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Fêtes de famille ou entre amis : comment gérer des proches passés au FN si vous-même ne l’êtes pas (et vice-versa)
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Tous n’en mouraient pas...

Les fêtes de Noël, avec son lot de repas familiaux, obligent parfois à cohabiter avec des modes de pensée nouveaux, ou tout simplement survenus pendant l'année. Petit manuel de diplomatie à l'égard de ceux qui auront un(e) voisin(e) de table sensible aux idées du parti anti-système.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : A l’heure où le FN enregistre des scores électoraux brillants, certains électeurs ayant auparavant voté à droite ou même à gauche pourraient être tentés d’avouer à leurs proches à Noël qu’ils votent désormais FN. Quels peuvent être les motifs qui conduisent une personne à franchir le cap ?

Jean-Philippe Moinet : Surtout pour les élections dites "intermédiaires", les motifs convergent pour amplifier un vote protestataire et "gratuit", au sens où il est considéré, à tort d’ailleurs, comme étant sans conséquence. "L’outing" lepéniste peut ainsi correspondre à trois types de motivation. Le premier type est celui d’une transgression dite "anticonformiste", jouant d’une logique "anti-système" et d’une "alternative" à la gauche et à la droite "classiques". Un peu comme, dans les familles bourgeoises des années 60 et 70, ces jeunes adultes qui voulaient se distinguer en votant PC ou extrême gauche libertaire…

Le deuxième type de motifs est moins tordu : pour un électorat populaire, qui souffre directement ou indirectement de la crise et du chômage, c’est un vote de colère et de désespérance. C’est le plus redoutable car ce vote-là, qui touche d’ailleurs un électorat traditionnellement plutôt de gauche, est assez sourd à tout raisonnement économique.

Le troisième motif est idéologique, correspondant à une conviction, celle du "suicide Français" de Zemmour, selon laquelle le salut de la France serait le modèle passé des années 50 et 60, et le retour à un nationalisme assumé, qui s’érige en "bastille" contre l’Europe et la mondialisation, qui apparaît comme une horreur, à la fois économique, sociale et culturelle. C’est une vision d’une France "barricade", qui est l’inverse d’une solution, mais qui fonctionne assez bien idéologiquement, dans la période actuelle.

Quels sont les arguments qui peuvent convaincre un électeur de voter pour ce parti, à l’heure où le fossé entre les politiques et les citoyens se creuse ?

L’un des arguments, surtout pour les élections intermédiaires (européennes de 2014, départementales et régionales de 2015), est "d’essayer pour voir" : sans grand risque, des électeurs, dédouanés de toute responsabilité morale, tente une troisième voie, hors partis de gouvernement. L’argument "coup de pied dans la fourmilière" politique fonctionne bien aussi, à l’heure de ce que j’appelle personnellement la "fracture civique", ce fossé qui s’est en effet creusé entre les politiques et les citoyens. L’attitude "populiste", portée par l’idée que les "élites" ont forcément tort, est très partagée aujourd’hui, elle transcende les frontières sociales et géographiques dans toute l’Europe.

Dans quelle mesure peut-on dire qu’il est important de discuter et de débattre avec la personne tentée de voter FN sans la condamner même si on est résolument opposé aux idées de ce parti ?

C’est une vraie question : peut-on dédouaner complètement, sur le plan moral, un vote ou des paroles qui alimentent le premier parti d’extrême droite européen, qui puise son histoire, sa tradition et son idéologie dans un corpus idéologique qui en vient toujours à trouver des boucs-émissaires, et à focaliser sur les origines, réelles ou supposées, des personnes ? Peut-on toujours opposer avec efficacité des arguments rationnels à des personnes qui basculent dans l’extrémisme, même si l’habillage marketing Marine Le Pen est mieux fait que celui de son père ? Pour ma part, même si je pense qu’on peut toujours discuter avec des citoyens non endoctrinés et qui se laissent parfois berner par ce marketing, j’estime qu’une barrière morale doit être maintenue. Car les partis d’extrême droite, malgré leur vitrine médiatique et leur "packaging", restent des partis dangereux, pour la cohésion sociale et l’unité nationale. C’est pourquoi, je m’oppose à la tendance, portée à la droite de la droite UMP de discuter avec le FN sur des propositions, pouvant simplement être comparée. Cette attitude, à mes yeux, légitime bien davantage le FN qu’elle ne l’affaiblit.

Quels sont les arguments à apporter sur le fond pour tenter de convaincre une personne qui veut voter FN, notamment concernant la question économique et l’Europe ? En quoi peut-on dire par exemple que le programme économique du FN et celui du Front de gauche présente des similitudes ?

Le programme du FN, sur l’Europe et l’économie, mènerait, s’il était appliqué, à la ruine nationale. Sortir de l’Union européenne et abandonner l’euro mettrait définitivement fin à une période de grande sécurité économique et sociale, liée à la solidarité que nous avons pu mettre en œuvre, par étapes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à 6, puis à 9, 12, et aujourd’hui 28 Etats-membres d’une Europe qui, malgré tout, reste unie et relativement prospère. Comment croire qu’en sortant de notre espace Continent, on serait plus fort dans la compétition mondiale ? Le repli national est non seulement une illusion, mais un danger.

Par ailleurs, la démagogie du FN, qui cherche à doubler le Front de gauche sur des mesures interventionnistes et ultra "sociales" (rehausser fortement le Smic, revenir à la retraite à 60 ans des années 80…), conduit tout droit à l’aggravation des difficultés des entreprises, et plomberait nos comptes sociaux. Le programme FN, qui ressemble sur certains points à celui du PC des années 80, mène tout simplement la France dans le mur des illusions.

Sur la forme cette fois, pourquoi est-il important de se méfier des personnalités politiques dotées des qualités de tribuns comme Marine Le Pen ou Georges Marchais en son temps ? Pourquoi les solutions et les remèdes proposés pour résoudre un problème, même formulés avec des termes simples, ne sont-ils pas toujours aussi évidents voire pertinents ?

En temps de crise, il faut toujours se méfier des tribuns et des démagogues. L’histoire a montré combien les démagogues, d’extrême droite notamment, comme des vautours, planent sur les difficultés sociales des pays, non pas pour les traiter positivement mais pour les exploiter et s’en repaître. Faire croire, par exemple, que les maux de la France peuvent être réduits par le slogan "les étrangers dehors" - ou, autrement dit, "les Français d’abord" - est une posture démagogique, qui est une imposture. Il faut prendre garde à ce type de raccourcis qui, dans l’amalgame, aveuglent. C’est pourquoi, quand des polémistes comme Zemmour déclarent que "les musulmans" dans leur ensemble doivent être déplacés et que nous sommes au bord de la "guerre civile", j’estime qu’il y a danger, que ces propos irresponsables, faits pour le "buzz", ne doivent pas trouver des complicités dans de grands médias. Non pas que la liberté d’expression doit être limitée, mais cette liberté, en France, ne peut être une liberté qui porte atteinte à la dignité des personnes, des groupes : "sans distinction de races ou de religions", souligne notre Constitution, le citoyen doit simplement être protégé, et respecté. Notre droit républicain, et la justice, sont un rempart contre toutes les dérives, qu’elles soient racialistes ou communautaristes, qui tendent à enfermer les individus dans des catégories.

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