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"Je suis Charlie" : pourquoi ce serait bien qu'on soit aussi les policiers, les profs ou tous ceux que notre aveuglement ou notre lâcheté laissent seuls en première ligne
©Reuters

La république des oubliés

La mobilisation en faveur de Charlie Hebdo ne faiblit pas dans tout le pays. Si "Je suis Charlie" est le slogan le plus lu et entendu, les policiers, les professeurs et bien d'autres sont confrontés quotidiennement à la violence, particulièrement dans les zones sensibles de France.

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane

Mohamed Douhane est commandant de police, Secrétaire national du syndicat Synergie officiers et enseignant-conférencier en management de la sécurité et de la gestion de crise.


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Marie Tran

Marie Tran

Conseillère municipale UMP-UDI-DVD de Nanterre, enseignante en ZEP.

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Camille Bedin

Camille Bedin est conseillère départementale des Hauts-de-Seine, canton Nanterre-Suresnes, et secrétaire nationale, membre du bureau exécutif des Républicains.

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Lydia Guirous

Lydia Guirous

Lydia Guirous est essayite, auteure de « Assimilation en finir avec ce tabou français » aux éditions de l’Observatoire et de « Ca n’a rien à voir avec l’Islam ? Face à l’islamisme réveillons-nous » aux éditions Plon, réédition en version augmentée et inédite.

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Atlantico : Enseigner dans les quartiers populaires de banlieue est parfois difficile. Quels sont les problèmes concrets que peuvent rencontrer un professeur de collège ou de lycée dans l’exercice de son enseignement ?

Camille Bedin et Marie Tran :Dans les quartiers populaires et en banlieue, il y a d’abord des élèves talentueux, travailleurs, qui veulent réussir, créer, entreprendre, fonder une famille et avoir un beau métier ! Ne l’oublions pas… Il y a aussi, c’est vrai, des problèmes concrets qui sont souvent liés à l'âge des élèves et se retrouvent dans tous les établissements (bavardages, violences verbales, parfois physiques). Et puis il y a également des facteurs qui accentuent les difficultés :

- les fragilités parentales : il arrive trop souvent que des enseignants, même jeunes, se retrouvent à expliquer à des parents plus âgés qu'eux qu'il est important pour leurs enfants de se coucher tôt ou de ne pas veiller devant des jeux vidéos. Cette expérience est celle des enseignants mais aussi du monde associatif, avec des bénévoles devant rappeler aux parents et aux enfants des règles de bon sens.

-  la culture : comme l'absence de maîtrise de la langue, ou la rencontre de cultures différentes (dans certaines cultures, quand quelqu'un subit une remontrance, il ne doit pas regarder la personne dans les yeux, or c'est l'inverse que les professeurs exigent, par exemple, dans notre éducation commune, ce qui est interprété comme un défi).

- plus grave, la précarité des conditions de vie : il n'est malheureusement pas si rare de faire face à une vraie pauvreté matérielle (les enseignants sont confrontés à des situations très difficiles, de familles vivant à l'hôtel, ou dans des taudis, à 8 dans 2 pièces).

- l'absence de mobilité sociale par l'école : les enseignants peuvent avoir affaire à des gens pour qui l'école ne signifie pas - ou  ne signifie plus - forcément une élévation sociale. C’est terrible pour notre modèle républicain. Pour certains, il y a aussi des tentations : les petits caïds font croire qu’il est possible de gagner aisément, par différents trafics, un niveau de vie nettement supérieur à ce que gagne un enseignant, ou à ce qu’on peut gagner en travaillant "normalement".

- enfin, la difficulté à rencontrer les parents (combien de réunions les enseignants font​-ils​, avec moins de 10 parents présents sur une classe de 25?) qui ne veulent pas, qui n'y pensent pas, qui ne peuvent pas venir ou qui ont parfois aussi "peur" de l’institution scolaire qu’ils ne connaissent pas et qui ne fait pas toujours tout ce qu’il faut pour se rendre accessible.

Qu'est-ce qui permet de dire que certains élèves ne s’inscrivent pas dans les valeurs républicaines ?

Camille Bedin et Marie Tran :Les banlieues, c’est précisément la République et à la fois un concentré de ses fragilités et de ses problèmes. Leurs habitants sont français et les jeunes le savent et le vivent. Mais certains s’opposent à la République (comme, dans une certaine mesure, le font d’autres extrémistes ailleurs). Les problèmes sont connus et graves : même s'ils ne concernent qu'une minorité d'élèves, car ces derniers sont souvent influents et pèsent dans la vie d’un groupe. Malheureusement, on ne semble pas prendre conscience politiquement de l'enjeu, en tout cas pas suffisamment.

Le premier grand problème relève de l'incapacité à faire la différence entre les principes religieux, qui appartiennent à la liberté de chacun, et l'apprentissage de faits historiques ou objectifs des programmes scolaires nationaux. Ainsi, les professeurs de sciences font parfois face à un refus d'apprendre ou d'entendre certains cours (créationnisme). On rencontre aussi dans les classes des phénomènes qui sont le fait d'un ou deux élèves seulement, mais qui perturbent le cours et intimident l'apprentissage du reste de la classe, comme la ponctuation des cours sur l'Islam de mots en arabe pour "la provoc"​, que ne comprennent pas les enseignants et qui sont destinés aux autres élèves, ou par le refus ostentatoire d'étudier les faits d'un point de vue historique.

Le deuxième grand problème est idéologique. Ce sont souvent les professeurs d'histoire géographie qui les rencontrent, en faisant face à la négation pure et simple de la Shoah, des génocides arménien ou tzigane, et par les difficultés de raconter l'histoire. Le dernier grand problème est celui du comportement. Les élèves se croient parfois tout permis et le travail en éducation civique est souvent harassant pour les enseignants, qui travaillent beaucoup, par exemple, sur les caricatures de Plantu, Charb,... La violence de certains propos - sexisme, homophobie, etc. - est très présente, c'est pour cela que les enseignants essaient de faire appel à des partenaires pour venir témoigner, raconter (comme la Ligue des droits de l'homme, des jeunes en service civique auprès du défenseur des droits, etc...).

Dans quelle mesure la violence perpétrée en milieu scolaire témoigne-t-elle de la décrépitude des valeurs républicaines ? L’installation de ce communautarisme traduit-elle finalement un renoncement ?

Camille Bedin et Marie Tran :Probablement, un peu, mais cette violence ne touche pas que les banlieues ni les quartiers populaires. Beaucoup d'enseignants font un travail difficile et y mettent de la volonté, de l'enthousiasme, de la détermination. Mais il ne faut pas oublier qu'ils sont envoyés souvent très jeunes et sans expérience dans les établissements qui ne sont pas les plus simples à gérer pour un début de carrière. Les jeunes sont individuellement attachants, pleins d'énergie et de curiosité, mais ils évoluent dans un milieu (pas seulement en milieu scolaire) où l'effet de groupe entraine une montée de l'agressivité, dans un contexte ou leurs "stars" ou leurs références ne sont pas toujours exemplaires.

C'est dur pour tous, mais les jeunes enseignants sont en première ligne. Il y a un manque cruel de formation, mais aussi un double problème : celui du recrutement des enseignants et du manque de vocation ; celui de la gestion des ressources humaines de l'Education nationale (salaire, évolution, prime, ...). Les enseignants en ZEP devraient être considérablement mieux rémunérés (et non pas quelques centaines d'euros par an) et incités à y venir. On devrait y attirer aussi les enseignants expérimentés qui laisseraient leur place aux plus jeunes, afin que ces derniers apprennent le métier dans les meilleures conditions.

Dans quelle mesure peut-on dire que certains quartiers sont devenus des zones de non-droit où les forces de l’ordre doivent faire particulièrement attention avant d’intervenir ? En quoi peut-on dire que des dealers tentent de mettre des quartiers en coupe réglée afin d’organiser un trafic de stupéfiants ?

Mohamed Douhane :Les policiers interviennent dans des quartiers ou zones urbaines sensibles de façon particulière et avec prudence car ils sont considérés comme des cibles. Ces violences urbaines s’inscrivent dans un cycle de défiance vis-à-vis de l’autorité. Elles touchent aussi bien les policiers que les enseignants qui travaillent dans ces quartiers sensibles, les postiers, les chauffeurs de bus, les médecins etc. La violence contre les policiers s’inscrit dans une sous-culture de banlieue qui a ses propres codes et qui favorise tous les préjugés anti institutionnels. Celle des mineurs est la plus inquiétante. Elle prospère par ailleurs sur fond d’économie souterraine. Les bandes agissent dans une logique de territoire avec un phénomène d’ethnicisation croissante. Le travail des policiers est de se réapproprier l’espace public car pour une partie de la jeunesse les policiers ne sont pas considérés comme un service public mais comme une bande rivale, voire un trouble d’occupation.

Les dealers considèrent en effet ces quartiers comme des chasse gardées où les policiers sont les empêcheurs de tourner en rond. Ils sont mal venus et mal acceptés car ils perturbent leur business. Lorsque la pression policière sur les trafics de stupéfiants est trop importante on constate une montée des agressions contre les forces de l’ordre. C’est une façon de marquer leur territoire. Ce n’est pas nouveau car la violence existe depuis 30 ans mais nous avons l’impression que cela s’aggrave par l’utilisation banale des armes à feu depuis les émeutes de 2005. Novembre 2005 a marqué une rupture à ce sujet. On demande aux policiers d’intervenir toujours avec parcimonie et avec le souci de ne pas être à l’origine d’événements qui pourraient provoquer des violences plus importantes. 

Camille Bedin et Marie Tran : D’abord, il faut prendre garde à ne pas généraliser. Les problèmes existent, mais ils ne sont pas la norme dans notre pays fort heureusement. Dans ce que vous décrivez dans votre question, il y a deux problèmes : 

- l'abandon de certains quartiers par la République en général (un manque d'investissement depuis des décennies, suite à la concentration massive de populations fragiles dans certains quartiers) et parfois, par les élus en particulier qui préfèrent acheter la paix sociale en laissant les dealers libres de gérer leurs affaires, en contrepartie d’une relative tranquillité du quartier ;

- la perte de repères et de valeurs morales, de la notion de ce qui est légal et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas ; la tentation de se réfugier derrière sa situation difficile (chômage, précarité,...) pour excuser tous les comportements ; la tentation de la victimisation pour ne pas se battre. 

Attention, une fois cela dit, n'oublions cependant pas qu'il existe aussi dans ces zones, même les plus difficiles, des mères, des pères, des jeunes qui font tout pour s'en sortir, pour travailler, pour gagner de l'argent honnêtement, et qu’ils y arrivent : ils deviennent propriétaires, ils aident leurs parents et leurs frères et soeurs, et ceux-là exècrent ceux qui n'essaient pas, au moins, de faire la même chose qu'eux. 

Une partie du personnel médical n’ose plus se rendre dans certains quartiers. Ainsi, un enfant de 10 ans est décédé en août dernier dans un quartier sensible d’Epinay sur Seine alors que ni le Samu ni le taxi ne voulaient le prendre en charge. Quelles sont les conséquences de ces violences sur ces territoires ?

Mohamed Douhane :L’Etat a de plus en plus de difficultés à déployer ses services publics car les fonctionnaires qui servent dans ces endroits se sentent vite abandonnés. Le gros problème est donc de pouvoir fidéliser les fonctionnaires dans ces quartiers et particulièrement les policiers. On n'a rien trouvé de mieux que de mettre des policiers inexpérimentés qui sortent d’école. Ces policiers sont confrontés à une gestion de l’ordre public de plus en plus difficile à mettre en œuvre. Ces jeunes ont pour objectif de rejoindre des territoires beaucoup plus paisibles. Il faudrait plutôt mettre des expérimentés. Ce phénomène touche aussi l’éducation nationale, les assistants sociaux et les éducateurs de rue : l’âge moyen est le même. Les policiers sont tout de même en première ligne car ce sont eux qui subissent la violence.

Camille Bedin et Marie Tran : La responsabilité politique est majeure : nous ne devons jamais, jamais laisser le sentiment diffus que les pouvoirs publics ont laissé tomber. C'est là où le volontarisme politique doit reprendre toute sa place. La République doit être d’une solidité exemplaire. Sans naïveté, sans injuste fermeté, les responsables, les élus locaux doivent tout faire pour, au moins, essayer d'améliorer la situation. Etre présents, faire appliquer les règles, sanctionner les infractions, rappeler la loi, dialoguer avec les parents,... Tout doit être fait, sans arrêt. Au plan national, nos responsables politiques doivent prendre la mesure de la situation dans certains quartiers. Là encore, sans stigmatiser et sans angélisme, ils doivent rappeler un certain nombre de principes fondamentaux, intelligemment. Surtout, il s'agit de faire de l'Education la cause nationale prioritaire des prochaines années. Et là, tous les politiques sont responsables de n'avoir pas, depuis 30 ans, fait les réformes nécessaires pour assurer l'égalité des chances à tous les enfants, d'où qu'ils viennent - et c'est valable pour le milieu rural comme pour les quartiers.

En dehors des agressions physiques,  la violence peut prendre d’autres formes. Ainsi, certains musulmans se sentent obligés de pratiquer leur religion en faisant par exemple le ramadan sous peine de se sentir rejetés par les autres. Des femmes sont quant à elles contraintes de porter le voile sous le poids de la pression exercée par certains extrémistes. Comment s’illustre concrètement dans les cités cette tentation communautaire ?

Lydia Guirous :Il ne s'agit pas d'une tentation communautaire mais d'une menace communautaire. Ce que vous décrivez est vrai et il ne faut pas faire un déni de réalité de peur de passer pour un raciste. Dans de nombreuses banlieues, il existe une très forte pression religieuse menée par les islamistes radicaux. Celle-ci pèse en premier lieu, bien sûr, sur les femmes et les enfants mais également sur les hommes qui reçoivent l'injonction de se conformer à leur vision de la société et de la religion sous peine d'être exclu de la "communauté". Le problème de fond de l'islam en France est qu'il y a autant d'islams que d'imams. Le deuxième problème est que les politiques ont fermé les yeux sur la radicalisation de l'islam dans certaines banlieues à des fins électoralistes. Ils ont laissé filer des quartiers entiers aux mains des salafistes qu'ils ont laissé volontairement se guettoïser et fonder une contre-société en opposition totale avec la République française. Aujourd'hui, d'urgence et plus que jamais, il faut passer au karcher l'islamisme radical et les imams radicaux dans les cités. Il faut également d'urgence mettre un grand coup de pied dans les trafics de drogue qui gangrènent les cités et alimentent la violence, la haine et le terrorisme. On ne  reçoit pas des armes de guerre par colissimo, celles-ci arrivent par des filières mafieuses très organisées et sont financées par l'argent de la drogue. Il y a donc un double problème à régler aujourd'hui, un problème religieux de radicalisation de l'islam qui doit être traité en concertation avec les musulmans modérés, et un problème de délinquance lié aux trafics de drogue.

Cela traduit-ilun renoncement face aux valeurs de notre société ?

Lydia Guirous :Laisser une femme en burqa sur la voie publique, c'est renoncer à l'égalité hommes-femmes, c'est donc renoncer à la l'égalité, c'est donc renoncer à la République. Imposer une pratique religieuse et des modes de vie, notamment des interdits alimentaires en tout genre, c'est nier la liberté des individus, c'est donc nier la République. Fermer les yeux sur les mariages forcés, c'est nier les droits élémentaires des femmes, et nier les droits des femmes, c'est nier la République. La France est un pays où les personnes vivent avec les autres et non les uns à côté des autres. Céder au fait religieux, c'est abandonner la laïcité qui est un pilier de notre histoire républicaine.

Quels sont les autres problèmes concrets rencontrés par les élus de banlieue dans l’exercice de leur fonction ? 

Camille Bedin et Marie Tran :Il y a bien sûr ceux de l'insécurité, du logement et de l'emploi. Sur la sécurité, certains élus, comme à Nanterre, ont baissé les bras, se désintéressent ou ont choisi la facilité en rejetant la responsabilité sur l'action de l'Etat, sans chercher eux-mêmes à agir - or ils en ont les moyens (vidéoprotection, police municipale) et ils en ont le devoir (le maire est le premier magistrat et a des pouvoirs de police).

Le logement est un problème national préoccupant, pour deux raisons : il n'y a jamais eu aussi peu de constructions de logements que sous François Hollande (et la loi Duflot est une catastrophe à cet égard) et il existe une vraie pénurie ; la mobilité du parcours résidentiel n'existe que très peu, bloquant des gens en réel besoin pour l'obtention de logements qui ne se libèrent pas. Au plan local, les élus peuvent construire ; mais ils ont aussi le devoir de veiller au respect de l'équilibre social pour recréer de la mixité sociale dans les quartiers. Enfin, l'emploi relève aussi, très largement, de la politique gouvernementale et, en la matière, l'échec est généralisé.

Les élus locaux ont donc beaucoup à faire et, pour beaucoup, font de leur mieux dans des contextes économiques, urbains et sociaux très difficiles. Mais ils sont souvent le dernier maillon de la République et représentent pour les citoyens beaucoup d'espoir, de volontarisme et d'engagement. Ils doivent donner l'exemple, rester sur le terrain, continuer de se battre et utiliser tous leurs pouvoirs et leurs prérogatives pour agir. Ce sont souvent eux qui permettent à la Politique en général, dont le blason est bien terni, de rester un espoir pour nos concitoyens. 

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