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Alors, on se la fait, cette petite guerre civile ?
©Reuters

Prophéties

Depuis les envolées de Gilles D quand j’avais 14 ans jusqu’aux discours du GUD quand j’en avais 20, les saisons ont passé, la prophétie a été reportée mais elle est toujours là : nous allons au devant d’une guerre civile. Au cours des années, la prophétie a un peu muté. Ce n’est plus exactement leur origine qui est reproché aux autres, c’est leur religion. Je n’ai, pour ma part, jamais pu me départir d’un doute : s’agit-il d’une prophétie à regret, ou d’une prophétie impatiente ?

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Aussi prématurée que soit leur analyse, les événements de ce week-end – la vidéo de Daech de vendredi et les événements de Joué-les-Tours et de Dijon – ne manquent pas de conforter ces oracles, malgré les 157 passages en psychiatrie du dernier gars1.

Ils constituent peut-être un point de basculement, rendant plus difficile encore, si cela est possible, un discours pondéré sur l’islam, et annonçant des positions plus violentes encore demain qu’hier. Car l’interprétation qui est faite conduit à considérer que nous sommes affligés d’une irréductible menace intérieure.

La polémique Zemmour, autour du terme qu’il n’a pas prononcé mais de la réalité qu’il n’a pas évacuée, traduit bien la solution prônée, ou son esprit : reconduire les Sarrasins à la mer. De fait, si ce que nous avons vécu ce week-end correspond au visage profond de l’islam, si cela est dans la nature profonde de tout musulman, si, comme on me le dit, le musulman non violent est un mauvais musulman, alors il ne reste que trois possibilités : la conversion, l’exil, ou l’extermination (certes pas envisagée).

Si j’ajoute que l’on pourrait aussi envisager, alternativement, l’instauration d’un statut spécial pour les musulmans, vous comprendrez que je me trouble un peu de trouver là quelque ressemblance avec ce qu’a pratiqué Daech avec les Chrétiens. Daech, que je pensais que l’on chercherait plus à le combattre qu’à l’imiter.

Comprenez que je tente d’explorer les alternatives. Car ladite guerre civile, que les allumés de chaque camp appellent fébrilement de leurs vœux, est un embrasement que, par définition, nul ne maîtrise.

Le fait est que je me refuse à considérer que le musulman authentique soit nécessairement le musulman sanguinaire. J’étais, jeudi dernier, à un dîner de charité pour les Chrétiens d’Orient à la même table qu’un diplomate irakien. Musulman. Le dîner a commencé par une minute de silence pour tous les martyrs d’Irak. Ce diplomate était face à moi. A la fin de cette minute de silence, il avait les larmes aux yeux. Au cours du dîner, un court documentaire sur les chrétiens d’Irak, The last plight, nous a été diffusé. Cet homme en face de moi avait les yeux rouges. Cette émotion fait-elle de lui un mauvais musulman ?2

Sur un plan plus historique, doit-on oublier tout ce que le monde arabe et musulman a apporté, ne serait-ce que les chiffres que nous utilisons chaque jour ? Certes, l’époque d’Averroès commence à dater mais cette époque faste se fondait bien sur le même Coran. Comment est-ce possible si le Coran ne peut produire qu’ignorance et barbarie ? Il semble que la fin de cette époque corresponde aussi à la fin d’une période acceptant un rapport critique au texte du Coran, ce qui serait une forme d’explication.

Je ne peux pas non plus considérer comme nulle et non avenue la pratique d’un islam paisible : la pratique d’une religion n’est pas indifférente à sa réalité. Au contraire, elle en est aussi une part constitutive.

Est-ce à dire que la violence et la barbarie qui se déchaînent n’ont rien à voir avec l’islam ? Dans les débats en ligne, il semble n’y avoir qu’une alternative : considérer soit que cette violence n’aurait rien à voir avec l’islam, soit qu’elle serait inhérente à l’islam. Dans la préface d’un de ses ouvrages, René Rémond expliquait se méfier de toutes les interprétations monistes et être "assez près de penser que le nombre de la réalité n’est pas le duel mais le pluriel". Je ne pense pas partager toutes les analyses de Pascal Bruckner, mais c’est aussi ce qu’il dit ici : "L’islam en soi n’existe pas, il y a plusieurs islams". Le Père Delorme, familier de l’islam, ne dit pas autre chose lorsque, en titre de son ouvrage, il parle de "l’islam que j’aime, l’islam qui m’inquiète".

Il est donc manifeste que l’islam a un problème spécifique à régler avec la violence, dans la mesure où il ne l’exclut pas. Mais il y a de la marge entre dire que l’islam n’y est pour rien et dire que c’est le visage de l’islam. Quant au terrorisme, je serais assez d’accord avec ce spécialiste qui voit dans l’islam radical "une idéologie d’emprunt, un prétexte pour basculer dans la violence". La paix n’a-t-elle rien à voir avec l’islam ? Si l’on refuse de dire que la violence n’a rien à voir avec l’islam, on devrait refuser également de prétendre que la paix n’a rien avoir avec lui. Car elle est pratiquée autant qu’un islam violent.

Le défi est donc commun : les musulmans eux-mêmes doivent le prendre à bras-le-corps –certains le font, bien que l’on répète en boucle qu’ils se taisent, et j’en avais relevé quelques illustrations. Ils y sont contraints, pour leur propre sécurité, quand bien même beaucoup estiment ne pas avoir à s’expliquer de ce qui n’est pas, pour eux, l’islam. Il leur appartient d’opérer le discernement nécessaire au sein des textes et/ou d’affirmer explicitement ce qu’ils en rejettent, lorsque/si cela s’avère nécessaire. Le reste de la société ne doit pas non plus croire que l’islam soit réductible à la violence, ni en accréditer l’idée, au risque de discréditer les musulmans avec lesquels nous pouvons vivre.

C’est le cas de toute la société, ce doit être a fortiori le rôle des chrétiens. On ne peut, à la fois, dénoncer un islam complaisant avec la violence, et s’en accommoder, ou ce n’est pas le christianisme que l’on défend.3

La période qui s’ouvre peut-être ressemble à celles durant lesquelles ceux qui tiennent un discours pondéré sont discrédités, accusés de pleutrerie, quand ce n’est pas de collaboration. Prospèrent dans ces moments ceux dont le discours est simple, manichéen… et mobilisateur. Certains m’ont répondu, sur Twitter ou Facebook : "n’a-t-on pas le droit d’avoir peur ?". On peut certes être inquiet, on a bien sûr le droit d’avoir peur. Mais la seule question qui vaille, quand la peur est là, est de savoir si on la maîtrise, ou si l’on s’y abandonne. Si l’on garde son sang-froid, ou si l’on hurle à la fin du monde.

Les chrétiens devront avoir à cœur d’être les premiers à rejeter les discours crépusculaires et les anathèmes faciles. Lorsque le Christ commande de tendre la joue gauche lorsqu’on a été frappé sur la joue droite, il ne s’agit ni d’impassibilité, ni de pleutrerie, ni de masochisme. Il s’agit, symboliquement, de briser l’enchaînement de la violence. Car, à côté du risque d’affrontement distant et épisodique avec Daech, c’est aussi à une violence purement nationale que l’on  s’expose.

*

Il n’est pas possible de clore ce billet sans un mot sur Noël. L’Avent, cette année, aura été pour le moins bousculé, entre ces événements, la polémique hallucinée des crèches et, d’Ouest en Est, les résurgences consécutives d’un esprit laïcard poussiéreux.

Au vu des enjeux décrits plus hauts, il serait temps que certains se rendent compte de l’inanité de leurs tentatives d’évacuer la spiritualité de la société : depuis que l’Homme enterre ses morts, il est spirituel, et il le restera. Ils pourraient aussi s’aviser, au regard de ce qui précède, que ce n’est pas fondamentalement le moment de vouloir effacer celui vers lequel nos regards vont se tourner ce 25 décembre : Dieu qui s’incarne en un tout-petit, l’enfant Jésus, le Prince de la paix.

Ne le quittons pas des yeux.

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