Ce qu’espère François Hollande en se désolidarisant de l'UE sur la politique russe<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande envisage la désescalade des sanctions contre la Russie, en fonction des progrès sur le plan diplomatique.
François Hollande envisage la désescalade des sanctions contre la Russie, en fonction des progrès sur le plan diplomatique.
©Reuters

Non-aligné

"La désescalade des sanctions dépendra de progrès que nous constaterons", a indiqué vendredi François Hollande à l'issue du sommet de l'Union européenne, durant lequel les sanctions déjà en place n'ont toutefois pas été levées.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : François Hollande a évoqué hier une "désescalade" des sanctions contre la Russie. Dans le même temps, l'Union européenne a maintenu sa position concernant la situation en Ukraine sans toutefois prévoir de renforcer les sanctions à l'égard de la Russie. La France n'est-elle pas en train de se désolidariser par rapport au reste de l'Union européenne sur le cas russe?

Florent Parmentier : En premier lieu, il faut observer que François Hollande a choisi de ne pas livrer les BPC Mistrals à la Russie – ce qu’une partie de la droite n’a pas voulu comprendre, de Henri Guaino au Front national, le nouvel allié de Vladimir Poutine. Il apparaît donc plus « dur » à l’égard de la Russie sur la scène nationale à ce sujet que bon nombre d’opposants, alors que les sanctions ont un coût pour la France, si l’on considère les ouvriers de Saint-Nazaire ou les producteurs de fruits qui font les frais des représailles de la Russie. François Hollande n’apparaît donc pas comme le plus « timoré » à l’égard de la Russie, un certain nombre de pays ayant une attitude plus compréhensive à l’égard de Moscou.

De ce point de vue, le fait qu’il questionne les sanctions ne paraît pas constituer une absurdité. Dans l’entourage du Président, on peut trouver quelqu’un comme Jacques Attali qui doute ouvertement de l’efficacité réelle des sanctions, qui n’ont pas de délimitation dans le temps et qui marginalise donc la Russie de manière indéfinie. De fait, si l’on attend des autorités russes qu’elles délaissent la Crimée, nous risquons d’attendre longtemps. Par conséquent, en l’absence de politique commune des Européens, qui sont pour certains rétifs à l’idée d’accroître les sanctions, il paraît normal de poser la question de leur effectivité, alors même que la France ne livre pas ses Mistrals, au risque de sa réputation sur le marché international de l’armement. Et, surtout, sur la manière de passer du constat de la défiance mutuelle dans les relations UE – Russie à la mise en place de mesures de rapprochement progressif entre deux partenaires naturels au vu de leur situation géographique.

La question de l’effectivité des sanctions au regard de leur coût n’interdit cependant pas de s’interroger sur le constat présidentiel, celui de la désescalade de la crise en Ukraine qui pourrait aboutir à une désescalade des sanctions. Le problème réside en effet dans le fait que la situation sur le terrain ne s’améliore pas vraiment, à tout le moins nous pouvons avoir des doutes sur la véracité de l’accalmie actuelle. La France, dans ses circonstances, peut prétendre reprendre l’initiative si elle tient compte de l’avis de ses partenaires : le fait d’avoir finalement décidé de ne pas livrer les Mistrals peut l’y aider. Dans le même temps, elle doit obligatoirement se montrer plus active en Ukraine si elle ne veut pas se marginaliser en Europe.

Comment entendre ce revirement de cap de François Hollande en matière de relations diplomatiques avec la Russie?

Florent Parmentier : Au XXe siècle, l’URSS a été une source d’interrogation pour la gauche française, que le modèle soviétique soit rejeté ou approuvé. En ce début de XXIe siècle, par sa référence aux valeurs conservatrices, la Russie fait plutôt figure d’objet d’interrogation pour la droite, des modérés à l’extrême-droite.

Néanmoins, la gauche n’est pas unanimement russophobe sur le plan politique. Certes, une partie de la gauche, des Verts aux atlantistes du PS, est radicalement opposée à la politique de Vladimir Poutine. En revanche, une partie de la gauche radicale – le Front de Gauche, qui a des positions similaires au parti grec Syriza – ainsi que la gauche républicaine, envisagent les choses différement. Cette dernière est notamment incarnée par Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial pour la Russie auprès du Président français. Si ce dernier n’a pu obtenir la livraison des Mistrals, il a certainement tenté d’infléchir la  position présidentielle en faveur d’une ligne plus favorable envers la Russie, à une période où Angela Merkel – elle-même originaire d’Allemagne de l’Est et russophone – se méfie de plus en plus de Vladimir Poutine, après plusieurs années de bonne entente.

Les relations entre François Hollande et Vladimir Poutine ont été marquées d’entrée de jeu par une défiance réciproque : la position française sur l’Iran ou la Syrie était strictement à l’opposé de la position russe. Là où la Russie soutenait le Président Bachar el Assad, la diplomatie française plaidait pour sa part pour une intervention armée. Nicolas Sarkozy était parti d’une position méfiante à l’égard de la Russie à une position plus conciliante après l’accord de cessez-le-feu en Géorgie en 2008, avant d’accepter de vendre les Mistrals à Moscou. François Hollande avait d’autant plus de raisons de se méfier de Vladimir Poutine que ce dernier semble plus favorable à un rapprochement avec une partie de la droite – François Fillon par exemple – et l’extrême-droite, le parti présidentiel russe « Russie Unie » s’étant rapproché du FN, en plus de son jumelage avec le FN.

Or, François Hollande fait aujourd’hui le pari suivant : à l’heure où personne ne sait où vont les sanctions, et où l’Allemagne a perdu son statut d’interlocuteur politique et économique de la Russie en Europe, il est peut-être temps pour la France de s’engouffrer dans la brèche, à condition de tenir compte de l’avis de ses partenaires européens. A ce titre, ce qu’on pourrait reprocher à François Hollande n’est pas de s’être rendu en Russie après son détour par le Kazakhstan, mais plutôt de maintenir la France dans une étrange absence en Ukraine – la dernière visite de Laurent Fabius remontant au mois de juin. Il reste à voir si ce pari de Hollande – retrouver une position d’interlocuteur naturel de la Russie en Europe, ce qu’a été la France sur la longue durée – peut être tenu sur la longueur, et recueillir une sorte d’assentiment d’un certain nombre de nos partenaires européens, notamment en Pologne.

Quelle a pu être la teneur de la visite improvisée de François Hollande à Vladimir Poutine au début du mois de décembre ?

Florent Parmentier : Cette visite était peut-être improvisée, il n’en demeure pas moins qu’elle était en tout cas tenue secrète jusqu’au dernier moment, et sans doute bien préparée. La thèse de l’improvisation n’est qu’à moitié convaincante, il n’en demeure pas moins que la rencontre était adroite pour une France dont on pouvait déplorer l’absence de réaction sur la crise ukrainienne.

Lors de cette rencontre, on peut estimer que plusieurs points ont pu être abordés, malgré la brièveté de la rencontre : les conditions d’une désescalade des tensions en Ukraine, puis entre l’Union européenne et la Russie ; les grand dossiers du Proche et Moyen-Orient, à savoir la situation de la Syrie et de l’Iran ; enfin, les relations bilatérales entre les deux pays, qui ne se résument pas aux BPC Mistrals, et qui méritent d’être développées une fois que les tensions entre l’UE et la Russie se seront quelque peu dissipées.

Sans divulguer de secret, on peut dire que cette rencontre répond à des motifs différents de part et d’autre ; Vladimir Poutine, qui n’a pas entamé de poursuite contre la France pour la non-livraison des Mistrals, entend montrer qu’il n’est pas aussi isolé que cela ; de son côté, François Hollande entend montrer qu’il peut reprendre l’initiative diplomatique à l’Est, à un moment où les Européens en ont besoin. Cependant, les résultats concrets de cette rencontre semblent être assez minces pour le moment. Pour être suivie d’effet, cette réunion doit être suivie de nombreuses autres et ne pas rester isolée.

Cette visite improvisée ainsi que ce nouveau positionnement permettraient-ils de relancer la question des Mistrals, dont la vente a été suspendue sine die par Paris en réaction à la situation en Ukraine?

Cyrille Bret : Une inflexion dans la posture stratégique française, conjuguée à une reprise de contact bilatérale dans le sillage de celle qu’on a vu à Moscou constituent deux conditions nécessaires mais non suffisantes de la livraison des Mistral.

Les entraves à lever concernent moins la qualité des contacts franco-russes que les relations de la France avec ses partenaires européens et américains. Vis-à-vis des autorités américaines, très vocales sur la question, la décision de la France est perçue comme un alignement sur la ligne de l’OTAN. Pour que la livraison ait lieu à terme, la France doit réunir une condition supplémentaire : reprendre une certaine autonomie stratégique vis-à-vis de l’allié américains qui peut être un hardliner à peu de frais envers la Russie. La deuxième condition à remplir est de travailler ses relations avec la Pologne au sein du triangle de Weimar : elle doit la convaincre que la qualité de la relation franco-russe n’affaiblit pas la solidarité de l’Union. En compléments, elle doit investir des champs diplomatiques où elle se fait peu entendre : dans les pays baltes et en Mitteleuropa. Un renforcement de la présence française assurerait nos partenaires que la France ne défend pas ses intérêts nationaux au détriment de la sécurité de ses partenaires de l’Union. Par exemple, le président Hollande devrait se déplacer à Varsovie, à Vilnius ou encore à Kiev. En somme, les conditions à remplir à l’échelon multilatérale son encore complexes.

Tant qu’on en reste à une relation bilatérale, des éléments structurels favorisent l’exécution du contrat entre DCNS et la Fédération de Russie : aucun des deux partenaires n’a un intérêt économique à l’annulation de la vente. Du côté français, le coût serait compris entre un et deux milliards d’euros ainsi que des risques de chômage sur les chantiers de Saint-Nazaire. Du côté russe, l’investissement nécessaire pour remplacer l’importation de technologies est considérable. D’un point de vue stratégique également, la livraison des BPC paraît nécessaire : la Russie y trouve un instrument idéal pour faire valoir ses intérêts dans son étranger proche en Mer noire, en Mer Baltique et dans l’Océan arctique. Du côté français, la non livraison consacrerait l’alignement sur les positions américaines et priverait ainsi la France d’une grande partie de son prestige sur la scène internationale. Autrement dit, la livraison des BPC d’ici 6 à 12 mois est une nécessité bilatérale et une difficultés multilatérales.

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