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Justice des mineurs : la fausse bonne idée sur laquelle est construit le projet de loi Taubira
©Reuters

Contre-productif

L'avant-projet de loi devant réformer la justice des mineurs, révélé par le journal La Croix, prévoit de dissocier la reconnaissance de culpabilité du mineur et le prononcé de la sanction. L'idée : tenir compte de l'évolution du jeune entre les deux, c'est-à-dire sur une période de 6 mois.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Le ministère de la Justice ouvre à partir du lundi 5 janvier un nouveau round de concertations sur la réforme annoncée de la justice des mineurs à partir d’un document de travail qui ébauche les grandes lignes d’une future loi. Le texte prévoit notamment de dissocier la reconnaissance de culpabilité du mineur et le prononcé de sa sanction afin de prendre en compte son évolution entre les deux. Est-ce une "fausse bonne idée" ? Quelles conséquences peuvent amener cette mesure instaurant une période de césure du procès pénal de 6 mois ?

Philippe Bilger : S’il y a une catégorie d'humains qui a besoin de décisions rapides, surtout quand elle a transgressé, c’est bien celle des mineurs. En matière de délinquance des mineurs le rythme est capital, il ne faut pas tarder.Selon des psychologues, une césure même de 6 mois serait une bonne opportunité, mais pour ma part je ne vois pas pourquoi c’est psychologiquement et judiciairement nécessaire lorsque la culpabilité d’un mineur a été déclarée. Faire attendre une sanction durant 6 mois fait perdre l’efficience de la répression et va donner au mineur l’impression que son acte n’est pas d’une grande gravité. Dans le meilleur des cas le mineur sentant cette épée de Damoclès de la sanction s’insèrera et arrêtera sa délinquance. On peut néanmoins se demander si pour une personnalité fragile qui a déjà accompli quelque chose de répréhensible ce délai n’aura pas un effet inverse. Le mineur pourrait se dire que la menace n’est que virtuelle.

Gérald Pandelon : Je crois que cette dissociation va accroître davantage encore le sentiment d’impunité ressenti par les mineurs dans la commission d’infractions et donc dans le passage à l’acte. En effet,  tous les juges des enfants savent pertinemment que la reconnaissance de culpabilité chez ce type de délinquants est d’autant plus facilitée que les intéressés n’ont pas réellement intériorisé le risque de sanctions attaché à leurs actes. Tout se passe comme si le passage à l’acte chez le mineur délinquant relevait autant du plaisir procuré (les violences en milieu scolaire sont filmées...), que d’un sentiment diffus d’une loi pénale qui ne les concerne pas ; en toutes hypothèses, dénuée de portée symbolique. C’est d’une certaine manière, inconsciemment, l’efficience de la loi que le mineur interroge dans un contexte de crise absolue de l’autorité. Dans ce contexte, la dissociation entre l’aveu de culpabilité et le prononcé de la sanction ne fera qu’accroître ce que les Romains nommaient l'autorictas attachée à la norme. L’esprit des lois semble céder la place inexorablement et définitivement à des lois sans esprit.

Ce que recherchent en réalité les mineurs en crise d’identité ce sont des repères suffisamment forts et structurants et non un laxisme angélique exterminateur que, par ailleurs, secrètement, ils méprisent. Pour accroître l’autorité il faut donc de la sévérité, c’est l’autorité qui paradoxalement pourra à terme recréer un climat de confiance entre les mineurs et l’institution judiciaire. Je crois par conséquent que le projet de loi,  en dépit de louables intentions, ne fera qu’aggraver ce sentiment d’impunité et donc de responsabilité.

En quoi peut-on dire que cela va renforcer le sentiment d’impunité, plus que de donner une deuxième chance ?

Philippe Bilger : Cela dépend des situations mais je ne vois pas de raison fondamentale au niveau psychologique et existentiel. Alors que l’opinion dominante considère que la délinquance d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’hier il est assez paradoxal de prétendre non seulement conserver le caractère éducatif mais aussi l’amplifier. C’est une provocation et un dogmatisme à contre-courant du constat sociologique. Le gouvernement fait preuve de mansuétude dogmatique mais cela est dans la lignée de ce qui a été fait sur la contrainte pénale. Au fond, la politique pénale de Christiane Taubira est catastrophique.

Il faut cependant reconnaître une amélioration sur le plan de la concertation au niveau syndical. La seule mesure absolument valable dans ce projet de loi est le dossier unique de personnalité regroupant toutes les informations sur le parcours du mineur.

Ce texte s’inscrit dans la philosophie générale de l’ordonnance de 1945 visant à privilégier l’aspect éducatif. En quoi peut-on dire que la justice des mineurs devrait davantage s’adapter aux évolutions concernant les mineurs ?

Philippe Bilger : Il n’est pas inconcevable de faire un sort particulier à la justice des mineurs et de maintenir une part à l’éducatif alors que le réalisme et l’évolution de la minorité entraînent plutôt vers un accroissement du répréhensif. On constate que les mineurs sont de plus en plus violents, et ce de plus en plus tôt, notamment en ce qui concerne les vols avec violence : 50 % des vols avec violence sont commis par des mineurs.

La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs créés en 2011 sous Nicolas Sarkozy visant à alourdir les sanctions des 16-18 ans multirécidivistes est actée dans ce document de travail. Peut-on voir dans cette mesure la simple volonté politique de supprimer ce qui a été fait par le précédent gouvernement ?

Philippe Bilger : Il est absurde de les supprimer. Cela montre que la gauche n’est douée que pour défaire les rares choses positives accomplie sous Nicolas Sarkozy en ce qui concerne l’Etat de droit. L’intérêt des tribunaux correctionnels est de montrer que la délinquance des mineurs a changé et qu’il faut parfois faire passer l’éducatif derrière le répressif. A partir du moment où la délinquance des mineurs a changé il est logique de la rapprocher de la délinquance des majeurs sur certains projets. C’est pourtant le contraire qui se fait. 

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