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Le régime de Vichy et l'antisémitisme racontés par le secrétaire particulier de Pétain
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Bonnes feuilles

Paul Racine entre en 1941 au secrétariat particulier du chef de l'État français. Il s'y occupe, entre autres, des prisonniers de guerre. Quatre années durant, il vivra au rythme des intrigues, des conflits, des soubresauts de Vichy. Il y partagera le quotidien de Pétain et y croisera toutes les figures de la collaboration, de Laval à Darlan. Premier extrait de l'ouvrage de Paul Racine et d'Arnaud Benedetti "J'ai servi Petain" aux éditions du Cherche-Midi (2014) - (2/2).

Paul Racine

Paul Racine

Paul Racine, patriote laissé presque mort sur le champ de bataille lors de l'offensive allemande de juin 1940, il se met au service du Maréchal Pétain à partir de 1941.

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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En avril 1941, vous décidez de vous mettre au service du Maréchal. Comment vous prenez cette décision ? Quelles sont vos motivations ? C’est au mois d’avril, quatre mois après mon retour de captivité que je décide d’aller à Vichy. Pourquoi aller à Vichy ? Parce que je veux servir mon pays et que mon pays s’incarne selon moi dans la personnalité qui est à sa tête. Je voulais essentiellement travailler dans le cadre de la propagande et utiliser les rudiments qu’on m’avait enseignés à l’École technique de publicité. Je me souviens que l’un de mes amis m’avait conseillé de tenter ma chance discrètement auprès des services du gouvernement à Vichy. Arrivé à Vichy, je vais à l’Hôtel du parc muni d’un courrier de recommandation de ma tante qui avait connu le Maréchal alors qu’il était capitaine à Marseille. Un huissier me reçoit et me conduit jusqu’au docteur Ménétrel qui n’est autre que le médecin per - sonnel ainsi que le secrétaire particulier de Pétain.

Je ne savais pas vraiment qui il  était. Je  monte le voir. Il me reçoit, me fait parler un moment, entend mes désirs de travailler pour la propagande, m’interroge sur mes états de service – on venait de me donner une décoration militaire, la croix de guerre, à un degré d’ailleurs très disproportionné avec ce que j’avais effectué. Le docteur Ménétrel me fait plancher, m’interroge sur mon cursus, les Arts déco, la publicité, Saint-Maixent, etc. Il m’écoute et au bout d’un moment me dit : « Voilà, j’ai deux secrétaires, un petit gars de chez moi, de l’Est, qui fait très bien mon affaire et l’autre, un fils de famille qui s’imagine que… Je  vais m’en séparer et je vous propose de le remplacer. » Je lui réponds : « Mais, docteur, je ne veux mettre à la porte personne. » Il me rétorque : « De toute façon, je vais m’en séparer ; il ne me convient pas du tout. Je vous préviens, poursuit-il, il ne s’agit pas d’un travail intéressant ; vous ne recevrez que des lettres, beaucoup de lettres de maintes familles qui n’ont pas assez de tickets de lait pour les enfants ou des tickets de tissu pour leur acheter du linge… » Car c’est cela, l’Occupation ! La guerre. C’est affreux ! On avait peut- être 100 grammes de viande par mois ! Vous entendez ? De cet ordre. Et pour tout ! Y compris pour les vêtements, les chaussures, tout était à l’identique. Et moi, j’aurais fait n’importe quoi pour travailler pour le Maréchal. Ce n’est qu’après un certain temps que je serai amené à m’occuper d’autre chose, en accord avec le docteur. C’est en conséquence presque une candidature spontanée, à ceci près que ma famille n’était pas inconnue du Maréchal. J’avais, je le répète, essentiellement la volonté de me mettre à son service. Donc, les ressorts de mon enga gement, ce sont l’homme qui dirige le pays, éven - tuellement le renouveau qu’il incarne, et bien évidem - ment la France blessée. Mais je ne suis pas attaché au régime. J’insiste : je veux travailler pour la France qui a maintenant pour chef une personnalité comme le Maréchal. Et je suis maréchaliste, mais certainement pas pétainiste. La  nuance est importante. J’adhère à l’homme, à ce qu’il représente d’abnégation aux yeux de millions de Français mais pas à un courant dont certains veulent faire une idéologie. J’avais une grande admiration pour le Maréchal.

Je trouvais qu’après le dévergondage politique de la France de l’entre-deux-guerres il convenait de stabiliser la nation autour de l’autorité d’une grande figure. Nous avions connu une telle instabilité. Il y avait parfois presque jusqu’à cinq gouvernements en une année. Cela, selon moi, démontrait que les hommes politiques se foutaient du pays. C’est ainsi que j’ai pris la décision de me rendre à Vichy et que j’arrive à l’Hôtel du parc, réquisitionné par le gouvernement au moment de l’armistice. L’édifice avait été transformé en centre du gouvernement et d’une partie des services de l’administration. C’était un grand hôtel face au parc de Vichy ; d’où son nom. Je ne veux pas dire de bêtises, mais il est très long. Il était occupé sur tous ses étages soit par le Maréchal, soit par le chef du gouvernement. Je vais rencontrer immédiatement le docteur Ménétrel, sans autre forme de procès. J’ai 26 ans et je suis passablement impressionné. Ménétrel était de taille moyenne, costaud, très costaud, rapide, très rapide. Et fort intelligent. Il était cordial. Sachant l’être en tout cas. Il prit le temps de m’écouter et il sentit sans doute chez moi une forte motivation. D’où sa décision de retenir ma candidature et de m’engager. Au début, mon travail se limitera à des tâches rédactionnelles, d’assistanat, de réponse à des courriers nom breux et divers. Ce n’est que petit à petit que je vais m’occuper d’autre chose avec une activité qui va changer progressivement de nature, devenir en quelque sorte plus politique, notamment quand il s’est agi des prisonniers. Tout mon objectif dans cette mission consistera à faire comprendre aux prisonniers rapatriés, et par voie de conséquence, dans la mesure du possible, dans les milieux des camps, que le Maréchal, malgré les déclarations gouvernementales, n’était pas, lui, pour la collaboration 1. Mais c’était très difficile, j’en conviens, parce qu’il fallait en même temps défendre la pensée du Maréchal, tout en dénonçant implicitement, sans en avoir l’air, la démarche du gouvernement. 1. Affirmation que l’entrevue de Montoire avec Hitler tend à nuancer, voire à infirmer.  C’est là toute la complexité, toutes les ambiguïtés, les ambivalences de l’époque, mais j’y reviendrai. Ainsi me voilà à Vichy, reçu par Ménétrel. Nous sommes le 28 ou le 29 avril. Tout juste après mon entretien avec le docteur, je me suis retrouvé face à Pétain pour la première fois de ma vie. Le jour même. N’est-ce pas extraordinaire, cette accélération soudaine de mon existence ? J’avais dit au docteur : « Ma famille a bien connu le Maréchal quand il était capitaine à Marseille, etc. » En outre, il se trouve qu’en décembre 1940, lors de l’un de ses déplacements à Marseille, mes parents et ma tante s’étaient rendus à la préfecture pour le saluer.

Et ils firent à cette occasion furtivement la connaissance de Ménétrel qui l’accompagnait. Alors que l’entretien s’achevait, celui-ci a franchi la porte qui le séparait de la chambre, puis du bureau du Maréchal. J’entends encore sa voix s’adressant au Maréchal : « Il y a un jeune garçon qui est blessé et qui veut travailler à la propagande ; je vais sans doute le prendre, il s’appelle Racine. » Le Maréchal s’est très bien rappelé mon nom et ma famille. Il m’a invité à déjeuner le jour même. C’est extraordinaire pour un jeune homme impatient de se rendre utile. D’abord, il  était beau, le Maréchal ! Il  avait une allure, un port superbes. Sa figure était aimante, très vivante et noble. Il était calme et dénué de toute forme de pessimisme. Et très pince-sans-rire comme peuvent l’être les hommes du Nord. Dans les circonstances que traversait alors le pays, voir tout d’un coup le maréchal face à moi, voilà qui me transporte dans un état insoupçonné. J’aurais fait n’importe quoi. Nous étions douze à déjeuner. Une tradition à sa table : toujours douze. Je ne me rappelle plus vraiment quels étaient les convives ce jour-là. J’étais totalement fasciné, absorbé par le Maréchal, lequel, d’emblée, m’a adressé des mots aimables, très cordiaux. J’ai pris mon poste dans les huit jours. J’ai demandé au docteur un peu de temps, juste pour préparer mes affaires, retourner à Marseille, prendre mes dispositions. Ménétrel a bien sûr accepté. On  m’a fait un contrat pour que je sois rémunéré sur les fonds du cabinet.

Au tout début, je fus engagé sans titre particulier ; j’étais l’un des deux secrétaires du docteur Ménétrel. Jusqu’au jour où j’ai été nommé, je ne sais plus comment, chargé de mission. On m’a octroyé une chambre qui était à la fois mon bureau et le bureau de mon collègue, qui lui n’habitait pas au Parc, car il était marié, père d’un enfant, et résidait en ville. Il s’appelait Charles Goudard, un proche de Ménétrel, originaire, comme lui, de l’Est. Dans la configuration générale des lieux, mon bureau est très proche, à trois pièces précisément, de celui du maréchal Pétain. La première pièce étant le bureau-chambre du docteur Ménétrel ; la deuxième un prolongement du secrétariat… Et après mon bureau, celui du Maréchal qui est à l’angle, puis vient sa chambre, puis celle du docteur. Après le 126 et le 127, je suis installé pièce 128. Le décor est planté. C’est l’environnement immédiat, sans faste particulier, où je vais demeurer et œuvrer pendant plus de trois ans.

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