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"Main basse sur la culture" : les pressions politiques peuvent-elles avoir la peau d’un film ?
©Reuters

Bonnes feuilles

En 2013, deux films sur la vie d'Yves Saint Laurent sont en cour de production. Pierre Bergé estime que l'un d'entre eux est "attentatoire" à la mémoire d'YSL, et fait jouer ses réseaux pour le bloquer. Extrait de "Main basse sur la culture et l'argent", de Michael Moreau et Raphael Porier, publié aux Editions La découverte, 2014 (2/2).

Raphael Porier

Raphael Porier

Diplômé de l'Ifp, (Institut français de presse), Raphael Porier est journaliste en presse écrite et audiovisuelle. Spécialisé dans les sujets Médias et Culture, il est actuellement reporter pour le journal Le Parisien, après avoir officié à Itélé et à France 2.

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Michaël Moreau

Michaël Moreau

En 2000, Michaël Moreau commence sa carrière de journaliste au quotidien France Soir, puis devient rédacteur en chef adjoint de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde. De 2006 à 2008, il est rédacteur en chef de l’émission T’empêches tout le monde de dormir, puis de 2008 à 2009 de Médias le magazine.  Depuis 2011, il est rédacteur en chef chez iTélé et BlackDynamite Production. Il co-écrit avec Aurore Gorius Les Gourous de la com’, 30 ans de manipulations économiques et politiques en 2011.

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À l’inverse, des coups de pouce politiques ont pris la forme d’un coup de fil à un investisseur potentiel, pour aider un film à se monter. Ainsi, le ministre Frédéric Mitterrand a appelé Frédérique Dumas, la directrice d’Orange Studio, pour tenter, en vain, de lui faire financer un projet de Pascal Thomas. L’Élysée de Nicolas Sarkozy a éga- lement tenté de plaider auprès de Stéphane Richard, le P-DG d’Orange, de participer à un long-métrage de Danièle Thompson. Plus récemment, un article de Mediapart 3 faisait état de pressions en interne chez Orange pour ne pas financer le film non autorisé sur Saint Laurent de Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel dans le rôle-titre. Tout est partid’un message vocal laissé huit mois plus tôt, le 18 juin 2013, par Xavier Couture, conseiller spécial du P-DG Stéphane Richard, sur le téléphone de Frédérique Dumas, alors directrice générale d’Orange Studio, pour lui recommander de ne pas coproduire un film non autorisé par Pierre Bergé. L’ancien compagnon d’Yves Saint Laurent et actionnaire du Monde avait donné son soutien à un biopic concurrent, de Jalil Lespert, avec Pierre Niney. Xavier Couture a accepté de s’expliquer devant nous sur cette controverse. À l’époque du message, Le Monde multipliait les articles d’investigation sur Stéphane Richard, qui venait d’être mis en examen dans le cadre de l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais. Orange cherchait-il à amadouer l’actionnaire du Monde, dans un contexte de tor- nade médiatique et juridique pour son patron ? En guerre contre son ancienne hiérarchie après son licenciement, en février 2014, Frédérique Dumas, qui avait conservé le message de Xavier Couture, a décidé de le livrer à Mediapart, qui l’a rendu public. « Je pense qu’il serait utile de réfléchir à deux fois avant de financer le film. […] Je pense que c’est peut-être pas utile en ce moment de s’attirer les foudres de Pierre Bergé », y déclare le conseiller spécial, qui explique également vouloir essayer de « convaincre les journalistes du Monde d’être un peu plus gentils avec Stéphane, et pas de faire un feuilleton avec une histoire qu’on aimerait bien voir retomber ».

Face à nous, Xavier Couture ne nie pas : « J’ai bien parlé du Monde. Mais l’histoire est beaucoup plus simple. » Il plaide pour une « maladresse », et affirme qu’Orange n’a pas cherché à attendrir ses relations avec le quotidien du soir. « Moi, je suis très lié à Yves Saint Laurent depuis longtemps puisque, à l’époque où j’étais à TF1, j’ai beaucoup aidé Pierre Bergé dans la lutte contre le sida. » Xavier Couture dit avoir reçu un appel à la rescousse de Pierre Bergé : « Ça me ferait plaisir si vous pouviez veiller à ce que ce film ne voie pas le jour, car il est attentatoire à la mémoire d’Yves. » « Je préviens Stéphane Richard, pour lui dire que je vais appeler Frédérique Dumas et voir si on peut démonter le film. Et, assez maladroitement, j’en conviens, j’utilise dans mon message l’argument stupide selon lequel, dans la période actuelle où Stéphane a des difficultés avec Le Monde, parti un peu en vendetta contre lui dans l’affaire Tapie, il faudrait peut-être éviter de se mettre Pierre Bergé à dos ? »

Finalement, Xavier Couture et Pierre Bergé n’arriveront pas à leurs fins. Le film était trop engagé avec d’autres partenaires financiers, dont EuropaCorp, la société fondée par Luc Besson et dirigée par l’ancien publicitaire Christophe Lambert, et Mandarin, celle des frères Éric et Nicolas Altmayer. « J’ai appelé Christophe Lambert, que je connais depuis une éternité, et qui m’a dit que ça allait faire un bordel. J’ai laissé tomber, et j’ai dit à Pierre Bergé qu’on ferait le film », poursuit Xavier Couture. « Mais comme Frédérique Dumas s’est fait licencier six mois plus tard parce qu’elle perdait 20 millions d’euros par an, elle s’est servie de ça. Elle a essayé de faire croire qu’il y avait eu une intervention politique dans les choix des films. C’est totalement faux ! », affirme-t-il.

Extrait de "Main basse sur la culture et l'argent", de Michael Moreau et Raphael Porier, publié aux Editions La découverte, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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