Pourquoi le FN est (relativement) imperméable aux scandales de Hayange ou d’ailleurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Le maire FN d’Hayange Fabien Engelmann a été condamné vendredi à un an d’inéligibilité par le tribunal de Strasbourg.
Le maire FN d’Hayange Fabien Engelmann a été condamné vendredi à un an d’inéligibilité par le tribunal de Strasbourg.
©info-halal.net

Cause toujours

Le maire FN d’Hayange Fabien Engelmann a été condamné vendredi à un an d’inéligibilité par le tribunal de Strasbourg pour des irrégularités observées dans ces comptes de campagne. Une affaire qui s'inscrit dans une longue série pour le parti frontiste, mais qui pour autant n'aura pas de conséquence sur l'adhésion des sympathisants.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Les électeurs du FN se préoccupent-ils de ce genre d’affaires ? Dans quelle mesure peut-on dire que les électeurs qui choisissent de voter FN ne s’intéressent pas à la qualité des candidats proposés par le parti, souvent novices en politique ?

Vincent Tournier : Je ne crois pas que les électeurs soient totalement insensibles à ce type d’informations. Par contre, il existe des moyens psychologiques de résister, de relativiser. Mais ce n’est pas propre aux électeurs frontistes : tous les électeurs, quel que soit leur parti, ont tendance à minorer les informations qui les dérangent. C’est même une caractéristique de la psychologie politique : lorsqu’une information vient contredire ce que vous défendez, vous avez tendance à l’écarter, au moins jusqu’à un certain point.

Dans le cas particulier de Fabien Engelmann, il faut ajouter un problème de crédibilité de la justice. Si l’on en croit les informations qui sont rapportées par la presse, le compte de campagne a été invalidé parce que le candidat n’avait pas déclaré 1.500 euros sur un budget de 12.000 euros. C’est évidemment une faute. Mais faut-il aller jusqu’à parler d’un "manquement d’une particulière gravité" comme le fait le tribunal ? Les termes utilisés ne paraitraient pas disproportionnés si les autres partis étaient exemplaires. Or, l’idée selon laquelle tous les partis ont contourné la loi pour assurer leur financement est très ancrée dans l’opinion publique. Donc, ce n’est pas là-dessus que les électeurs évaluent les candidats.

Le risque est même que cette condamnation renforce les électeurs dans le sentiment que la justice n’est pas juste, qu’elle condamne lourdement certains. L’effet politique peut donc être contre-productif, surtout pour des électeurs qui pensent que la justice est trop laxiste face à la criminalité et qui rejettent massivement les partis traditionnels, qu’ils accusent de corruption.

De la même manière, pourquoi la pertinence et la faisabilité des propositions du parti ne sont pas la préoccupation majeure des électeurs du FN ?

Le vote FN est en grande partie un vote d’exaspération. C’est un vote anti-système, un vote d’opposition, de défiance. Cela dit, il ne faut pas en conclure que les électeurs du FN votent sans connaître les propositions de ce parti. En tout cas, ni plus ni moins que les autres électeurs. Tous les électeurs font globalement la même chose. La grande masse des électeurs qui choisissent les partis de gouvernement le font d’abord parce qu’ils font globalement confiance, sans être toujours en mesure de bien comprendre les tenants et aboutissants de leurs propositions. Les électeurs FN font l’inverse : ils n’ont plus confiance dans les partis traditionnels, donc ils votent pour celui qui s’oppose, même si celui-ci n’est pas un sain ou que son programme n’est pas toujours très clair.

Qu’est-ce que les électeurs du FN valorisent finalement ?

L’électorat frontiste n’est pas homogène, ce n’est pas un bloc. Comme dans tous les électorats, il y a donc des attentes différentes, des motivations différentes. La composante raciste et fasciste existe évidemment, mais elle n’épuise pas le phénomène. Le FN a eu du succès parce qu’il a su aller au-delà des traditionnels groupuscules extrémistes pour gagner de nouveaux électeurs, peu politisés, désorientés par les transformations brutales de la société française à partir des années 1970.

Je crois aussi qu’il ne faut pas négliger le renforcement des convictions par le sentiment que le FN a fait l’objet d’un traitement spécial. Dès les années 1980, il était clair que la mobilisation contre lui était sans équivalent. Même le PCF n’a jamais eu droit à un tel déluge de condamnation morale. Le FN a été soumis à une exigence et une critique qui ne se retrouvent chez aucun autre parti.

Cette hypercritique politique et médiatique a eu pour effet d’empêcher la progression du FN. Mais elle a aussi radicalisé les électeurs. Et aujourd’hui, cette hypercritique devient contre-productive parce qu’elle donne le sentiment de ne pas être juste. C’est le cas pour les affaires de financement : a-t-on vraiment l’impression que les médias se déchaînent aujourd’hui contre le gouvernement en place, alors que le nombre de ministres démissionnaires ou suspectés par la justice grossi pratiquement chaque semaine ?

Je prendrai un autre exemple, autrement plus sérieux : la question de l’antisémitisme. Quand on se souvient des polémiques qui sont tombées sur Jean-Marie Le Pen lorsque celui-ci faisait ses sorties sur les juifs ou la Shoah, on a du mal à comprendre pourquoi les violences actuelles contre les juifs, qui se situent à un niveau autrement plus grave, ne provoquent pas des réactions comparables. Où sont passés les manifestants de l’affaire Carpentras et les indignés du "détail" ?

Le traitement accordé à l’islam contribue aussi à l’impression qu’il y a deux poids deux mesures. Pourquoi les associations musulmanes ne sont-elles pas sommées de rendre des comptes lorsque leurs fidèles partent faire le djihad ? Comment réagiraient les médias si une situation équivalente se produisait avec les militants d’extrême droite, qui partiraient par exemple soutenir les indépendantistes ukrainiens ? Pourquoi la moindre mauvaise pensée sur l’islam est-elle systématiquement pourchassée et dénoncée, alors qu’une grande partie du monde est à feu et à sang à cause de l’islam ?

Pourquoi le côté "anti-système" vanté par les responsables politiques frontistes séduira encore à l’avenir des déçus de la politique malgré les possibles révélations de nouvelles affaires, alors que la Justice s’intéresse au micro-parti de Marine Le Pen intitulé "Jeanne" ?

On verra ce que dira la justice, mais pour l’instant, aucune des conditions qui ont fait émerger le Front national n’a été modifiée. Au fond, on peut dire que le FN est le produit de trois grands facteurs conjugués : l’immigration, l’insécurité et la crise de confiance dans les partis de gouvernement. Aucun de ces facteurs n’a fondamentalement changé, aucun des curseurs n’a bougé. Les difficultés économiques ont même aggravé les choses car elles amplifient les difficultés sociales et le ressentiment, et confortent le sentiment d’abandon.

Cela dit, plus encore que le vote en faveur du FN, il me semble que le principal risque actuel est plutôt celui de la désertification des urnes. Il faut bien voir que, pour beaucoup de déçus du système, le vote FN ne changera rien car ils pensent que personne ne pourra les aider ou changer le cours des choses. Mais pour d’autres, voter FN reste difficile car ils ont bien conscience qu’il s’agit d’un parti différent, et même problématique par bien des aspects. A rebours du dénigrement qui est généralement de rigueur face aux Français, on devrait donc se féliciter du relatif civisme des électeurs. Finalement, malgré tout ce qu’on leur fait avaler, ils préfèrent s’abstenir plutôt que franchir le pas. Contrairement à ce que l’on dit, la norme anti-raciste s’avère finalement assez présente en France, ce qui est confirmé par les enquêtes. 

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