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Jean-Christophe Lagarde a été élu en octobre dernier
Jean-Christophe Lagarde a été élu en octobre dernier
©UDI

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Au lendemain de son élection, Jean-Christophe Lagarde a pour ambition de présenter un candidat crédible à l'élection présidentielle de 2017, qui incarnera le leader d'une union centriste, capable d'être une réelle alternative aux partis du PS, de l'UMP et du FN. Or, pour le moment, l'UDI ne présente ni programme, ni candidat éligible.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Comment expliquer qu'aucun candidat ne se démarque pour incarner le centre en 2017, à quelques mois du début de la campagne ?

Jean Petaux : Tout simplement parce que les deux principales « figures politiques » du Centre aujourd’hui et depuis plus de 10 ans (Jean-Louis Borloo et François Bayrou) n’ont pas donné leur « feu vert », publiquement ou, plus subtilement, inconsciemment. Lagarde, Morin et d’autres ne sont que des « seconds couteaux » dans cette « galaxie » (le terme est certainement surdimensionné par rapport à aux étoiles et planètes politiques concernées) qu’est le Centre. On dit Borloo retiré de toute contingence politique : pas sûr que cela soit aussi net et absolu que ce qu’on en dit. D’autres informations montrent au contraire qu’il est toujours très au fait de la réalité et de la situation. Quant à François Bayrou, s’il est vrai qu’il est très heureux dans son habit neuf de premier magistrat de Pau, il a très clairement réveillé ses réseaux parisiens et nationaux. Il reçoit de plus en plus de messages d’encouragement, sous forme de SMS par exemple, y compris de la part de certains qui l’ont voué aux gémonies après  2012… Tel, pour n’en citez qu’un seul, un ancien président de la Société des lecteurs du journal « Le Monde » qui se représente volontiers comme « faiseur de Présidents »…

En d’autres termes, Jean-Christophe Lagarde n’a qu’une marge de manœuvre extrêmement réduite  et s’il a pu s’emparer des commandes de l’UDI, rien n’indique qu’il a les moyens de faire avancer le navire, tant que les anciens capitaines n’auront pas passé les ordres à la coupée…

L'on peut d'ailleurs déjà prévoir, une possible alliance avec les partis de la droite, même si JC Lagarde refusait la "danse du ventre" de l'UMP à son égard. Pour quelles raisons l'UDI actuelle est-elle incapable d'exister par elle-même ?

Le problème du Centre en France (mais pas seulement en France d’ailleurs) c’est qu’il souffre d’un handicap structurel : il ne dispose pas d’une force majoritaire à laquelle viendrait s’agréger des soutiens politiques de droite ou de gauche. Si tel était le cas le Centre serait la colonne vertébrale vers laquelle convergerait des personnalités situées sur l’une des ailes de la scène politique. Ce fut le cas, avec beaucoup de réserves d’ailleurs, sous la IVème République, ça ne l’est plus depuis 1958. Le Centre est devenu, au contraire, le groupe politique composite et désuni qui rejoint la plupart du temps la Droite (François Mitterrand : « Le problème avec le Centre en France c’est qu’il penche à Droite ») et parfois la Gauche (justement par exemple au début du second septennat de F. Mitterrand, en 1988, avec la première « ouverture » pratiquée de la Gauche vers le Centre).

Maurice Duverger, le grand constitutionnaliste qui vient de disparaître à 97 ans, fondateur et premier directeur de Sciences Po Bordeaux, le plus connu des politistes français dans le monde, a distingué il y a plus de 50 ans les « partis de masse » et les « partis de cadres ». Le Centre (l’UDI ou le MODEM peu importe), est bien l’archétype du « parti de cadres ». Le problème d’ailleurs, et cela Maurice Duverger ne pouvait le subodorer, c’est qu’il n’existe plus de « parti de masse » en France contrairement à ce que fut le PCF dans les années 50, la SFIO (moins) ou encore le RPF en 1947 (Malraux disait : « Le métro à 18h00 » décrivant ainsi superbement avec  ce sens aigu de la formule qui fait les auteurs de génie, ce qu’en science politique on nomme un « parti attrappe-tout » (« catch all party »). Les « partis de cadres », à l’opposé, sont des formations politiques d’élus, voire de « grands élus » (à l’époque « bénie » - pour eux – du cumul des mandats) disposant de très nombreuses ressources politiques et les redistribuant à des féaux obéissants et fidèles jusqu’à ce que l’envie de trahir gagne l’un d’eux et que mort politique s’ensuive, tout cela à l’intérieur de structures souvent extérieures à la formation politique elle-même : le conseil épiscopal (pour le MRP par exemple dans les années 50) ou paroissial ; telle ou telle loge maçonne ou telle « fraternelle » (pour les « Radicaux » de toutes obédiences) bien organisée et conçue justement pour arbitrer ces passations de pouvoir et ces successions parfois quelque peu « heurtées ». Mais on le conçoit aisément : tout cela ne supporte guère la lumière et la place publique.

L'incapacité des partis du centre (Modem, UDi)  à exister par eux-mêmes, plutôt que d'être des satellites des principales familles politiques, n'est-elle pas le reflet de leur incapacité à ressouder leur famille politique,  traversée par des courants divergents ?

Sans doute. D’autant que le Centre français a toujours été dual : pour une part « laïc » (il faudrait même dire « laïcard et anticlérical ») et pour une autre part « chrétien-démocrate » et très inspiré par la doctrine sociale de l’Eglise. Les deux se rejoignent sur plusieurs thèmes forts et convergents : la liberté d’entreprendre (mais pas comme des « sauvages néo-libéraux » ou « thatchériens ») ; la République ; « l’atlantisme » (autrement dit une tendance forte à s’aligner sur la diplomatie états-unienne) ; l’Europe (aussi paradoxal que cela puisse paraître par rapport au thème précédent, celui de « l’atlantisme »). Les divergences entre les deux principaux courants du Centre politique en France ont toujours été liées à des questions de « valeurs » : la liberté scolaire, la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse, la crémation, la question de la fin de vie, aujourd’hui le mariage autorisé entre personnes de même sexe, la PMA ou la GPA. Toutes ces questions, dès qu’elles réapparaissent sur l’agenda politique, reclivent les différentes sensibilités du Centre et ravive la fracture normative qui existe entre ces deux « ailes » depuis 70 ans.

Mais au-delà de cet aspect thématique que l’on peut qualifier d’idéologique, il est une autre raison qui explique « l’impossible soudure d’un Centre éclaté » : une succession jamais démentie et ininterrompue d’inimitiés et de querelles personnelles entre grandes (ou moins grandes…) figures politiques concurrentes entre elles. Ainsi Herriot et Daladier ont-ils joué et rejoué la « guerre des deux Edouard » (leur prénom commun a bien aidé à qualifier leur lutte fratricide de plus de 40 ans…) dans une Troisième République qui roulait vers l’abîme … Pierre Mendes-France et Edgar Faure se détestaient. André Morice et René Mayer, tous les deux Radicaux-socialistes tout comme les deux précédents, les détestaient également et conjointement. Chez les Démocrates-chrétiens, Robert Schuman et Georges Bidault, tous les deux dirigeants du MRP ne pouvaient absolument pas se sentir et François de Menthon, autre grande figure du MRP,  les considérait également comme deux incapables majeurs… Plus tard on sait que Jacques Duhamel et Jean Lecanuet ne pouvaient tellement pas se supporter qu’ils vont faire scission en 1969… Quant aux derniers venus sur la scène politique, côté UDI : Hervé Morin et Jean-Christophe Lagarde, tous les deux « Borloo et Bayrou’s boys » nul n’ignore désormais la très haute estime mutuelle qu’ils se portent… Pour résumer : on peut, sans rire, postuler que pour « ressouder le Centre » il faudrait peut-être préalablement « dessouder les ambitieux centristes »…

Jean-Christophe Lagarde s'est imposé en tant que successeur de Jean-Louis Borloo sans déplacer les foules (il a été élu avec un peu plus 6 000 voix). Quant à François Bayrou, il n'a présenté aucun successeur potentiel, et il n'existe pas – hormis Marielle de Sarnez – de personnalités fortes capables de peser dans le  débat. Comment expliquer que malgré un contexte favorable à l'essor du centre (impopularité du PS et désintégration de l'UMP) la gauche n'a pas réussi à s'imposer dans le paysage politique, comme une force politique majeure (en terme d'électeur, d'idée, d'influence) ?

C’est tout le paradoxe de la situation actuelle pour le Centre. Le paysage politique français est tellement incertain et fluide, entre autre du fait de l’hypothèque que fait peser Marine Le Pen sur le second tour de la présidentielle, qu’il n’est pas du tout impossible que la présidentielle de 2017 soit celle du « moment Bayrou » pour ne citer que lui. Si l’on considère en effet que 4 ou 5 candidats à la présidentielle peuvent se « tenir dans un mouchoir » au soir du premier tour (dans un « serpent électoral » entre 14% et 17% des suffrages exprimés) face à une Marine Le Pen qui dépasserait les 20% et « virerait en tête », le jeu devient complètement ouvert. Dans une telle configuration, à quelques dizaines de milliers de voix près, une personnalité comme François Bayrou candidat peut tirer son épingle du jeu et sortir deuxième du premier tour électoral. Candidat à la présidentielle en l’absence d’un Alain Juppé qui aurait été éliminé dans une primaire UMP-UDI suffisamment ouverte sur le papier pour qu’il s’y présente, mais suffisamment fermée pour que Nicolas Sarkozy le devance, Bayrou récupérerait l’électorat du centre, celui de droite anti-sarkozyste (espèce en voie de croissance forte), celui de Juppé très mécontent de l’élimination de leur champion et un électorat de centre-gauche irrévocablement déçu par Hollande. Politique fiction ? Pas tant que cela. En tous les cas certainement pas dans l’esprit d’un Bayrou qui n’a jamais renoncé au fauteuil présidentiel même s’il est un élément semble-t-il acquis : si Alain Juppé se présente à l’élection présidentielle (avec ou sans l’onction de la primaire), François Bayrou ne s’alignera pas sur la ligne de départ de 2017. En dehors de cela, toutes les chances du Centre me semblent intactes et préservées. Elles le sont d’autant plus à mon sens aujourd’hui dans les derniers jours de l’année 2014 que personne ne s’attend à une victoire d’un candidat centriste en 2017… C’est bien le meilleur viatique qui puisse exister.

De nombreuses personnalités politiques du PS et de l'UMP ont rejoint les bords de l'UDI et du Modem. Certaines de ces personnalités ont rejoint le parti par opportunisme afin d'y faire carrière sans pour autant mieux percer dans les rangs des partis du centre. Alors que les patis du centre n'ont pas réussi à se démarquer dans ce contexte politique qui leur est favorable, comment expliquer que des élus en provenance de partis plus importants (Rama Yade, Chantal Jouanno) les rejoignent ?

Il suffit de constater les soucis que rencontre le Front National désormais pour imaginer l’état de cette formation dans quelques mois quand elle aura du "absorber" et "digérer" des dizaines de Fatima Allaoui par exemple. On peut, de manière plus positive, considérer à l’inverse que l’UDI et le Modem attirent des personnalités du fait de la grande liberté que ces deux partis politiques offrent à leurs cadres élus. Les deux structures ne sont pas rigides et laissent s’exprimer des personnalités parfois très indépendantes, souvent réfractaires à des consignes venues du haut (la direction nationale) voire du « très haut » (le leader charismatique à la tête de l’organisation partisane). L’UDI et le Modem sont le type même des formations politiques pour « notables territoriaux » qui n’aiment rien tant que « gérer leur petite tambouille politique » avec des ingrédients et des produits locaux. Entre amis d’un même terroir, d’une même culture politique locale, loin des ukases parisiens. Dans ce cas-là le Centre n’est pas un placard doré, c’est une « pépinière de talents politiques » plutôt tolérante et finalement assez moderne : elle représente  bien cette nouvelle forme qui tend à devenir la configuration dominante des partis politiques : des « machines électorales » à la mode nord-américaine, essentiellement conçues pour gagner des élections et faiblement cohésives en dehors des campagnes électorales.

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