Les erreurs de la stratégie anti-terroriste française<!-- --> | Atlantico.fr
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Un militaire français patrouillant devant la tour Eiffel.
Un militaire français patrouillant devant la tour Eiffel.
©Reuters

On les aura !

Les terroristes qui ont commis un massacre dans les locaux de Charlie Hebdo sont des professionnels, selon certains spécialistes.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Deux tueurs ont pénétré ce 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo pour assassiner Wolinski, Charb, Cabu, Tignous et l’économiste Bernard Maris. Au total, 12 personnes sont mortes, dont 2 policiers
  • L’hebdomadaire avait publié en 2006 et 2012 des caricatures de Mahomet  jugées blasphématoires par les Musulmans. Le journal avait fait l’objet de nombreuses menaces. 
  • Qui sont ces terroristes qui courent toujours ? Pour les spécialistes, leur détermination, leur sang-froid laissent à penser que ce sont des vrais pros. Payées par un mouvement étranger ?
  • Dans  ce climat dramatique,  les appels à l’unité nationale lancés par la classe politique sont les bienvenus. Mais demain, deviendront-ils dérisoires ?
  • Etrange coïncidence : cet acte barbare survient au moment où paraît Soumission,  le dernier livre de Michel Houellebecq

Hier, Paris s’est transformée en Bagdad-sur-Seine ou en Kaboul-sur-Seine. Bien sûr, pour l’heure, il est difficile, voire impossible de dire qui sont les auteurs de la tuerie à la kalachnikov qui a visé Charlie-Hebdo et causé la mort de Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, de l’économiste Bernard Maris et de huit autres personnes dont deux policiers en faction devant l’immeuble du XIème arrondissement. Qui peut affirmer, sans se tromper, que les tueurs sont des frères ou des cousins de djihadistes ? Qui peut dire que ce seraient des petits voyous d’une bande de banlieue ? Qui peut dire s’ils ont été téléguidés ou armés par un mouvement venu de l’étranger ? En tout cas, cet acte terroriste, c’en est un, pourrait  se situer  dans  la lignée de ceux commis en 1995 par Khaled Kelkal - dont celui de l’attentat du RER Saint-Michel -  ou dans celle du gang de Roubaix, proche d’Al Quaïda,  en 1996.  A moins qu’il n’ait été inspiré par  Mohammed Merah qui assassina, en mars 2012,  sept personnes dont trois enfants à Toulouse et à Montauban. Ce  mercredi, aucune revendication. Pas de cri, mais un slogan lancé, semble-t-il, par les deux tueurs, vêtus de noirs, à l'allure déterminée, lorsqu’ils sont entrés dans les locaux  du journal satirique où se tenait la conférence de rédaction. Là, c’est sûr, ce n’est pas un hasard. L’hebdomadaire paie chèrement le prix de la publication des fameuses caricatures de Mahomet en 2006 et 2012. Ces caricatures étaient restées en travers de la gorge de nombreux Musulmans de France. En 2012,  Daniel Cohn-Bendit avait jugé « cons et masos » les dirigeants de Charlie-Hebdo, tandis que le ministre de l’Education nationale d’alors, Vincent Peillon, défendait leur publication au nom du « principe intangible » de  liberté d’expression. Aujourd’hui, comment ne pas voir une tragique coïncidence entre la parution du livre de Michel Houellebecq, Soumission, et cet acte barbare du 7 janvier ?

Depuis trois ans, la France se trouve une nouvelle fois au cœur de la cible des terroristes. Comme elle l’avait été avec l’attentat, en septembre 1986 de la rue de Rennes ou ceux de 1995, notamment à la station RER Saint-Michel, dont l’auteur, Khaled Kelkal, rappelons-le, était membre du GIA algérien. A priori, la tuerie de Charlie Hebdo semble avoir comme auteurs des ennemis de l’intérieur, habitant le territoire français. Ce qui devrait être plus facile pour les localiser, puis les arrêter, sauf s’ils ont quitté le territoire national, ce qui paraît exclu. De plus, les policiers chargés de la lutte contre le terrorisme, savent que dans ce genre de forfaits, même préparés, les malfaiteurs-tueurs laissent souvent des indices. En marge de cette équipée sauvage, meurtrière, quelques remarques peuvent d'ores et déjà être faites.

D’abord les pouvoirs publics, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, quelle que soit leur couleur politique, ont une propension, chaque fois qu’une planque de terroristes, qu’un réseau est démantelé, à l’annoncer haut et fort. Il y a peu, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, annonçait publiquement  que 10 individus impliqués dans une filière  djihadiste, organisatrice  de départs pour la Syrie avait été démantelée. Le ministre avait raison d’être satisfait. Certes, une telle nouvelle rassure non seulement le bon peuple qui se sent protégé mais galvanise aussi les policiers, heureux de voir leur travail cité en exemple. Sauf que cette stratégie agace, pour ne pas dire plus, les apprentis ou professionnels du terrorisme et renforce plus que jamais leur désir de se venger. Quitte à passer à l’acte. Bref, en matière de lutte contre le terrorisme, le silence devrait être d’or. Qui a oublié le célèbre mot d’ordre du nouveau ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, au printemps 1986 ? « Il faut terroriser les terroristes. »  C’était à la suite de l’attentat de la galerie Point Show des Champs-Elysées qui causera la mort de 2 personnes et en blessera 29.

Si le silence, ou du moins la discrétion, de nos gouvernants, doit être la ligne de conduite, ce n’est pas pour autant qu’il faut multiplier les projets de loi en matière de terrorisme.  C’est bien connu : trop de lois tuent la loi. La France, en 1986,  pour répondre aux attentats, s’est dotée d’un arsenal juridique qui a très bien fonctionné, malgré les réticences d’une gauche frileuse et peu pragmatique. C’est ainsi qu’a été créée la section anti-terroriste du Parquet de Paris, la XIVème section, seule compétente à instruire les affaires de terrorisme sur l’ensemble du territoire national. A l’époque, cet arsenal, qui ratissait large, avait été critiqué par quelques juristes qui y voyaient la résurgence de juridictions d’exception de l’Occupation. Finalement, cette section avec, à sa création, Alain Marsaud comme chef accompagné de juges antiterroristes de premier plan, Jean-Louis Bruguière , dit «  l’ Amiral », Laurence Le Vert, puis plus tard, Gilbert Thiel, a connu de remarquables résultats. En décembre dernier,  à l’initiative du  gouvernement Valls, l’Assemblée nationale, de gauche, laissant de côté l’angélisme, a renforcé le dispositif législatif en raison de la prolifération de djihadistes français se rendant en Syrie. En créant notamment un délit d’entreprise terroriste individuelle. De même, le nouvel arsenal juridique prenait conscience de l’importance majeure  accordée à Internet par le terrorisme. Rien à dire. Sauf qu’en ce mois de décembre 2014, l’ensemble de la classe politique, obsédée par le djihadisme, a négligé une hypothèse : celle où un type un peu désaxé, un loup solitaire, se met à  faire un carton sur des passants ou pénètre dans un établissement symbolique. Comme l’est un commissariat de police. C’est ce qui s’est passé ce 22 décembre  2014,  lorsqu’un individu, armé d’un couteau, est entré dans celui de Joué-les-Tours (Indre-et-Loire), a tué un policier, avant d’être à son tour abattu. L’individu, a confirmé un policier témoin de la scène, a bien crié Allahou Akbar (Dieu est le plus grand !) avant d’accomplir son forfait. Cela semble accréditer que le geste de ce jeune homme originaire du Burundi, et âgé de 20ans, est bien celui d’un islamiste radical.

Les auteurs de la tuerie de ce funeste 7 janvier auraient-ils été inspirés par ce qui s’est passé au commissariat de Joué-les-Tours ? Rien ne permet de l’affirmer, les parallèles entre tel ou tel évènement, étant souvent dangereux. Cette descente meurtrière aurait-elle été décidée de longue date ? Seule l’arrestation de leurs auteurs permettra de répondre  à cette question. A dire vrai, avec le climat qui règne actuellement dans le pays où les débats multiples et variés sur la vraie nature de l’Islam – modéré ou hégémonique-virent à l’affrontement permanent, la France craque de tous côtés. Chacun  ayant des idées définitives sur le sujet. Certains estiment que la tolérance est la clé de voute de la religion musulmane, d’autres jugent cette position abracadabrantesque. Il y a dix ans, ce fut la  bataille au Parlement sur le port du voile à l’école. Il y a un peu plus de quatre ans, en octobre 2010, l’interdiction de la burqa dans l’espace public. Cette dernière est appliquée de façon fantaisiste. Pour tout dire, les femmes qui portent la burqa ne sont pratiquement jamais verbalisées. Quand elles le sont, on est au bord de l’émeute. Bon nombre de musulmans, pourtant Français, n’apprécient guère ces textes. Petit-à-petit, une partie de cette communauté s’éloigne de la France. A cet égard, les émeutes de Barbès au début de l’été, où l’on a entendu crier Allahou Akbar, et la tentative d’incendie d’une synagogue à Sarcelles, nous rappellent que oui, la France se fissure. Et que les appels à l’unité nationale, lancés ici et là par la classe politique dans un bel unanimisme ce mercredi 7 janvier, risquent d’être éphémères. Pour tout dire, des vœux pieux sans lendemain.

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