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Loi santé : la désertification médicale écrite entre les lignes du texte de Marisol Touraine
©Reuters

Halte au désastre

La loi Touraine préconise la "territorialisation de l'offre de santé sous la responsabilité des Agences Régionales de Santé". Une proposition qui aura pour conséquence de précipiter la désertification médicale.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

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Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon est président de la Fédération des médecins de France.

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Atlantico : La loi Touraine préconise la "territorialisation de l'offre de santé sous l'égide des Agences régionales de santé", une proposition qui a, entre autres, provoqué le mécontentement des médecins libéraux. En quoi, cette proposition peut-elle accentuer les déserts médicaux ?

Jean-Paul Hamon : C’est la loi dans son ensemble qui va accentuer la désertification, car Marisol Touraine n’a pas pris la mesure de l’urgence démographique et s’est  contentée de prendre des mesures démagogiques comme la chasse aux dépassements d’honoraires qui n’améliore en aucune façon l’accès aux soins, car 75% des médecins français sont  en  Secteur 1, et la plupart des médecins en secteur 2 appliquent des tarifs raisonnables en rapport avec le coût de la pratique.

Cette fois-ci Marisol Touraine veut imposer une prétendue gratuité chez le médecin sans tenir compte de la complexité administrative que ça va entraîner pour le médecin si le tiers payant est généralisé. Les médecins auront été réunis 4 fois au ministère avec les services ministériels, les mutuelles, l’assurance maladie et les associations de patients. Nous avons souligné les difficultés techniques et rappelé le coût moyen du tiers payant pour les centres de santé d’Île de France : 3€50 par acte, et nous avons rappelé que les pharmaciens ont dû embaucher du personnel pour pratiquer le tiers payant et qu’enfin la caisse d’assurance maladie avait bloqué des remboursements aux pharmaciens qui n’appliquaient pas à la lettre les consignes de la sécu. Il faudrait donc pour les médecins être bien docile s’ils veulent avoir une chance d’être payés : paperasse et corde au cou, c’est "niet".

Le rôle des ARS va être énorme : pouvoir sur l’installation du médecin, c’est écrit à l’article 38 de la loi, mais surtout, pouvoir sur le maintien ou non en exercice dans une zone sur-dotée, avec la possibilité d'un conventionnement sélectif : c’est écrit noir sur blanc !

Sauveur Boukris : Les médecins sont en grève contre l'étatisation du système de santé. En tant que médecin, on souhaite garder une liberté de penser, d'expression et surtout de prescription. Donc on ne peut pas leur imposer un lieu d'installation ou un mode d'existence comme souhaitent le faire les Agences régionales de Santé. Lorsque ces dernières seront soumises aux contraintes administratives, elles pourront imposer aux médecins de s'installer dans certains territoires plutôt que d'autres. Or aucun médecin n'a envie de s'installer dans une région désertique pour y gagner des revenus très modestes par rapport à ceux du libéral. 

Les médecins, pendant leur formation scolaire, sont structurés dans leur mode d'exercice. Ils font un diagnostic à l'aide d'examens complémentaires, des études biologiques, des échographies, des scanners... Ils doivent donc, pour des questions logistiques, se trouver près d'un hôpital ainsi que d'autres spécialistes qui permettent de faire ces examens complémentaires. 

Cette loi Touraine ne va faire qu'encourager la désertification. Les médecins, parce qu'ils ont besoin d'être entourés d'autres spécialistes, préféreront remplir les dispensaires, les hôpitaux et êtres salariés, plutôt que de prendre le risque d'ouvrir leur cabinet. Je pense que le médecin généraliste libéral va finir par disparaître. Cette loi est l'antithèse du discours officiel qui consiste à dire que le médecin généraliste est le pivot du système de santé ! 

Est-ce parce que les Agences régionales de santé complexifient les contraintes administratives, dont les médecins subissent déjà les lourdeurs ?

Jean-Paul Hamon : Le paradoxe n’est pas mince : pendant que la sécurité sociale se pique de faire de l’organisation sanitaire en surveillant les diabétiques, les hypertendus et les asthmatiques avec ses Sophia, pendant que la sécu multiplie les boutiques santé, les coaching santé et ses dispensaires prévention qui ne dépistent personne sinon des patients déjà maintes fois surveillés, la loi va imposer aux médecins de faire davantage d’administration alors qu’ils manquent de temps pour soigner !

Pire, alors que les médecins réclament une modification des études pour faire connaitre aux étudiants l’exercice libéral lors de leur cursus, la loi prévoit de modifier les études des paramédicaux pour leur permettre "d'établir des diagnostics, prescrire des traitements, et surveiller les maladies chroniques".

Marisol Touraine écrit clairement qu’elle veut se passer des médecins libéraux pour les remplacer par des officiers de santé du temps de Balzac. L’insécurité sanitaire est en marche avec cette loi. Le dépeçage de la médecine libérale est écrit. Les patients en subiront les conséquences.

Sauveur Boukris : Dans les Agences régionales, ce sont des économistes qui ont une vision administrative de la santé qui proposent des réformes, alors que la médecine est un exercice complexe dans lequel se mêle l'aspect technique (établissement d'un diagnostic) ainsi qu'un aspect humain et social. On ne peut pas raisonner sur la médecine comme on le fait avec la bourse, en se reposant sur des statistiques. Un médecin a une utilité sociale primordiale. 

Pour une Agence régionale de Santé, s'il existe deux cliniques dans une région dans laquelle il n'y pas assez de monde pour les rentabiliser, elle préconise leurs fermeture. A partir du moment où les agences de santé calibrent les territoires en fonction du nombre d'habitants, on risque de se retrouver dans une configuration dans laquelle les grandes villes auront des structures efficaces de santé et les régions rurales n'auront plus rien. Si l'on en construit plus, on isole les habitants. 

En quoi la généralisation du tiers payant pourrait-elle accentuer la désertification médicale ?

Sauveur Boukris :  Dès que le tiers payant se généralise, ce sera aux médecins de vérifier par exemple que la carte sociale est bien à jour. Cela n'a l'air de rien comme ça, et pourtant ! Nombres d'entre eux ont embauché des secrétaires parce qu'ils n'ont pas le temps de répondre à la "paperasse" administrative que cela implique. Il faudra bientôt vérifier également que les patients possèdent bien une mutuelle complémentaire et que vous êtes bien le médecin traitant de votre patient, sinon les mutuelles ne vous remboursent pas. Donc en tant que médecin vous prenez le risque, en plus d'une lourdeur administrative supplémentaire, de ne pas être payé ! Ensuite, pour ceux qui n'ont pas de secrétaire, il faut en embaucher, ce qui implique des charges supplémentaires qu'un jeune médecin ne peut pas se permettre d'avoir. 

Quelles sont les autres causes de la désertification médicale ?

Sauveur Boukris : La désertification médicale n'a pas commencé sous Marisol Touraine, elle était déjà bien présente sous Roselyne Bachelot. Elle est la conséquence d'une politique basée sur la rentabilité, sur les chiffres et les statistiques. Par exemple, dans une région peu peuplée, l'Etat se dit qu'il n'y a pas besoin de construire un hôpital. Or cette décision administrative va de fait provoquer une désertification médicale car un médecin a besoin d'autres équipements, d'autres spécialistes autour de lui, pour rendre son diagnostic. Notamment parce que les progrès de la médecine en matière technologique permettent de faciliter son analyse. Mais si aucune structure n'est présente autour de lui, comme des laboratoire ou des cliniques de radiologie, il devient très compliqué d'exercer. 

Nous sommes en train d'appauvrir des régions qui sont déjà sinistrées par le manque d'offre de soin à cause de technocrates qui ne prennent en compte que les dires des Agences régionales de santé. 

Le transfert des tâches du médecin, telles que la vaccination, vers le paramédical, peut-il permettre de lutter dans des zones rurales faiblement dotées en offre de santé, contre la désertification, en permettant une offre de soin complémentaire ?

Jean-Paul Hamon : Multiplier l’offre de soins est un terme cher à notre ministre, sauf que depuis que les vaccinations contre la grippe ont été confiées aux pharmaciens et aux infirmières, le taux de couverture vaccinale diminue car les responsabilités sont diluées et le médecin ignore si le vaccin a été fait, et si oui, quel vaccin ...

Sauveur Boukris : Les médecins ne sont pas contre la délégation de tâches, mais on ne souhaite pas que la vaccination se fasse par les pharmaciens. Tout simplement parce qu'il existe des  infirmières et infirmiers en France qui cherchent du travail et pourraient être le complément du médecin ; ils travaillent d'ailleurs déjà ensembles. La vaccination peut être faite par des infirmières, cela coûtera sûrement moins cher au système de santé, puisqu'elles sont déjà formées. A l'inverse de payer la formation d'un pharmacien afin qu'il puisse vacciner, alors que son but est de délivrer des médicaments, pas de faire des actes médicaux. 

Quels sont les moyens suggérés par les médecins  pour lutter contre la désertification ? 

Jean-Paul Hamon : 1) Modifier les études : faire connaître l’exercice libéral lors du cursus universitaire et inciter les internes à faire leurs stages en zone démographiquement faible. L’exemple de la Corse fonctionne : l'île a doublé le salaire des internes, payé leurs transport et logement, et regroupé leurs cours. Le résultat est que désormais la Corse ne manque plus d’internes et que la courbe d’installation s’est véritablement inversée. La généralisation de ce système ne coûterait pas bien cher, d'autant qu'il a fait la preuve de son efficacité.

2) Eduquer la population au bon usage de  l’hôpital en n’accédant aux urgences qu’en ambulance ou avec un courrier d’un médecin généraliste ou spécialiste. La moitié des 20 millions de passages aux urgences n’ont rien à y faire et la modification du financement des urgences économiserait 3 milliards à la collectivité.

3) Un plan Marshall sur la médecine libérale pour lui  redonner de l’attractivité et permettre aux médecins de travailler dans les mêmes conditions que ses collègues européens avec 2,4 salariés par médecin. C’est possible en revenant au niveau des dépenses européennes (10 milliards de marge sur l’industrie, 25 sur l’hôpital, 5 milliards sur les complémentaires et 3 milliards sur les frais de gestion de la CNAMTS).

4) Et ça n’est pas anecdotique, que la CNAMTS cesse de harceler les médecins avec tous ses pouvoirs. La FMF rappelle que le taux de suicide des médecins est 2,4 fois au-dessus de celui de la moyenne nationale.

Tout cela doit être fait de façon urgente et c’est pourquoi il faut retirer cette loi et définir une vraie stratégie nationale de santé avec l’ensemble des médecins libéraux et hospitaliers, mais pas un machin genre grenelle de l’environnement, un rebelle de la santé de type 68. Pour cela il faut un ou une ministre qui ait du courage, et pas de dogmatisme.

Sauveur Boukris : L'Etat doit augmenter les tarifs de consultation. Il est très difficile pour un jeune médecin qui vient de s'installer de ne gagner que 23 euros pour une consultation. Un médecin qui débute ne va pas avoir 20 à 40 patients tout de suite, il va devoir attendre deux à trois ans avant de se faire une clientèle et de rentrer financièrement dans ses frais. Ensuite, je propose d'instaurer une régionalisation des tarifs pour inciter les médecins à travailler en région, tout en les accompagnant sur place afin que professionnellement et humainement, ils ne soient pas seuls, en créant des maisons ou des pôles de santé par exemple. 

Enfin, la désertification n'est pas une fatalité, c'est le résultat d'une politique basée sur une économie de la santé. Je constate que la pauvreté s'installe en France et que les pouvoirs publics sont incapables de lutter contre. Nous allons assister petit à petit à une privatisation de la sécurité sociale. Le tiers payant en sera une des cause car il aura eu pour conséquence une augmentation des consultations et donc une augmentation du déficit de la sécurité sociale. 

Propos recueillis par Sarah Pinard

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