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Sarkozy-Fillon : cinq ans d'humiliations
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Bonnes feuilles

La France s'est construite par le conflit entre nations ou entre personnalités. Le duo Sarkozy-Fillon n'a pas fait exception à la règle. Extrait de "Les grands duels qui ont fait la France", d"Alexis Brézet et Jean-Christophe Buisson, publié aux éditions Perrin (2/2).

Alexis Brézet

Alexis Brézet

Alexis Brézet est un journaliste et éditorialiste français spécialisé dans le domaine de la politique intérieure.

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Jean-Christophe  Buisson

Jean-Christophe Buisson

Jean-Christophe Buisson est un journaliste et écrivain, spécialiste des Balkans. Il est entré au Figaro Magazine en 1994 comme grand reporter, où il dirige les pages culture et art de vivre.

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Nicolas Sarkozy est élu président de la République le 6 mai 2007. Quatre mois plus tard seulement, François Fillon lui suggère qu’ils arrêtent de travailler ensemble ! Le Premier ministre en a déjà plein le dos – physiquement, il aura les reins bloqués pendant un an ! – de la tutelle de l’Élysée. Le duo avait travaillé pendant deux ans sur la campagne et l’exercice du pouvoir. Le duel s’est déclaré presque immédiatement entre les deux hommes. Sept ans plus tard, François Fillon avoue n’avoir toujours pas compris : « Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il changé, pourquoi a-t-il pris peur sur les réformes ? » Il a beau se poser la question matin et soir, l’ancien Premier ministre n’a pas la réponse. En revanche, il balaie d’un revers de main l’affirmation d’un tandem « Sarkozy le dur et Fillon le mou ». « C’est juste le contraire. » Ainsi le 25 septembre 2007, pour le 60e anniversaire de l’Agirc, le Premier ministre fait un discours dans lequel il évoque le « rendez-vous des retraites » et parle de l’augmentation de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein. Le même jour, Nicolas Sarkozy est à New York pour son premier discours à la tribune de l’ONU. Malgré la distance, le décalage horaire, les enjeux différents, le Premier ministre a droit à une sévère engueulade au téléphone. Engueulade qui sera réitérée au retour du Président à Paris. « Tu es devenu fou ? Tu veux nous planter ? » Le ton est dur. Les accusations sévères. Après une centaine de jours, les griefs sont tellement nombreux que la confiance est rompue.

Du côté de Matignon, on reproche le fonctionnement de l’Élysée. Les collaborateurs du Président s’expriment dans les médias. Ils court-circuitent jusqu’au Premier ministre. Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, donne un entretien à la presse la veille du discours de politique générale du chef du gouvernement devant le Parlement ! Le climat devient pesant entre les deux rives de la Seine. François Fillon a l’impression que Nicolas Sarkozy n’est plus aussi allant sur les réformes. Dès la première, relative aux universités, le malentendu s’installe. Fillon reproche au Président d’avoir mis de côté la promesse d’une sélection. Sarkozy rétorque qu’elle ne figure pas dans le projet présidentiel.

« Mais si, elle figure dans le projet ! Et si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais, réplique le Premier ministre.

— François, on ne peut pas se permettre de mettre les étudiants dans la rue », répond le président de la République.

Cet échange illustre parfaitement la divergence d’analyse entre les deux hommes. Elle durera tout le long du quinquennat. Le mariage n’était que de raison ; ils le savaient mais pensaient que les apparences seraient sauves plus longtemps. Il n’en sera rien. Un divorce est impossible. Trop tôt, trop coûteux politiquement pour eux. Ils vont donc continuer de vivre ensemble cinq ans, en aggravant le fossé qui s’est creusé.

Du côté de l’Élysée les reproches s’accumulent. Nicolas Sarkozy, à peine élu, a laissé la conduite des élections législatives à son Premier ministre. Malgré la victoire, il est peu de dire que le Président n’a pas été pleinement satisfait du résultat. La polémique sur la TVA sociale entre les deux tours a coûté leur siège à nombre de candidats UMP. Le Président, déjà enclin à vouloir être en première ligne, en tire la conclusion qu’il doit tout faire tout seul. Tant pis pour ses « collaborateurs ». Le mot lâché en plein mois d’août fait mouche. François Fillon est piqué au vif. Homme politique, allié politique de Sarkozy, il n’apprécie pas d’être considéré comme un vulgaire laquais.

Il faut se méfier d’un Fillon vexé. Il a la formule assassine. Dominique de Villepin peut en témoigner. Parlant de son chien qu’il retrouve tous les week-ends dans sa demeure de Solesmes, Fillon confiera un jour : « C’est un setter irlandais : il est comme Villepin, il a bonne apparence, mais en fait il est complètement fou, il fait des trous partout. » Xavier Bertrand aura droit aussi à sa réplique meurtrière, même si François Fillon démentira l’avoir prononcée : quand L’Express révélera l’appartenance de son ministre à la franc-maçonnerie, il aurait lâché : « Maçon, je le savais, mais franc je l’ignorais. » Apocryphe ou non, la formule fit mouche. Comme souvent avec Fillon. Il parle peu, mais rate rarement sa cible.

Avec Nicolas Sarkozy, François Fillon se méfie. Leur sort est lié. Provoquer un clash trop ostentatoire pourrait lui donner une occasion de mettre fin à leur duo, ce qui serait une première sous la Ve République si tôt dans un mandat présidentiel. Sa marge de manœuvre est étroite. Il va devenir le gardien sourcilleux du projet, le garant des réformes. Nicolas Sarkozy hésite, freine, recule ? Fillon sera la mauvaise conscience, celui qui rappelle les promesses, le « Jiminy Cricket » du Président.

Cette posture, il l’affirme dès septembre 2007 en Corse, quand, à la fin d’un repas, il explique à des agriculteurs qu’il est « à la tête d’un État en faillite. Ça ne peut plus durer, j’ai une obligation, c’est de ramener le budget de l’État à l’équilibre avant la fin du quinquennat ». Quand il découvre cette déclaration, Nicolas Sarkozy entre en fureur. Deux expressions le hérissent : « l’État en faillite », notion qu’il juge anxiogène pour les Français, et surtout l’expression « je suis à la tête ». Pour qui se prend-il ? C’est le Président qui est à la tête de l’État. Le Premier ministre a été nommé par lui et devrait se contenter d’être heureux à Matignon sans prétendre à autre chose.

Au-delà de ces accrochages, comme souvent dans les couples, la rupture est aussi le fait des non-dits. En ce début de quinquennat, le Président est confronté à une douleur intime : son épouse Cécilia s’en va et veut divorcer. Sa vie privée est un échec au moment même où sa vie politique atteint son apogée. L’homme est malheureux, il a besoin d’être entouré, il cherche l’affection de ses amis, attend des phrases de réconfort de ceux qui l’entourent. Face à lui, François Fillon est aussi fermé qu’une huître. Peu doué pour exprimer ses sentiments, le Premier ministre évite ces moments où il faut se livrer pour trouver des mots de réconfort. La vraie rupture se joue là. Le Premier ministre n’a pas su être présent quand le président de la République en avait besoin. Nicolas Sarkozy s’en souviendra : « Il n’est pas courageux. Quand j’en ai pris plein la figure, il n’a pas bougé. Il ne peut pas. C’est sa nature. Quand il baisse dans les sondages, il est tétanisé. » François Fillon estime lui que c’est Nicolas Sarkozy qui ne supporte pas l’impopularité. « Il déteste l’affrontement. Il veut être aimé. L’idée qu’il soit impopulaire lui est insupportable », estime l’ancien Premier ministre, qui se souviendra longtemps des humiliations subies, comme lorsque, au lendemain de son passage sur France 2, Nicolas Sarkozy lui fait comprendre qu’il n’a pas regardé : « Alors, François, il paraît que tu as été bon à la télé ? » Le Premier ministre encaisse mais n’oublie rien : « Les comptes s’accumulent mais ils se régleront plus tard. »

Les deux hommes ne se supportent plus ! « On est quand même mieux entre nous sans Fillon », lance Nicolas Sarkozy à la délégation présente dans son avion au retour d’un sommet à Berlin ! Mais les deux hommes n’arrivent pas à se séparer. À la rentrée de septembre 2010, le Président envisage de remplacer son Premier ministre. Quand ils se sont vus au fort de Brégançon fin août, les deux hommes ont évoqué la suite de leur duo. La conversation est symptomatique : ils se parlent mais ne se comprennent plus ! Le Premier ministre estime qu’il faut changer de mode de fonctionnement. Mais comme tous les deux sont ensemble depuis trois ans, ce n’est pas ensemble qu’ils pourront le faire. Autrement dit, il propose au chef de l’État de nommer un remplaçant. Mais Sarkozy ne veut pas de changement. Il veut garder son Premier ministre, à condition qu’il exprime publiquement sa volonté de rester à Matignon. Parallèlement, par sécurité, il lance Jean-Louis Borloo dans la course. Nicolas Sarkozy ne peut se permettre d’avoir son ancien chef du gouvernement à l’extérieur de son dispositif. Il craint par-dessus tout le syndrome Pompidou. Remercié en juillet 1968 par le général de Gaulle, le Premier ministre avait profité de cet éloignement pour se forger l’image du successeur naturel. En voyage à Rome il avait lancé début 1969 : « Ce n’est un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une, mais je ne suis pas du tout pressé. » Cet « appel de Rome » fut jugé fatal au chef de l’État, qui démissionna de la présidence quelques mois plus tard après son échec lors d’un référendum, ouvrant les portes de l’Élysée à son ex-dauphin. Nicolas Sarkozy craint qu’une fois en dehors de Matignon François Fillon ne cherche à se démarquer de lui pour mieux apparaître comme un recours pour une droite déboussolée par le Président. 

Les sondages à mi-mandat montrent un Fillon en meilleure position que Sarkozy auprès des Français pour la présidentielle de 2012. Seuls les militants de l’UMP restent fidèles au chef de l’État. C’est son assurance-vie. En outre, il sait que François Fillon n’osera pas l’affronter. Il ne sera pas Chirac qui, en 1976, claqua la porte de Matignon, fonda le RPR et se lança dans la conquête de l’Élysée. Fillon préfère rester à Matignon et prendre date. Depuis le début il encaisse les coups mais n’oublie rien. Il pense déjà à 2017 et cherche à se façonner une nouvelle image, se construire une nouvelle stature. Celle du réformateur empêché d’aller aussi loin qu’il le voulait par l’Élysée. C’est le sens de la conclusion de son intervention au Conseil des ministres du 3 mars 2010 alors qu’il évoque un décret à prendre par le gouvernement destiné à mettre fin à la tutelle de Bercy sur la Poste : « Il ne faudrait pas donner l’impression que l’on a la main qui tremble. » Phrase qui suscite une réplique immédiate du Président : « Pour ce qui est des mains qui tremblent, j’ai de la marge. »

L’argumentation fillonniste a le don d’exaspérer les sarkozystes. Encore aujourd’hui, ils ne supportent pas de les entendre dire que le Premier ministre aurait été bloqué par le Président alors qu’il voulait réformer le pays. « S’il était si brimé, il n’avait qu’à partir de Matignon ! » rétorque l’un d’eux. « Fillon, il se plaignait avant les réunions, il se plaignait après les réunions mais pendant il ne disait rien », regrette un ancien ministre. De fait, François Fillon ne franchit jamais le Rubicon. Il n’osa pas incarner une alternative pour 2012 face au président sortant, faisant sien l’adage de Jean-Pierre Raffarin : « Il n’existe pas de concurrent dans le camp du Président. »

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