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Comment l'Etat islamique a réussi ce qu'Al-Qaïda avait raté : pénétrer au cœur des sociétés occidentales et capturer leur imaginaire
©Reuters

Voisin suspect

Alors que les attentats qui frappent la France n'ont rien de commun avec l'ampleur des actions perpétrées par Al-Qaïda, ou même avec ce que la France a connu en 1995, l'inquiétude face à la menace terroriste grandit.

Jean-François Daguzan

Jean-François Daguzan

Jean-François Daguzan est directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche StratégiqueIl a publié de nombreux livres traitant des questions de terrorisme, dont La fin de l'Etat-Nation : de Barcelone à Bagdad (CNRS Editions, 2015).

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Atlantico : L'Etat islamique semble réussir son pari de semer la terreur dans les pays occidentaux, sans même avoir commis d'attentats réellement sanglants. Agressions au couteau, attaques à la voiture : on est loin du 11 septembre ou des attentats des métros de Londres et Madrid. Quels ressorts l'EI utilise-t-il pour être perçu comme une menace intérieure alors qu'il est si peu présent sur le territoire français ? 

Jean-François Daguzan : Tout d'abord, il y a effectivement des sondages réalisés entre 2001 etr 2013 qui mesurent la menace ressentie par les Français vis-à-vis du risque terroriste. Elle a grimpé de 10 à 15 points entre 2001 et 2013 et des pics sont liés aux attentats. On a une moyenne sur douze ans autour de 65% de personnes qui considèrent que la menace est élevée. Le pic se trouve en avril 2013, où on est monté à 78%. 
L'explication du sentiment accru de menace est double. Il y a tout d'abord un phénomène médiatique. Le développement de l'information en continu, et la hausse du nombre de sites d'informations, génèrent une surmédiatisation. Le moindre événement – et pas que le terrorisme, on peut dire la même chose des "petites phrases" en politique - est repercuté à l'infini et nous atteint tous. 
L'autre point, c'est le renforcement et l'efficacité des services de renseignement et de police. Les attentats "classiques", organisés par un réseau et qui visent à faire beaucoup de victimes, du type métro de Londres ou trains de Madrid, sont de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre. Les terroristes se rabattent donc sur des actes isolés qui passent au travers des mailles du filet. Ils restent cependant rattachés à des réseaux : Mohammed Merah ou Mehdi Nemmouche ne sont pas des loups solitaires, ce sont des acteurs solitaires. 
Ces actions solitaires sont donc largement répercutées par l'effet internet, qui peut secouer l'esprit d'esprits faibles qui vont rentrer dans la dynamique. On se retrouve donc avec une menace extrêmement diffuse. Un homme avec un couteau dans la rue, un autre dans sa voiture... tout cela crée une menace spontanée bien plus inquiétante pour la population. A terme cela entraîne une angoisse latente dans l'opinion.

Quel vide dans la société française la présence de ces "ennemis de l'intérieur" est-elle venue remplir, dans une France qui n'avait plus connu de vagues d'attentats depuis vingt ans ?

On oublie complètement que pendant la Guerre d'Algérie, il y eut – sur le sol métropolitain – pas moins de 4000 attentats qui ont fait des centaines de morts. Il y eut encore une vague d'attentats en période de décolonisation, avec des mouvements pro-palestiniens, des attentas liés à l'Iran... Si on regarde les statistiques pures, ces attentats ont finalement eu un impact très faible parmi la population. Cela me conforte donc dans l'idée de l'impact de la surmédiatisation, plus qu'un quelconque "vide symbolique". On s'inquiète parce qu'on le sait, et on le sait parce qu'on l'a en permance sous les yeux. Personne n'aurait pu dire qu'entre 1957 et 1962 il y eut 4000 attentats en France. On vous aurait même sûrement ri au nez (sauf si bien sûr vous parliez à quelqu'un qui en aurait subi les consésquences). On ne l'a vraiment réalisé qu'une fois la période passée.

Les médias français communiquent beaucoup sur le côté "proximité" des terroristes, qui sont présentés comme pouvant être n'importe lequel de vos voisins. Quelles est la conséquence dans la société française d'un terrorisme qui n'est plus perçu comme "étranger" ? Y a-t-il eu des précédents ?

C'est assez inquiétant en effet. A travers les actes spontanés issus de l'autoradicalisation, se développe l'idée que votre voisin peut être un terroriste potentiel s'il porte les signes d'un islam assez rigoureux. Jusque-là en effet – et contrairement à ce qu'affirmaient les organisations musulmanes – on ne stigmatisait pas les musulmans suite à des attentats, comme ceux de 1995. Or la multiplication de petits actes comme aujourd'hui peut mener à des réflexes de défense primaire de la part d'une population qui se sentirait agressée. 
Et c'est, de plus, une situation assez inédite. Il y a eu un contexte un peu similaire durant la Guerre d'Algérie, sur le sol algérien. Mais sur le territoire hexagonal, très peu. Le terrorisme type "Action directe" visait surtout des cibles à forte valeur symbolique. Bien sûr, vous pouviez vous trouver par malchance au milieu d'une fusillade avec la police, mais c'était un "accident". Les choses ont commencé à changer avec des attentats aléatoires, comme celui de la rue des Rosiers, ou la vague d'attentats orchestrée par le GIA en 1995. 

Comment interpréter le fait que des familles entières rejoignent le djihadisme international ? Quelle dimension cela donne-t-il au terrorisme islamiste, de voire que ce ne sont pas que des "jeunes en déshérence" qui rejoignent les rangs des terroristes ?

On est face à un phénomène de déstructuration sociale, avec déclassement et perte d'identité. Vous vous ressentez en marge du pays dont vous êtes citoyen, et vous vivez de plus en plus en circuit fermé, ce qui inclut donc toute votre famille. Mais il y a aussi la question de l'accessibilité. Avant, aller en Afghanistan était perçu comme compliqué, idem pour la Tchétchénie ou le Pakistan. La Syrie, elle, renvoie une image de proximité. C'est tout juste si vous ne pouvez pas vous y rendre en bus. Cette perception joue énormément : on voit bien par exemple qu'il y a peu de combattants étrangers, et sans doute aucune famille, au Mali, qui est perçu comme difficile d'accès, alors qu'il y a pourtant une forte communauté malienne en France – sans même parler du Maghreb – dont les éléments radicalisés  pourraient s'y rendre, éventuellement en famille. Or, il n'en est rien.

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