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Pourquoi la science perd de plus en plus la tête et tend à prouver tout et son contraire
©Reuters

Docteur Jekyll

Selon une récente étude parue dans le British Medical Journal, la tonalité sensationnaliste observée dans les articles scientifiques de la presse grand public découleraient moins des médias que des département de communication, modelant les résultats en publicité tapageuse pour s'assurer une certaine visibilité. Une attitude qui révèle que la recherche scientifique est de plus en plus soumise aux impératifs de rentabilité, et d'influence sur l'opinion, quitte à contredire des confrères.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : Il y a quelques mois, Haruko Obokata, une scientifique japonaise du accepter le retrait des résultats d'une de ses études publiée dans Nature. Ses pairs ont notamment mis pression sur elle, du fait de plusieurs incohérences lourdes. Dans de nombreux cas, certains résultats peuvent même paraître contradictoires, comme nous avons pu le voir sur les effets de la cigarette électronique, ou encore les relais d'antennes, renforçant la suspicion de motivations politiques. Dans quelle mesure ces études scientifiques portent-elles atteinte au crédit de la science ?

André Nieoullon : Que des études similaires aboutissent à des résultats contradictoires est l’essence même du débat scientifique et chacun va alors tenter de comprendre le pourquoi de ces contradictions. Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le crédit de la science dans ces cas-là mais bien au contraire d’alimenter le débat contradictoire qui préside aux grandes avancées des connaissances. En résumé, au-delà de tout angélisme, ce que doit apprendre en priorité le chercheur en formation c’est bien de conserver en toute circonstance un regard critique sur ce qui est produit et publié. Notre responsabilité première vis-à-vis de nos élèves est ainsi de les alerter en priorité sur le fait que tout ce qui publié n’est pas forcément une forme de vérité première…

Pour autant, l'histoire de la science fait part de nombreuses falsifications de résultats. Peut-on dire que les scientifiques subissent davantage de pression comparativement à leurs prédécesseurs ?

L’histoire des sciences est émaillée, comme vous le soulignez, de fraudes ou de tentatives de fraudes ayant conduit à un certain nombre de polémiques, dont certaines sont restées célèbres. La malheureuse déconvenue de Haruko Obokata n’est qu’une illustration de plus de ces aléas de la science. Pourtant, l’analyse qui peut être faite de ces situations doit prendre en compte plusieurs facteurs et il est important de se poser la question de savoir si la fraude est délibérée et si oui, pourquoi ? Ou, alternativement, s’il s’agit de résultats obtenus en toute bonne foi dans un contexte de méthodologie biaisée qui n’a pas permis de reproduire les résultats ? Dans le premier cas on peut incriminer toutes sortes de raisons qui illustrent un manque de déontologie et d’éthique dans la démarche scientifique, qui peut être motivé à la fois par une réelle cupidité et certainement une bonne dose de naïveté, voire de stupidité. Chacun se souviendra ici de cette secte qui prétendait il y a quelques années de cela avoir réussi le clonage de l’espèce humaine… Dans le second cas il est possible que la démarche intellectuelle ait été la bonne mais que la rigueur expérimentale n’ait pas permis d’obtenir des résultats reproductibles. Dans ces deux situations il est évident que l’analyse par les pairs avant publication permet, lorsque cette situation se présente, d’être démasquée comme fraude (1ier cas) ou manque à la méthodologie scientifique (2nd cas). En fait il existe une 3ième situation tout aussi condamnable, qui est celle du plagiat.

Ainsi donc, si cette situation n’est pas nouvelle, elle est amplifiée aujourd’hui par le jeu des médias d’une part, et surtout par la masse considérable des études en voie de publication. Elle l’est aussi indéniablement par ce que vous dénoncez, c’est-à-dire une forme de compétition entre équipe avec pour enjeu, sinon la notoriété, au moins la course aux financements sur projets.

La logique de résultats économiques exprimés par ceux qui financent la recherche peut-elle être mise en cause ? Comment cette logique s'illustre-t-elle concrètement ?

La logique des lobbies est certainement une raison supplémentaire pour douter des résultats de certaines études. Ici aussi chacun peut avoir à l’esprit des études financées par l’industrie du tabac sur les effets de la nicotine ; ou encore les études sur les effets de l’utilisation des téléphones portables et des antennes relais financées par ceux-là mêmes qui les installent. En fait, ces cas sont connus et l’indépendance des équipes, quant aux résultats qu’elles obtiennent, est le plus souvent à l’honneur à la fois de ceux qui font la recherche et de ceux qui la produisent. La collusion d’intérêts est évidemment  toujours une source de suspicion des résultats mais ces cas sont trop connus pour que les équipes concernées se prêtent à des travaux qui pourraient être déjugés.

Plus fréquemment, il est commode de dénoncer les conflits d’intérêts qui peuvent intervenir notamment dans le domaine du médicament entre les industriels et les prescripteurs. Beaucoup a été fait dans ce domaine et la situation s’est considérablement améliorée et, in fine, on ne peut pas reprocher à cette industrie pharmaceutique de s’adresser à l’expertise des équipes les mieux reconnues de leur domaine. Beaucoup a été écrit sur ce sujet et les dénonciations sont parfois virulentes. Mais elle ne sont pas toujours le fruit d’une objectivité à toute épreuve et émanent régulièrement de personnalités quelque peu en délicatesse avec leur ancien employeur, ce qui là aussi est sujet à caution.

Finalement, en quoi le système favorise-t-il une certaine perversion dans la publication d'études, voire tout au long du processus de recherche ?

Que la situation soit améliorée ne signifie pas qu’elle soit aujourd’hui sans tâche. Les situations que vous évoquez en sont l’illustration. Néanmoins, la cause la plus fréquente, selon moi, des écueils qui sont rencontrés ici ou là est objectivement la course contre le temps. La recherche est un processus qui doit prendre son temps pour procéder aux mises au point et aux vérifications les plus minutieuses, quel qu’en soit le domaine. Vouloir publier vite et bien ne va pas de pair et cette situation est amplifiée par la course aux financements sur projets. Publier le premier pour publier mieux (dans le meilleur journal) garantit les financements suivants, etc… au-delà de la notoriété qui n’est certainement pas –sauf exception- la raison première de cette précipitation. Dès lors il n’est pas correct de parler de fraude mais il s’agit bien d’une précipitation avant que l’on soit certain de la validité des résultats. Et c’est alors que les comités d’experts des journaux ne sont pas suffisamment vigilants pour démasquer le caractère prématuré de ces études. Dans ce cas on est loin de la pression de lobbies quel qu’elles soient mais bien dans une forme de cercle infernal qui fait aller toujours plus vite, la contrepartie d’ailleurs étant des études publiées de caractère souvent partiel sans véritablement construction d’une histoire véritable seule à même de faire avancer les connaissances.

Comment les revues de référence comme Nature, et surtout leurs comités scientifiques, s'organisent-ils face à ce phénomène ?

Les grandes revues donnent des leçons de déontologie… mais il faut reconnaître qu’il n’est pas rare qu’elles se fassent berner en dépit des dispositifs mis en œuvre basée sur l’expertise par les pairs. L’expertise est censée apporter une garantie quant à la qualité de l’étude puisqu’elle est double, systématiquement. Dans ce cas si les deux experts arrivent à des conclusions convergentes, il est convenu que l’analyse de ces "sachants" garantit la décision qui est prise de publier ou pas les données. Mais dans un grand nombre de cas des divergences apparaissent entre les analyses et c’est alors l’éditeur qui prend la responsabilité de la décision. Pas de garantie, donc, sur l’étude et un facteur de risque existe, notamment dans les sciences expérimentales où un certain degré d’incertitude est toujours présent du fait du caractère statistique du résultat obtenu. C’est alors au lecteur de faire la part de ce qu’indique le résultat et de garder un œil critique sur la publication.

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