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Retrait d’Afghanistan : l’armée la plus forte du monde est-elle devenue incapable de gagner une guerre ?
©Reuters

Paradoxe

Après 13 ans de conflit, la force de combat de l’OTAN (Isaf) va se retirer dimanche d’Afghanistan, pour laisser la place à une mission d’aide et de formation de l’armée afghane. Le constat est amer pour les soldats, qui bénéficient pourtant d'importants moyens face à des combattants comparativement moins bien équipés.

Valls Macron

Quentin Michaud

Quentin Michaud est journaliste spécialisé dans les questions de défense et de stratégie. Il a été formé à l'Ecole de guerre économique.

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Atlantico :  Les talibans se tiennent en embuscade, prêts à reprendre la main sur l’ensemble du territoire, instillant de manière patente un sentiment d’inachevé aux troupes sur le départ. L’armée américaine, qui est la plus puissante du monde, serait donc devenue incapable de gagner une guerre ?

Quentin Michaud : La coalition quitte l'Afghanistan non pas parce que la guerre est terminée mais parce que nous avons décidé de mettre un terme à notre engagement militaire dans le pays. Après plus de dix ans de guerre, il était difficilement acceptable politiquement de poursuivre un effort de guerre dans un conflit qui n'emporte pas la majorité de l'opinion occidentale. Plus de 3000 soldats de la coalition ont été tués depuis le début des opérations à la fin de l'année 2001. Dans ce contexte, c'est une victoire avancée par l'ISAF qui a un goût amer de défaite pour les militaires qui ont participé à ces opérations. Les talibans poursuivent chaque semaine leurs actions de harcèlement auprès des forces afghanes et leurs attentats jusque dans la capitale Kaboul. 

La question dépasse les Etats-Unis seuls puisqu'une véritable coalition otanienne a permis de conduire des missions aériennes, d'infanterie, de Forces Spéciales, de renseignement et civilo-militaires en insérant des militaires venus de Norvège, de Nouvelle-Zélande, de France, de Grande-Bretagne ou encore d'Allemagne. Après tant d'années d'efforts, cette coalition a-t-elle réellement gagné les coeurs et les esprits de la population afghane ? J'en doute lorsque l'on constate la puissance aujourd'hui des réseaux talibans, tel que le réseau Haqqani, la porosité de la frontière afghano-pakistanaise et le manque cruel de négociations entre les autorités afghanes et ces mêmes bélligérants. Le constat est sans équivoque : Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se sont retirés à chaque fois la tête baissée d'Afghanistan ou encore d'Irak.

Paradoxalement, l’écart technologique entre les puissances occidentales et les hommes qu’elles affrontent en Afghanistan et en Irak (au travers de frappes aériennes) ne cesse de s’agrandir. Quel est l’intérêt d’avoir des drones et de s’équiper de "soldats du futur"  si cela ne permet pas de l’emporter sur des adversaires, qui eux, en sont restés à la kalachnikov ?

L'adversaire s'adapte lui aussi, il peut utiliser de nouvelles armes mais aussi et surtout adapter sa stratégie au combat. En Afghanistan, après une campagne de bombardements massifs à la fin de l'année 2001, les talibans se sont réfugiés dans leurs sanctuaires des montagnes afghano-pakistanaises n'ayant aucun mal à conduire des embuscades redoutables pour les forces de la coalition. En Irak, les attentats à la voiture piégée se sont très vite généralisés provoquant des dizaines voire des centaines de morts à chaque explosion. 

Sur le plan tactique, l'adversaire s'adapte en permanence et il dispose parfois de nouveaux armements. Aujourd'hui, certains groupes djihadistes disposent de missiles sol-air à courte portée (MANPAD) permettant d'abattre un aéronef en mouvement. Cela a déjà été le cas dernièrement en Libye, dans le Sinaï, en Syrie ou encore en Irak. Au Mali, les groupes djihadistes ont cherché à regrouper le matériel nécessaire sans avoir véritablement jusqu'à présent la capacité d'en employer face aux forces françaises. 

Face à cela, les frappes de drones combinées à une action limitée au sol permettent de remporter quelques succès ponctuels. Mais c'est le problème de ces opérations qui visent à neutraliser une tête de réseau ou détruire un camp djihadiste, ceux-ci sont très rapidement remplacés ou reconstruits. Au Pakistan, par exemple, Barack Obama a multiplié les frappes de drones pour neutraliser des talibans réfugiés de l'autre côté de la frontière. Ce mode opératoire contesté consistant à frapper en territoire pakistanais est une solution de moindre mal pour limiter l'expansion de groupes talibans qui renforcent leurs moyens au Pakistan avant d'opérer en Afghanistan. Il n'existe pas de recette magique. 

Incapables de s’opposer frontalement aux forces occidentales, les combattants se sont donc reportés sur une logique de guerre asymétrique. Peut-on aller jusqu’à dire que la technologie est devenue un véritable handicap, dans la mesure où elle crée un "écran" entre les forces occidentales et la réalité du combat ?

Au contraire, c'est surtout l'évolution de la technologie qui a permis de remporter des succès militaires, plus que la conduite pure et simple de la guerre asymétrique que nous appliquons en Afghanistan, au Sahel ou désormais en Irak. Les systèmes d'écoute sont de plus en plus performants, permettant de localiser des adversaires plus rapidement et de manière très précise. Les systèmes chiffrés de liaison satellite utilisés par des responsables djihadistes n'y résistent pas. Sur le terrain, les frappes aériennes sont d'une précision métrique permettant de limiter les dégâts collatéraux. Les bombes à guidage laser sont elles-mêmes très puissantes pour détruire des camps djihadistes ou même des bunkers dans lesquels les djihadistes ralliés à Daech se réfugient en Irak, après avoir pris la main sur de nombreux sites militaires irakiens. Les troupes occidentales déployées au sol disposent quant à ellesde drones de poche, de moyens de vision nocturne ou encore de moyens de déplacement qui sont sans cesse adaptés à leurs nouveaux besoins en fonction de leurs retours d'expérience.

A mon sens, la technologie constitue donc davantage un atout qu'un handicap offrant la capacité d'avoir des yeux, des oreilles et des capacités de frappe démultipliés. Mais si cet avantage était suffisant, nous aurions déjà pris la main sur de nombreux groupes djihadistes qui se développent de façon exponentielle en Afrique et au Moyen-Orient. 

En novembre 2014, des bruits couraient selon lesquels des commandos britanniques (voir ici) combattaient sur le sol irakien, déposés de nuit par des hélicoptères, et se déplaçant en quad, créant la panique au sein de l’Etat islamique. Est-ce cela la solution pour l’emporter aujourd’hui, que ce soit en Irak, en Afghanistan ou ailleurs ? Faut-il entrer dans une logique de contre-guérilla ?

Oui, il est absolument vital de renforcer les moyens dédiés aux Forces Spéciales et au renseignement. Face à des groupes djihadistes mobiles et très bien armés, il convient d'avoir à disposition du pouvoir politique des unités de Forces Spéciales ou appartenant aux services de renseignement équipés avec des moyens aéroportés et héliportés leur permettant de frapper n'importe où, n'importe quand. La stratégie actuelle consiste à faire comprendre aux groupes djihadistes qu'ils ne sont en sécurité nulle part, d'où l'intérêt stratégique de conduire l'opération française Barkhane à travers toute la bande sahélo-sahélienne. Demain, il faudra certainement intervenir de nouveau en Libye parce que les groupes djihadistes y ont trouvé aujourd'hui une base arrière de repos. 

En Irak, les Forces Spéciales occidentales engagées aux côtés des forces irakiennes et kurdes conduisent cette action en complément des bombardements qui vont se poursuivre au cours des prochains mois. Mais, encore une fois, ces opérations ont un effet limité. Les actions militaires doivent absolument être complété par une action politique. Ces moyens qui aspirent aujourd'hui beaucoup de budget militaire doivent absolument bénéficier de davantage de moyens au cours des prochaines années pour contenir cet accroissement de puissance de la menace djihadiste qui dépasse toutes les frontières. 

Propos recueillis par Gilles Boutin

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