Egalité des sexes, les jouets stéréotypés en ligne de mire : quand les théories du genre mènent à la grande confusion <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon un rapport du Sénat, les jouets "genrés" auraient un impact sur le développement des enfants.
Selon un rapport du Sénat, les jouets "genrés" auraient un impact sur le développement des enfants.
©Reuters

Action Man dans une poussette

Les sénateurs ont remis un rapport dans lequel ils font plusieurs recommandations dans le but de lutter contre les stéréotypes dans le monde du jouet. Il n'est pas sûr qu'il fasse réellement avancer l'égalité garçons-filles.

Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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Atlantico : Dans un rapport rendu public jeudi 8 décembre, les sénateurs ont fait plusieurs recommandations dans le but de lutter contre les stéréotypes dans le monde du jouet. Le rapport s'appuie notamment sur une approche sociologique jugeant que le rôle des jeux est déterminant dans l'apprentissage et le développement des compétences. Ce rapport pourra-t-il réellement apporter des avancées en matière d'égalité ? Quel peut-être la finalité d'un tel rapport ?

Bérénice Levet :Apporter des avancées en matière d’égalité, dites-vous et le rapport se justifie lui-même par rapport à cet objectif.  C’est précisément la crainte de voir « la marche continue vers l’égalité » être entravée par des « jouets et des jeux porteurs de messages sexistes »   qui a motivé sa rédaction.

On nous parle de « favoriser la construction d’une société d’égalité », mais cette société n’est plus à construire. Elle est celle dans laquelle nous vivons. Jusqu’où entend-on aller dans ce processus d’égalisation des  hommes et des femmes? A quoi reconnaîtra-t-on que le terme est atteint ? L’égalité des sexes est acquise dans les sphères politique et sociale. Et s’il existe encore quelque plafond de verre, si les inégalités salariales perdurent, la société est dans son entier acquise au principe de l’égalité et l’Etat ne doit trouver ici un motif supplémentaire pour légiférer et s’immiscer dans la sphère privée.

Ce ne sont pas les inégalités qui perdurent, c’est la différence des sexes. Et les jouets seraient coupables de maintenir vivante cette altérité, de donner les moyens aux enfants de la cultiver. Les jouets participent de la formation de l’individu dans sa globalité et non simplement du simple futur membre de la société. Or, il est un individu sexué et doit se construire selon ce donné.  C’est là le grand impensé de ce rapport. Ne nous laissons pas prendre au piège de la confusion sémantique volontairement, ou involontairement (par simple automatisme de pensée), entretenue  entre inégalité et différence.

La finalité d’un tel rapport n’est donc l’égalité, mais l’indifférenciation, la neutralisation des différences sexuées, lesquelles n’auraient aucun fondement dans la nature mais serait d’ordre purement culturel. On retrouve ici les axiomes de la théorie du Genre. Le Genre est en effet cette théorie qui pousse à son ultime conséquence la fameuse formule de Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient » : si on ne naît pas femme, pourquoi le devenir ? Pourquoi ne pas s’essayer à toutes les identités, à semer le « trouble dans le genre » avant de le « défaire », selon les titres des ouvrages de la paperesse de cette « philosophie », Judith Butler.

C’est bien cette logique qui commande le rapport. Il s’agit de rendre l’enfant à une prétendue neutralité originelle, à un ensemble de possibles que la société dès la naissance, voire dès avant la naissance, lorsqu’à la faveur de l’échographie du troisième mois, le gynécologue  annonce  aux parents qu’ils attendent un garçon ou une fille, s’évertuerait à limiter.  Les jouets seraient donc les grands complices de ce processus d’assignation à une identité sexuée.  

L’industrie du jouet, expression du grand Capital,  est ici suspectée de se faire l’alliée d’un ordre inégalité, dominateur pour les femmes. Or, ce sont là des fantasmes :  l’économie, le capitalisme ne demande rien d’autres que de vendre et à une petite fille et à petite garçon une poussette, un baigneur  ou un camion. Ces troubles dans le genre sont une aubaine pour le marché, on l’a vu avec l’extension du mariage aux couples homosexuels, les Wedding planners dont l’activité s’essoufflait, se sont réjouis du vote de la loi Taubira.

A lire aussi : Guerre contre les jouets sexués : mais qui se préoccupe de la violence du contrôle social que subissent les garçons ?

Le rapport s'intitule "jouet : la première initiation à l'égalité".  Les jouets sexués ont-ils effectivement autant d'influence sur le développement des inégalités entre les filles et les garçons ?

« L’égalité commence avec les jouets », postule en effet le rapport. Non,  sur ce point, les adultes qui entourent l’enfant exercent une influence autrement décisive.  Or, aujourd’hui, les enfants voient leur père et leur mère se partageant à égalité, qu’on le veuille ou non,  entre leur  activité  professionnelle  et les tâches domestiques.

J’en veux pour preuve que les pères qui, aujourd’hui s’occupent toujours plus de leurs enfants, n’ont pas joué à la poupée, à la dînette, on ne leur a pas offert de poussette et pourtant, ils vont chercher les enfants à la crèche, leur donnent leur bain, les font dîner. Et à l’inverse,  les femmes que nous sommes, qui ne conçoivent pas de demeurer mères au foyer, dont l’ « épanouissement », selon le vocabulaire en vigueur, passe par une participation à la vie active ont joué, elles, avec ces jouets estampillés « sexistes ».

N'est-ce pas réducteur que de considérer la différence entre les filles et les garçons comme étant simplement sociale ?

Ce n’est pas seulement réducteur, c’est dangereux car rien ne nous autorise à trancher ainsi brutalement la question de l’inné et de l’acquis. Nul ne peut déterminer, avec assurance, où commence où finit la nature. La théorie du Genre prétend que la nature s’arrête à la différence anatomique et que tout le reste est culturel. Mais la persistance, à travers les siècles, de  certaines inclinations, de certaines dispositions selon que l’on naît dans un corps féminin ou dans un corps masculin, devrait nous inciter à davantage de prudence. La politique alors menée change de sens : il ne s’agit plus de réduire des inégalités, de travailler à davantage d’égalité mais de changer l’homme. On s’engage dans une entreprise d’ingénierie sociale contre laquelle les totalitarismes du XXe siècle auraient dû nous prémunir.

Les thuriféraires de ce partage sexué des jouets et des jeux ont pour seul argument que si les petites filles du XXIe siècle continuent à  jouer à la poupée, comme le faisaient déjà ses semblables de l’Egypte antique, ce n’est que par conditionnement social, mais si tel n’était pas le cas ? Si la poupée, par exemple, n’était pas sans lien avec cette réalité invincible, que des deux sexes, elle est celui qui donne la vie ? Jouer à la poupée pour nous qui sommes nées dans les années 1970, autrement dit, qui sommes parfaitement contemporaines de la naissance des mouvements féministes, ne nous pas conduit à conclure que notre destin était scellé par la nature. Nous avons pleinement profité des conquêtes féministes.  Nier le réel, ni le donné de l’existence, lequel s’articule parfaitement à la liberté,  ainsi que le philosophe Merleau-Ponty l’établit magnifiquement, c’est faire vivre les hommes dans un monde fantomatique.

En se focalisant sur les jouets sexués, le rapport fait-il l'amalgame entre l'identité sexuée et l'égalité ?

Oui, ou plus exactement entre l’identité sexuée et l’inégalité. La requalification de ce qui marque, exalte la différence des sexes, l’altérité en sexisme en est l’instrument. Il nous faut absolument faire l’effort de démêler cet écheveau de notions, la dissymétrie des sexes n’est pas synonyme d’inégalité et toute différence de traitement n’implique pas injustice, iniquité. 

Quels sont les risques à vouloir nier toute différence sexuée ?

Un des risques, et les Sénateurs feraient bien de se pencher sur cette question  autrement préoccupante, en niant obstinément la différence sexuée, en prétendant éduquer les enfants en dehors de tout code, de toute norme sexuée, on les abandonne pour le coup à l’industrie du jouet, à sa laideur, à son kitsch, à un imaginaire de pacotille. Ce point est capital, car s’il  est chose à laquelle les jouets contribuent, c’est bien à la formation du vocabulaire de la sensibilité des enfants, à leur le sens du beau. Mais cette cause n’a guère de lobby et pourtant, elles devraient nous mobiliser.

Certes, les sénateurs s’inquiètent de l’hypersexualisation offerte pour modèles aux petites filles, mais justement, ce n’est pas en niant qu’il existe chez la petite fille  « une propension naturelle à plaire », ainsi que le disait Rousseau, qu’on pourra faire contrepoids à ces figures dégradantes de la féminité. C’est au contraire, en postulant cette propension, et en formant son goût.

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