Quelques leçons de l’Histoire utiles pour que l’élan de la marche républicaine ne se brise pas très rapidement<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est submergée par une vague de rassemblements républicains inédite depuis la Libération.
La France est submergée par une vague de rassemblements républicains inédite depuis la Libération.
©Reuters

Mise en abyme

A la suite des attentats perpétrés à Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo, par trois assassins se réclamant de l’islamisme le plus radical, la France est submergée par une vague de rassemblements républicains inédite depuis la Libération. Un élan qui s'est déjà vu dans notre Histoire, et qui a pu parfois laisser place à des situations bien loin des aspirations collectives.

Laurent Avezou

Laurent Avezou

Laurent Avezou est historien, professeur en classes préparatoires, auteur de Raconter la France : histoire d’une histoire, Paris, Armand Colin, 2e éd. 2013, et de 100 questions sur les mythes de l’histoire de France, Paris, La Boétie, 2013.

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A la suite des attentats de Charlie Hebdo, une grande lueur de fraternité s'est levée à l’horizon, avec l’espoir d’un lien social retissé dans le rejet universel du terrorisme et de la bêtise aveugle. Pourtant, au soir du 13, l’observatoire de l’islamophobie du Conseil français du culte musulman enregistre déjà une cinquantaine d’actes hostiles contre des mosquées. L’unité nationale va-t-elle se ressouder dans le rejet d’une communauté stigmatisée par sa confession religieuse et par un report conséquent des voix électorales vers les adeptes de la préférence nationale, pour l’heure inclus – quoique avec circonspection – dans l’unanimisme républicain ?

Ce ne serait pas la première fois qu’un engouement général laissant présager des effets positifs pour l’ensemble de la société déboucherait sur d’autres événements négatifs, et que les bons sentiments tendraient un piège à ceux qui y adhèrent de bonne foi. On en voudra pour preuve deux précédents légués par l’histoire de la France contemporaine : la révolution de février 1848, et la remise des pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 – mais, à y regarder de plus près, les choses sont toujours moins simples qu’il n’y paraît.

La monarchie de Juillet

24 février 1848 : chute de la monarchie de Juillet. La révolution n’a duré que deux jours. La IIe République est proclamée. Elle bénéficie d’un consensus inattendu. Aux républicains se sont joints les classes moyennes, le clergé, et jusqu’aux monarchistes. Bourgeois, ouvriers, curés et aristos communient autour des arbres de la liberté plantés pour la circonstance. Le gouvernement provisoire mis en place prend un départ porteur d’espérances. La démocratie politique est instaurée, avec la proclamation du suffrage universel masculin et de toutes les libertés individuelles et collectives, l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort. Une amorce de démocratie sociale voit le jour, avec la proclamation du droit au travail, l’ouverture d’ateliers nationaux pour réduire le chômage, et la mise en place de la commission du Luxembourg, premier essai de dialogue direct entre ouvriers et patronat. Pour faire oublier l’expansionnisme de 1793, la République déclare la paix au monde, ce qui n’empêche pas son exemple d’être contagieux. Partout en Europe les trônes vacillent. C’est le Printemps des peuples.

Pourtant, dès la fin mars, l’unité est brisée. Les classes moyennes, inquiètes des mesures financières du gouvernement, sont lassées par la violence verbale et les défilés incessants des républicains. En juin, pour protester contre la fermeture des ateliers nationaux, les ouvriers dressent des barricades, violemment réprimées par la troupe. Depuis son exil, Louis-Philippe peut ironiser, amer : "La république a de la chance : elle peut tirer sur le peuple". Mais elle a perdu sa confiance. L’année 1848, qui avait débuté par un immense espoir, se clôt par l’élection à la présidence de la république de Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de l’Empereur. Celui-ci va bientôt entrer en conflit avec l’Assemblée législative où – comble du paradoxe en république – les monarchistes ont obtenu la majorité. Le 2 décembre 1851, il fait son coup d’Etat et instaure un régime autoritaire. Un an après, il est couronné empereur des Français sous le nom de Napoléon III.

Une révolution pour aboutir à un homme providentiel : est-ce une fatalité de l’histoire ? En fait, le consensus de février 1848 était d’emblée fondé sur un malentendu. Qu’y avait-il de commun entre les aspirations du clergé, lui-même divisé entre conservateurs, libéraux et socialistes, petits bourgeois, rêvant d’accéder aux droits électoraux, et grands bourgeois, uniquement soucieux de la préservation de leurs acquis sociaux, si ce n’est le rejet unanime du régime de Louis-Philippe. Les républicains, partagés entre radicaux et socialistes, n’avaient aucune expérience de l’exercice du pouvoir. Brusquement instauré, le suffrage universel dévoila ses surprises : les masses paysannes, sans éducation politique, avaient voté pour monsieur le curé ou monsieur le comte et précipité ainsi la majorité vers le candidat Bonaparte, dont le nom seul signifiait bien plus à leurs yeux que les promesses d’émancipation brandies avec de grands mots par quelques messieurs de la ville, qui n’en faisaient pas moins tirer sur les ouvriers. Dès lors, le champ était ouvert à la réaction politique et à l’ordre social que celle-ci promettait. Preuve, s’il en est, que les bons sentiments ne suffisent pas à construire durablement le consensus.

10 juillet 1940

Ils ne permettent pas non plus de faire durablement illusion sur la nature profonde d’un régime politique aux antipodes de ses déclarations de principe, comme l’atteste le destin scabreux de Vichy. 10 juillet 1940 : dans  la tourmente de la débâcle, les chambres réunies à Bordeaux, habilement manipulées par Laval, se sabordent et remettent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, dernier président du Conseil de la IIIe République. Celui-ci a déclaré le 17 juin faire à la France le don de sa personne "pour atténuer son malheur", dénonçant "l’esprit de jouissance" qui avait conduit le pays au désastre et prônant "l’esprit de sacrifice" pour le régénérer. Alors même qu’il annonçait l’entrée en vigueur de l’armistice avec l’Allemagne, le 25 juin, il avait prédit qu’un ordre nouveau commençait. Il n’est pas le seul à le penser, dans le désarroi général que connaît le pays, avec ces foules jetées sur les routes par l’exode, et placées par l’occupation à la merci du vainqueur. Comment dès lors refuser l’offrande de soi faite par ce vieillard de 84 ans, encore auréolé du souvenir du "sauveur de Verdun" en 1916, aussi extraordinairement âgé que Jeanne d’Arc était extraordinairement jeune quand elle se proposa pour sauver la France ? Comment ne pas se rallier à ce cri, certes pas unanime, mais largement distribué à travers la société : "C’est Pétain qu’il nous faut", adressé à un soldat clairement ancré à droite, mais qui a cultivé, sous la IIIe République, une image équivoque de modéré, étayée par le souvenir des quelques mesures qu’il avait prises en 1917 pour améliorer l’ordinaire des poilus de la Grande Guerre. Et puis, à un pays en pleine perdition, il faut un chef, capable de neutraliser les courants divergents et de rétablir l’unanimité nationale, mise à mal par les clivages politiques qui ont conduit, croit-on, à l’effondrement militaire de 1940.

La réalité est tout autre. Le régime que va couvrir Pétain de sa légitimité de vieux soldat, c’est l’Etat français, qui abolit la séparation des pouvoirs et lui confère plus d’autorité que n’en avait jamais eue Louis XIV. Un régime qui entreprend de rebâtir la maison France alors qu’elle est encore en flammes, et, de surcroît, avec celui qui lui a mis le feu : l’occupant allemand ! C’est Pétain qui lance la France de Vichy, dès octobre 1940, dans la voie de la Collaboration, levant ainsi tous les scrupules de ceux qui désiraient coopérer avec l’Allemagne, et dans l’espoir de promouvoir son régime du rang de vassal à celui d’allié du Reich. C’est Pétain toujours, épaulé de Laval, qui, pour préserver l’existence de plus en plus fictive de l’Etat français, concède à l’occupant une suite d’abandons, depuis la livraison du potentiel industriel du pays jusqu’à la participation à la chasse aux Juifs. Peine perdue : après avoir cru un temps aux sirènes de la "révolution nationale" prônée par le vieux soldat aux fausses allures de père Noël bienveillant, les Français s’en sont détournés dans l’attente de la Libération ou, pour les plus entreprenants d’entre eux, par l’entrée en Résistance.

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