Mesures anti-terroristes : de quel nouvel arsenal avons-nous VRAIMENT besoin ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Le terrorisme a changé d'échelle depuis les années 70 à 90, où il ne concernait que quelques dizaines de personnes.
Le terrorisme a changé d'échelle depuis les années 70 à 90, où il ne concernait que quelques dizaines de personnes.
©Reuters

Optimisation

Les forces de l'ordre n'ont pas ménagé leurs efforts pour mettre hors d'état de nuire Amedy Coulibaly et les frères Kouachi. Cependant elles manquent de moyens, surtout au niveau du renseignement, et le système judiciaire et pénitentiaire présente des lacunes.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

Voir la bio »
Alexandre Baratta

Alexandre Baratta

Psychiatre, praticien hospitalier, Alexandre Baratta est expert auprès de la Cour d'appel de Metz, et expert associé à l'Institut pour la Justice. Il est également correspondant national de la Société médico-psychologique

 

Voir la bio »
Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

Voir la bio »

Atlantico : Quelques heures après la fusillade de Charlie Hebdo, l’exécutif a tenu à préciser que les services de renseignement étaient depuis plusieurs semaines aux aguets, et avaient déjoué plusieurs attentats. Pourtant, le journal satirique n'a pu échapper à la tragédie. Sans pour autant incriminer les services de lutte anti-terroriste, quelles pourraient être les mesures, les méthodes à améliorer dans les procédures actuellement en vigueur, ce afin de faire face à la montée de la menace.

Alain Chouet : Il n’y a pas de "montée de la menace". La menace est permanente pour tous les États - à commencer par la France - qui interviennent contre l’expansion de l’islamisme salafiste dans le monde musulman et ses communautés émigrées.

La France a beaucoup investi sur le renseignement et c’est sans doute ce qui l’a mise à l’abri de nombreuses autres attaques au cours de la dernière décennie. On l’oublie trop souvent parce qu’il ne s’est rien passé, mais nous le devons en grande partie au travail obscur, quotidien et opiniâtre de nos services de renseignement intérieurs et extérieurs qui ont prévenu ou déjoué de nombreuses tentatives.

Le système fonctionne plutôt bien, mais ne dispose sur le territoire national que d’un peu moins de 5 000 fonctionnaires répartis sur l’ensemble de l’hexagone qui doivent assurer concurremment les missions de contre-terrorisme, de contre-espionnage, de lutte contre la criminalité transnationale organisée. C’est peu... et cela ne permet même pas d’assurer le suivi permanent et le contrôle de tous les éléments déjà identifiés comme potentiellement dangereux sur le plan terroriste. Même si ces derniers sont évalués pour l’instant à un petit millier, il faudrait environ 15 000 personnes pour en assurer le suivi permanent 24h sur 24 et 365 jours par an.

Compte tenu de la multiplication des candidats à la violence islamiste stimulés par les développements internationaux, c’est plutôt à un changement d’échelle qu’à un changement de méthode qu’il faut procéder. Le terrorisme interne ou international des années 70 à 90 concernait quelques dizaines de personnes. La violence salafiste actuelle en mobilise quelques centaines. C’est à cette donnée quantitative qu’il faut s’adapter si on ne veut pas que le phénomène fasse boule de neige et qu’on passe des centaines aux milliers.

Eric Dénécé : Malheureusement, une action de ce type était attendue, même si personne ne savait quand et contre qui elle aurait lieu. Nous savions cependant que Charlie Hebdo était une cible. En effet,  un des numéros de 2013 du magazine INSPIRE d’Al-Qaeda, publié en anglais, donnait la description exacte de la manière dont devaient être assassinés les membres de la rédaction de Charlie Hebdo. Cela veut donc dire que les frères Kouachi n’ont fait qu’exécuter une sorte de "fatwa" et qu’ils n’ont pas choisi leur objectif eux-mêmes.

L’un des frères Kouachi était connu, avait été surveillé et restait suivi. Mais dans la mesure où il ne paraissait pas actif dans le milieu islamiste radical et terroriste, les services ont allégé leur surveillance. C’est alors qu’avec son frère, il a décidé de passer à l’action. Finalement, comme Mohamed Merah, ces criminels ont étudié comment fonctionne notre système et ont fait ce qu’il fallait pour "endormir" les services de sécurité.

La protection policière existait, mais elle ne pouvait anticiper les niveaux de violence et d’armement qui ont été ceux des assassins. 

Ne serait-il pas plus efficace de s’attaquer aux canaux de financement ?

Alain Chouet : L’arme policière et judiciaire est évidemment indispensable pour réprimer et sanctionner les actes terroristes commis et tenter de dissuader les candidats potentiels à la violence. Mais en s’attaquant aux exécutants des actes terroristes islamistes, on s’en prend aux effets de la violence salafiste et non à ses causes. Et ces causes résident depuis les années 1980 dans le contrôle par l’argent de l’Islam mondial par des théocraties de la Péninsule arabique qui fondent leur légitimité sur le radicalisme islamique sunnite pour se prémunir à la fois contre toute dérive démocratique et contre la concurrence de l’Iran chiite et de ses alliés.

C’est pourquoi, sur le territoire national comme à l’étranger, il est préférable d’agir le plus en amont possible par des mesures politiques, sociales, éducatives, culturelles, psychologiques susceptibles d’assécher le vivier potentiel des volontaires de la violence et surtout de s’attaquer aux "parrains" idéologiques et financiers de cette violence qu’on ne connaît que trop bien... Mais c’est là un problème de décision politique qui ne relève pas des services de sécurité.

Amedy Coulibaly et Saïd, l’aîné des frères Kouachi, avaient fait un passage en prison, où ils sont supposés s’être radicalisés (à moins qu’ils ne l’étaiznt déjà). Quels sont les dispositifs actuellement mis en place pour surveiller ce type de prisonnier ? Le système actuel, sans pour autant être inefficace, est-il suffisamment adapté ?

Alexandre Barrata : Pour resituer les choses, je précise que j’interviens en milieu carcéral à 2 niveaux :

  • En tant que psychiatre traitant (maison d’arrêt de Sarreguemines)
  • En tant qu’expert judiciaire (évaluation de délinquants et criminels sur une vaste région Alsace-Lorraine mais aussi région parisienne entre autres)

Sur les 2 dernières années, j’ai pu être confronté dans ma pratique à 12 individus (aux riches antécédents judiciaires par ailleurs) candidats au djihad. Tous exprimaient a volonté farouche soit de partir à l’étranger (Syrie, Afghanistan), soit de tuer un maximum de Français sur notre territoire. Trois d’entre eux étaient des européens convertis à l’Islam, tandis que les autres étaient d’origine magrébine. Leur caractéristique commune : un profil poly délinquentiel tel qu’on peut le retrouver de façon classique en détention (plusieurs condamnations pour vols, violences volontaires, consommation de stupéfiants). Dans ce cadre-là 2 possibilités :

  • Si j’interviens en tant qu’expert judiciaire, je peux et je dois le spécifier dans mon rapport d’expertise. Mais à ma connaissance, une telle spécification n’a jamais entraîné de modification quant au traitement judiciaire du sujet, considéré comme un délinquant "classique" de droit commun. Je peux citer le cas d’un  sujet comparaissant en Cour d’Assises pour meurtre et qui s’était radicalisé en prison. Cette donnée pourtant particulière n’a jamais été prise en compte durant son procès.
  • Si j’interviens en tant que psychiatre traitant, les choses sont plus délicates. Soumis au secret professionnel, le code pénal prévoit une dérogation : le médecin traitant peu (mais ne l’y contraint pas) révéler les projets criminels par signalement au Procureur de la République.

Dans ma pratique en détention, je n’ai jamais remarqué de traitement judiciaire particulier des 12 candidats au djihad que j’ai rencontré. Ils ont été considérés et traités comme des justiciables de droit commun, alors qu’ils représentent un terrible potentiel de dangerosité.

Notre système pénal de suivi des délinquants de droit commun est inefficace en l’état. La faute au manque de moyens chronique : insuffisance du nombre de Juges d’Application des Peines pour assurer le suivi en milieu libre, et insuffisance des Conseilleurs d’Insertion  et de probation (CPIP). De tels manques avaient déjà été soulignés lors de récidives de criminels "classiques" (affaire Tony MEILHON par exemple). A titre d’exemple, un suivi "intensif" d’un délinquant particulièrement dangereux consiste en une convocation mensuelle auprès de son CPIP. Transposez maintenant ce concept insuffisant à des terroristes déterminés. Car de tels profils sont bien  plus dangereux que de simples condamnés de droit commun. Le registre n’est plus le même : nous quittons le domaine du crime pour passer dans celui de la guerre civile. Déjà en mal de suivre les détenus de droit commun, la justice ne peut plus suivre.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !