, car la nature a horreur du vide.

Cela ne signifie donc pas, selon vous, qu’en dehors des « grands partis », il n’est point de salut ?

Les élections présidentielles diffèrent profondément les unes des autres. J’incline à penser que nous allons vers un scrutin très bipolarisé, où le débat sera surtout structuré autour du candidat socialiste et du président sortant.

2012 ressemblera peut-être plus à 1974 ou à 1981 qu’à 1995 ou 2002, pour être clair.

A quoi cela est-il dû ?

A la personnalité de Nicolas Sarkozy qui suscite le débat, y compris au sein de la majorité, à une gauche qui « a faim » car elle n’a pas exercé le pouvoir au niveau national depuis longtemps.

La crise pèse aussi en faveur d’une bipolarisation accrue : d’ailleurs Jean-Louis Borloo l’a évoquée comme une raison de son retrait. Il a dit ne pas vouloir, dans un tel contexte, ajouter de la confusion à une situation déjà complexe.

Jean-Louis Borloo est-il mort politiquement ?

Je ne crois pas. Il a un avenir politique : pas celui d’un rassembleur ni d’un homme d’appareil, mais plutôt d’un catalyseur d’énergies. Il pourrait prendre toute sa part dans des défis que la droite classique ne pourra pas relever sans un « supplément d’âme ». Comme celui de la reprise de l’Hôtel de Ville de Paris en 2014…


A lire : David Valence a publié sur son blog "trop libre", un article sur le sujet :
Un carnaval Démocratique

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