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Les 15 péchés de la curie selon François : quelle stratégie derrière l'accès de sévérité du pape ?
©Reuters

Je t'aime, moi non plus

Dans son discours annuel de vœux aux membres de la curie romaine, le pape François a notamment évoqué "l'Alzheimer spirituel" qui menace le haut clergé.

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. 

Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame.

Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011). 

 

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Atlantico : Pourquoi le pape a-t-il épinglé la curie avec autant de sévérité, les conviant "à un vrai examen de conscience" ? 

Gérard Leclerc :Il s’agit de ce qu’on peut appeler en termes religieux une monition spirituelle, un procédé qui appartient au registre de spiritualité. Cet exercice classique est le fait de réveiller les fidèles, de vouloir qu’ils se convertissent et se repentent de leurs fautes. On retrouve ici un trait de la spiritualité ignacienne du pape qui est jésuite. Le pape François a par ailleurs des vues stratégiques sur la réforme de la curie romaine, qui est l’instrument administratif à son service. Il a déjà engagé sa réforme qui doit se poursuivre dans les mois qui viennent. Il faut donc relier cette monition spirituelle à cette réforme de la curie.

Rappelons que la réforme de la curie est la principale raison de la renonciation de son prédécesseur Benoit XVI qui a eu le sentiment de ne pas avoir eu la force nécessaire pour venir à bout des dysfonctionnements que connaissait l'institution. Benoit XVI regarde avec beaucoup d’intérêt le combat entrepris par son successeur pour changer les choses dans ce domaine.

Le pape François ressent-il lui aussi une forme d'impuissance face à la curie ?

Je ne le crois pas. Il a déjà démontré qu’on pouvait changer les choses notamment sur la banque du Saint-Siège. Le pape François veut transformer et simplifier la structure mais il est difficile de voir comment va aboutir la réforme et de discerner ce que veut vraiment faire le pape sur celle de la curie. Il a nommé une coalition internationale de cardinaux qui travaillent sur le sujet mais nous ne sommes pas encore au bout d’une réforme qui se fait à son rythme.

Le pape François a listé quinze maux dont souffrirait selon lui la curie, évoquant notamment "l’Alzheimer spirituel" et la "schizophrénie existentielle". Qu’est-ce que l’emploi de ces formules choc révèle des problèmes dont souffre le Vatican ?

Le diagnostic du pape n’est pas politique ni même psychologique : il est spirituel. Quand il parle d’Alzheimer, il parle des gens qui ont oublié le Christ et qui se sont livrés à des choses avec des mentalités purement humaines, même trop humaines. Le pape agit comme un confesseur. Il va très loin dans ses propos car Alzheimer est la mort de l’âme spirituelle. Il accuse des gens de la curie d’être des âmes mortes et d’être dépourvus de vie spirituelle.

Le pape ne fait pas de la polémique comme le ferait un publiciste et un pamphlétaire mais il agit comme un directeur de conscience, se montrant donc en cela fidèle à sa formation jésuite issue de saint Ignace de Loyola. Le pape François emploie des termes médicaux et des mots issus de la clinique psychiatrique. C’est un médecin des âmes.

Pourquoi le pape a-t-il insisté sur les rivalités, la calomnie et sur les ragots ? Où se situent actuellement les luttes de pouvoir au sein du Vatican ?

La presse italienne se passionne pour ces ragots dont elle est pleine. Ces derniers viennent des couloirs du Vatican. L’une des vieilles traditions de la curie est d’alimenter la presse en bruit de couloirs et on observe des "combinazione". Toutefois, tout le monde n’est pas coupable et c’est aussi une tradition en France ou ailleurs dans le domaine politique.

Il y a eu des luttes de pouvoir mais j’ai l’impression qu’en ce moment tout le monde rentre la tête dans les épaules en se demandant ce qu’il va se passer. Les membres de la curie sont dans l’expectative car des têtes vont tomber. Mais lesquelles ? Le pape fait donc allusion à des pratiques courantes pas très anciennes qui ont été le propre de la curie et qu’il s’agit de supprimer. Il est par ailleurs difficile de dire où se situe ces luttes de pouvoir car la curie est presque en sommeil en ce moment.

Les fuites peuvent venir de partout comme on l’a vu dans l’affaire du Vatileaks où un valet de chambre se permettait d’intercepter les correspondances du Saint Père. Il y a des journalistes très friands de ces fuites, ils se créent des réseaux d’information au sein même de l’appareil au Vatican. Tous les dicastères et ministères ne sont toutefois pas à mettre dans le même panier. On n’a par exemple jamais fait aucun reproche à la Congrégation pour la doctrine de la foi et il y a des cardinaux de haute valeur dirigeant certains ministères.

Comment ont réagi les cardinaux à cette attaque surprenante et unilatérale ? Le pape François peut-il se mettre à dos les cardinaux ? Plus généralement, cette sortie du pape peut-elle avoir des conséquences sur l’Eglise ?

J’ai vu lors du discours du pape le visage de certains cardinaux marqués par la douche froide qu’ils étaient en train de recevoir. Le caractère uniforme de ces accusations m’étonne car cela s’adresse à des réalités qui sont différentes. La curie n’est pas homogène et tous les dicastères c’est-à-dire les ministères romains, ne sont pas concernés par cette critique : certains fonctionnement bien, d’autres non. On peut donc s’interroger : en s’en prenant indistinctement à tout le monde, le pape ne risque-t-il pas de créer un climat un peu délétère ?

Le message de fond adressé lundi par le pape est le suivant : "la réforme de la curie est en cours, elle est profonde et il faudra vous plier à cette réforme". Le pape François veut prendre tous les moyens pour changer le système. Je ne pense pas qu’il y aura toutefois des conséquences. Ce qui serait beaucoup plus grave, en revanche, c’est un désaccord d’ordre doctrinal comme cela s’est amorcé lors du synode des évêques sur la famille. Mais le pape s’arrangera pour qu’il n’y ait pas de désaccord de fond car cela serait trop grave.

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