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Fatalité de l'an XV : Bouvines, la victoire fondatrice
©D.R.

Bonnes feuilles

L'an 15 peut aussi être celui des grandes victoires. Bouvines, XIII siècle, trois des plus puissantes armées d'Europe s'unissent contre Philippe Auguste. Alors que tout semble perdu, la France va remporter une victoire fondatrice. Extraits de "La fatalité de l'an XV", de Bernard Lecherbonnier aux Editions Archipel (2/2).

Bernard Lecherbonnier

Bernard Lecherbonnier

Bernard Lecherbonnier est né en 1942, il est professeur à l'université de Paris-XIII, directeur de recherches en études littéraires francophones. Agrégé des Lettres, il est l'auteur de nombreux romans et essais historiques.

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La victoire de Bouvines : comment la plus formidable coalition européenne jamais rassemblée à l’instigation du roi d’Angleterre et de l’empereur germanique contre la France a été vaincue par le roi Philippe Auguste, ses chevaliers et les Communes sur le champ de bataille de Bouvines, armée soudée par l’idée de nation pour des siècles et des siècles.

Bouvines, la mère de toutes les batailles. La victoire décisive sans laquelle la France aurait été rayée de la carte. Bouvines, ce n’est pas le sacre d’un roi. C’est le sacre de la France. Bouvines, une bataille gagnée contre le sort, contre l’évidence des chiffres et le poids des armes. David contre Goliath. Un roi de France de cinquante et un ans, à la tête d’une noblesse divisée et vénale, contre une coalition menée par les grandes puissances du temps : la riche Angleterre, la plantureuse terre de Flandre, l’arrogant empire d’Allemagne. Des adversaires déterminés et féroces : des tigres prêts à se jeter sur le dos du vieux lion, du vieux mâle dominant. On aurait pris alors des paris, nul n’aurait misé sur Philippe Auguste. Ce chauve maigre au teint rubicond, amateur de vin et de femmes, assez piètre croisé, paraît une proie facile, presque résignée, à ses trois adversaires qui le haïssent avec délectation. Jean sans Terre se voit déjà lui succéder sur le trône de France tout en gardant celui d’Angleterre ; Ferrand, le comte de Flandre, vise rien moins que la ville de Paris ; Othon raflerait le reste. Sur le papier tout est perdu à l’avance. Une sorte de Première Guerre mondiale où d’un côté il y a un seul pays, plutôt une sorte de bout de pays au regard de notre territoire actuel, de l’autre le reste du monde. Le destin était écrit. La bataille a d’ailleurs failli ne pas avoir lieu tellement tout était écrit à l’avance ! Sauf que, là, sur le terrain, à Bouvines, un village, un pont situé à proximité de l’actuelle frontière de la France et de la Belgique, non pas la chance, mais le coup de génie fut dans le camp français. Génie militaire à mettre au crédit de frère Guérin, le bras droit du roi ; génie politique issu du cerveau royal.

Génie politique du roi qui sut coaliser autour de lui non pas des puissances d’argent d’ailleurs introuvables, mais toutes les couches du peuple français, chevaliers, bourgeois, manants, tous amalgamés, mêlés, souffle, sang, courage, les uns aux autres. Notre première armée nationale. Génie politique du roi qui, sur le champ de bataille, laissa frère Guérin diriger la stratégie alors que lui-même n’hésita pas à montrer l’exemple, engagé jusqu’au coeur du carnage dans la mêlée sans merci où il fut d’ailleurs, un moment désarçonné, sur le point de périr. Génie politique du roi qui a su convoquer – bien que la bataille eût lieu, contre la loi céleste, un dimanche – les forces spirituelles en transformant l’effroyable bain de sang en lutte du bien contre le mal. N’avait-il pas oeuvré, malicieux et madré diplomate, auprès du pape, Innocent III, pour faire tomber l’opprobre absolu sur ses adversaires, en particulier Othon sous le coup de la sanction suprême, l’excommunication ? Comment eût-il, ce scélérat satanique, gagné hors l’armure de la foi?

Bouvines est une bataille, ne l’oublions jamais. La bataille est à la guerre ce que le mariage est à l’amour. L’acte. L’acte après lequel rien n’est plus pareil. Les sociétés du Moyen Âge étaient tout le temps en guerre. Cela pouvait durer dix ans, trente ans, cent ans… On s’entretuait de fief en fief, on rapinait, on massacrait, on violait, puis on se réconciliait, on faisait ripaille, on se mariait. Les histoires de famille, de lignage, par conséquent d’intérêt et de succession devenant de plus en plus compliquées et insolubles, on recommençait. Enfin, arrivait un moment où il fallait éclaircir tout cela une bonne fois pour toutes. La bataille s’annonçait, brute épaisse et sanguinaire, à pas lents. La bataille tant redoutée ! La bataille tant souhaitée aussi ! Tant redoutée, car la bataille désigne sans recours un vainqueur et un vaincu. Il n’y a plus à tergiverser ensuite. D’une part, le vaincu, dépouillé, souvent déshonoré, toujours ruiné. D’autre part, le vainqueur, triomphant, chanté par les poètes et célébré par l’histoire, au triomphe toujours impitoyable. Entre Philippe Auguste et Jean sans Terre, les deux principaux protagonistes du conflit qui se conclut à Bouvines, c’est, comme presque toujours en ces temps anciens, une vieille histoire de famille qui prend fin. Et quelle histoire de famille ! Des Atrides modernes.

Extrait de "La fatalité de l'an XV" de Bernard Lecherbonnier, publié aux Editions Archipel, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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