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Statistiques mon amour : pourquoi les sociétés ne peuvent plus s'en passer
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Bonnes feuilles

Après avoir graduellement pris une solide position dans la gestion financière des entreprises, et ce par des dispositifs réglementaires, les normes comptables s'imposent aujourd'hui aux institutions démocratiques et aux législateurs. Première partie de l'ouvrage de Fabrice Bardet "La contre révolution comptable, ces chiffres qui nous gouvernent" aux éditions des Belles Lettres (2014).

Fabrice Bardet

Fabrice Bardet

Ingénieur de l'ENTPE et docteur en science politique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Fabrice Bardet est chargé de recherches au laboratoire EVS-RIVES de l’Université de Lyon. Dans la lignée des travaux d’Alain Desrosières, il y développe depuis plusieurs années un programme de sociologie de la quantification. Il enseigne à Sciences Po Paris, au sein de la Paris School of International Affairs, ainsi que dans plusieurs universités et écoles lyonnaises.

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L’extraordinaire expansion de la comptabilité s’accompagna pour la profession comptable d’importantes conquêtes des dispositifs de gouvernement des sociétés. À l’échelon des entreprises, où l’influence grandissante des "DAF" (les "directeurs des affaires financières") en constitua l’écho, mais également à l’échelle du gouvernement des États. Dans cette perspective de sociologie politique, la dynamique française de sociologie de la comptabilité fut très active pour décrire à la fois le poids grandissant des sociétés d’audit, la recomposition sous leur influence de la comptabilité imposée aux entreprises multinationales, ou encore l’avènement d’une norme comptable internationale et le choix de l’Union européenne de l’adopter en laissant le soin à un organisme privé d’en établir le contenu [Capron, 2005]. Les normes comptables s’imposent aujourd’hui aux institutions démocratiques, aux législateurs. On parle encore de "normes comptables", mais les comptabilités aujourd’hui font loi. On envisage mieux encore le nouveau poids politique des comptabilités en prolongeant la comparaison avec les statistiques que la révolution probabiliste avait portées au pouvoir. Il n’exista jamais d’organisme normalisateur des statistiques à l’échelle internationale qui ait disposé du pouvoir dont dispose aujourd’hui l’IASB, l’organisme qui établit les normes comptables internationales, nommées IFRS [Cussó, 2012]. Non seulement les comptabilités ont connu un développement inédit au cours des dernières décennies, mais elles ont acquis une place dans les dispositifs gouvernementaux que les statistiques n’avaient peut-être jamais conquise.

Plus encore donc que les statistiques au cours du xxe siècle, les comptabilités imposent aujourd’hui leurs lois. Et si les statistiques imposaient d’abord celle de la moyenne, les comptes contemporains font quant à eux miroiter l’excellence. "L’homme moyen" était appréhendé à travers de longs protocoles d’enquête, alors que "l’homme efficace" remet son titre en jeu chaque jour, à travers les indicateurs qui sont renseignés de manière continue. On est loin de ce point de vue des précautions prises par les législateurs des démocraties occidentales il y a deux siècles environ, alors que s’enclenchait la révolution probabiliste et que se discutait l’idée des recensements, aux États-Unis notamment [Anderson, 1988]. La décision qui fut prise d’espacer de dix années deux opérations de recensement de la population – nécessaires à la détermination des poids respectifs des États dans la fédération naissante – avait vocation à préserver la liberté des citoyens, en écartant notamment la possibilité d’un registre de la population régulièrement tenu à jour. À l’inverse, l’interconnexion des fichiers apparaît, de plus en plus aujourd’hui, l’enjeu prioritaire des gouvernants. Les chiffres statistiques visaient le grand nombre, incitaient à regarder les phénomènes dans leur globalité et désignaient les gouvernants pour agir. Les comptes contemporains ont vocation à informer les comportements les plus individuels, officiellement pour permettre aux individus de se mesurer eux-mêmes, quotidiennement, afin de prendre en charge leur propre promotion. Mais ils permettent aussi le repérage des comportements individuels par tous, par les acteurs économiques qui ciblent aujourd’hui leurs actions publicitaires, comme par les autorités publiques dont le pouvoir de surveillance des populations s’est accru de manière stupéfiante. Distinguer les statistiques et les comptabilités apparaît donc utile pour analyser les modes contemporains de gouvernement. Cette démarche s’inscrit dans une problématique de sociologie politique des chiffres du gouvernement qui connaît depuis plusieurs années un certain succès, en France, mais également à l’échelle internationale. Elle est également favorisée par un contexte dans lequel, parallèlement à la dynamique du champ sociologique, des initiatives se multiplient, émanant des professionnels de la quantification ou du monde politique, qui suggèrent de modifier la place du chiffre dans le gouvernement des sociétés.

Extraits de La contre révolution comptable, ces chiffres qui nous gouvernent de Fabrice Bardet

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