Pourquoi l’économie russe n’entraînerait pas grand monde dans sa chute<!-- --> | Atlantico.fr
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Un marin russe.
Un marin russe.
©Reuters

Tout seul

Grand pays au plan géographique, puissant en termes militaires, le géant russe devrait être le premier à pâtir de la baisse historique du rouble. Une récession russe qui devrait avoir un impact contrasté selon les pays, mais engendre une repolarisation du monde entre d'une part Russie et pays émergents, et d'autre part Union Européenne et Etats-Unis.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Chute de 30% du rouble, fuite des capitaux, baisse du prix du pétrole… Où s'arrêtera la crise russe ? 

Michael Lambert : L’économie russe a toujours été fragile en raison du manque de diversification. Celle-ci repose quasi-exclusivement sur les hydrocarbures (essentiellement le gaz) et sur l’industrie de l’armement. Ainsi, la Russie n’a jamais réussi à s’imposer aux yeux du monde comme un grand pays industriel, ni même dans les secteurs financier et informatique. Ce manque de diversification des actifs, auquel se combine la mauvaise répartition des richesses dans la société russe et le manque d’intérêt pour l’Université, fait de la Russie un pays qui n’est plus compétitif vis-à-vis des pays asiatiques, notamment la Chine, et qui peine à trouver sa place. La chute du rouble est naturellement liée à la baisse des prix du pétrole, mais aussi au fait que la Russie n’arrive plus à attirer autant qu’avant les investisseurs. Si, depuis la chute de l’Union soviétique, certains pays comme l’Estonie et la Pologne s’affichent comme des leaders en ce qui concerne la bonne gestion budgétaire, la Russie pour sa part n’arrive pas à faire de même, notamment en raison de la corruption de ses élites.

On imagine mal où s’arrêtera la "crise russe", il serait d’ailleurs plus cohérent de parler de "remise en place" de la Russie à l’échelle internationale. La Russie n’a clairement pas la capacité de rivaliser avec les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine. Elle se retrouve en position secondaire et cela explique le lancement du projet d’Union eurasiatique en 2015 pour tenter de sauver le peu de ce qui lui reste comme influence en Asie centrale et en Europe continentale. A l’image de la Première Guerre mondiale, tout le monde pensait que la Russie était une grande puissance, ce qui n’était pas le cas, les investisseurs se rendent compte aujourd’hui que la Russie n’est pas un placement cohérent par rapport à d’autres.

Eric Dor. La crise pourrait bientôt augmenter en intensité avec une vague de défauts des entreprises russes sur leurs emprunts en devises étrangères. Beaucoup d'entreprises russes se sont endettées en dollars alors que leurs recettes sont essentiellement en roubles. Une dépréciation du rouble implique alors une réduction de la valeur en dollars de leurs recettes. Leur capacité de rembourser leur dette en dollars et payer les intérêts de celle-ci est donc fortement diminuée. Avec une dette extérieure brute de quelques 600 milliards de dollars, les entreprises russes sont extrêmement fragilisées par la chute du rouble. A cela s'ajoutent les emprunts en dollars que les filiales offshore de certaines entreprises russes ont contractés, qu'elles ont ensuite convertis en roubles et investis dans ces entreprises faîtières de telle manière qu'elles apparaissent comme des investissements directs plutôt que des emprunts, ce qu'ils sont en réalité. Les emprunts réels en dollars des entreprises russes sont donc certainement supérieurs aux statistiques officielles. Certaines de ces entreprises russes vont éprouver de sérieuses difficultés à assurer le service de leur dette en dollars. Il est déjà clair pour certaines entreprises russes, comme de gros opérateurs en télécommunications, qu'elles ont absolument besoin d'emprunter de nouvelles ressources en dollars pour pouvoir assurer le service de leur dette. Or il devient extrêmement difficile pour elles d'obtenir de nouveaux prêts en dollars, tellement la méfiance à leur égard s'est installée. Pour celles qui peuvent encore emprunter en dollars, les taux d'intérêts exigés par les prêteurs sont très élevés.

La Russie est également menacée d'un rationnement du crédit. Les banques étrangères ont déjà réduit fortement leur exposition à la Russie en 2014, avec par exemple une baisse de 14% des nouveaux crédits syndiqués à des débiteurs de ce pays. Pour certaines banques américaines, c'est carrément d'une diminution du stock de crédits existants sur la Russie qu'il s'agit. Les analystes prévoient que les banques étrangères vont continuer à désinvestir de l'économie russe.

Au cas où le prix du pétrole resterait à son niveau déprimé de 60 dollars le baril, le produit intérieur brut pourrait baisser de 5% en Russie l'année prochaine. 

Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement pour redresser la situation?

Michael Lambert : En ce qui concerne le gouvernement, on imagine mal comment celui-ci pourrait inverser la tendance dans la mesure où les élites russes n’ont, ni les compétences intellectuelles, ni les infrastructures pour rivaliser avec les occidentaux et les asiatiques. Ce constat est pessimiste, mais tout gouvernement doit payer pour sa mauvaise gestion et pour le manque de qualité de ses élites. La Russie est loin d’être un cas isolé, c’est ce qui fait qu’un pays peut aller de l’avant et c’est ce qui explique le succès des Etats nordiques, de l’Allemagne ou de la Pologne qui misent sur l’éducation, la lutte contre la corruption et la diversification, là où les Russes n’ont pas conscience qu’il ne suffit pas de dire que l’on est un grand pays (une civilisation dans le cas des discours russes) pour en être un.

Eric Dor. La crise russe est due essentiellement à la baisse du prix du pétrole brut, indépendamment des sanctions occidentales. Les ventes de pétrole représentent en effet une grande partie des ressources globales du pays, qui est très dépendant des importations pour assurer son approvisionnement en biens de consommation et d'investissements. La baisse du prix du pétrole, de presque 50% depuis juin, s'explique partiellement par le ralentissement de la demande de brut, suite la moindre croissance des pays émergents dont la Chine, à la stagnation économique en zone euro, et au retour de la récession au Japon. Elle s'explique également par une hausse de l'offre de pétrole par des pays hors OPEP. La baisse du prix est largement amplifiée par des mouvements spéculatifs qui parient sur une forte diminution additionnelle, qu'ils contribuent évidemment à provoquer. La Russie a peu de leviers à actionner pour enrayer la chute des prix du pétrole. C'est plutôt d'autres pays qui ont les clefs. Une forte réduction du plafond de production de l'OPEP pourrait changer le sentiment des marchés, de même qu'une politique de relance en zone euro. Mais l'OPEP se refuse à agir jusqu'à présent, affirmant que la surproduction est due à d'autres pays. On peut même soupçonner qu'une chute des prix en dessous du niveau de rentabilité des producteurs de gaz de schiste peut l'arranger, pour réduire cette concurrence. Quant à la relance de l'économie de la zone euro, ses perspectives semblent lointaines.

Du côté des autorités monétaires russes, la banque centrale a privilégié l'outil de la hausse des taux d'intérêt pour essayer d'enrayer la chute du rouble. Normalement une telle hausse des taux est censée attirer des capitaux étrangers, et donc provoquer des achats de roubles qui feraient remonter son cours. En principe, cette augmentation des taux doit également rendre plus onéreuses et risquées les techniques de spéculation usuelles. Celles-ci visent en effet à emprunter des masses de roubles pour les revendre ensuite contre dollars, provoquant ainsi une baisse du cours de la devise russe. Cette stratégie est menée dans l'espoir que cette diminution sera suffisante pour que, lorsqu'il faudra racheter les roubles pour rembourser l'emprunt, cela coûtera moins de dollars que ceux initialement obtenus, et que le gain sera suffisant pour dépasser la somme des intérêts à payer.

La banque centrale russe peut également vendre des devises étrangères et acheter du rouble, pour essayer d'enrayer la chute du cours de celui-ci. Elle l'a en réalité déjà fait à plusieurs reprises cette année, sans grand succès. Cette stratégie est coûteuse. Les réserves extérieures de la banque centrale russe ont déjà diminué de 100 milliards de dollars cette année. Elles restent encore très élevées, à 400 milliards de dollars, mais les autorités vont être réticentes à les gaspiller dans des tentatives de soutien du cours du rouble au succès incertain.

La banque centrale russe et le gouvernement pourraient donc bientôt instaurer des contrôles des mouvements de capitaux.

Où se trouvent les plus importants risques de contagion au niveau mondial? Les pays émergents sont-ils les plus exposés?

Michael Lambert : Au risque de paraître optimiste, il m’est difficile d’imaginer que la crise économique en Russie puisse avoir un impact mondial fort. Les Etats-Unis n’ont pas d’investissements conséquents en Russie, en tout cas bien moindres qu’en Union européenne et en Asie. Les asiatiques n’ont pas véritablement à craindre de la perte de la puissance russe et la Chine semble la seule à jouer un rôle désormais. Pour ce qui est de l’Union européenne, il est vrai que certains pays comme l’Allemagne et les pays Baltes ont des investissements en Russie, mais ils sont bien plus faibles qu’en Asie et sur le continent américain. Pour résumer, la crise russe n’est pas favorable, mais n’aura pas de conséquences dramatiques dans un monde où la Chine et l’ASEAN ont toute l’attention des occidentaux.

Il ne faut pas oublier que le schéma n’est plus aujourd’hui celui de la Chine qui dépend de la Russie, mais l’inverse. La Russie est désormais dépendante de Beijing pour ses exportations en gaz, il en est de même pour l’armement où les Chinois développent des équipements en partenariat avec les Russes. Mais, on peut facilement concevoir le fait que la Chine n’ait plus besoin de la Russie pour son industrie militaire qui est devenue compétitive vis-à-vis de certaines Etats occidentaux. La Russie ne peut pas influencer l’Asie et aucun risque n’est à craindre sur ce plan-là. Si la Russie est impressionnante de par sa taille, il ne faut pas oublier que celle-ci ne représente que 145 millions d’habitants, ce qui en fait un pays de taille modeste et pauvre si on la compare aux occidentaux, mais aussi à certains Etats d’Asie. Un exemple frappant est la réticence des pays d’Asie centrale à intégrer l’Union eurasiatique du Président Vladimir Poutine car la Chine est devenue en moins d’une vingtaine d’années plus importante que la Russie.

Eric Dor.Ce sont les devises des pays émergents qui sont principalement victimes d'une aversion au risque accrue de la part des investisseurs, directement induite par la chute du rouble. Curieusement, ce phénomène de propagation de la méfiance, du rouble vers d'autres devises, concerne également les monnaies de pays dont l'économie va bénéficier de la baisse des prix du pétrole, comme la Turquie, l'Inde ou l'Afrique du Sud. Il faut dire que ces événements se produisent alors que les marchés sont déjà nerveux à l'égard des pays émergents. Les perspectives d'augmentation des taux par la Fed induisent des craintes de nouvelles fuites de capitaux hors des pays émergents. Il y a également des craintes de dégradation de la notation de la dette publique de certains pays émergents très endettés. Les monnaies de pays émergents à l'économie robuste comme la Corée et la Pologne échappent toutefois à la tendance générale et se renforcent.

La baisse des prix du pétrole va également induire une forte récession économique chez tous les pays pour qui la vente de brut représente une grande partie de la production nationale.

Quelles peuvent être les conséquences de la crise russe sur l'économie européenne? Peut-elle engendrer une crise au niveau européen?

Michael Lambert : Aucun risque n’est à craindre. Il y a naturellement des exportations européennes vers la Russie et une dépendance vis-à-vis du gaz russe, mais les exportations européennes se concentrent de plus en plus sur l’Asie, la Russie n’étant pas un marché important, exception faite de certains secteurs comme la bijouterie et la finance. L’Allemagne devrait facilement se remettre de la crise russe et il en est de même pour les pays Baltes qui ont une politique économique de plus en plus pro-européenne. Les pays qui souffriront le plus de la situation seront ceux du Partenariat Oriental ou les alliés de la Russie (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Arménie), d’autant plus car ils ne sont pas membres de l’Union européenne et se retrouvent en position de faiblesse.

Eric Dor.La récession va obliger la Russie à importer moins, ce qui va affecter d'autres pays. Les ventes à la Russie représentent 2,61% des exportations des pays de l'Union Européenne, et 2,48% de ceux de la zone euro. Ceux-ci ne vont donc être que modérément affectés. Mais certains pays européens ont bien sûr une exposition supérieure à la moyenne. Les pays baltes sont particulièrement exposés. Les ventes à la Russie représentent 19,84% des exportations de la Lituanie, 16,15% de celles de la Lettonie et 11,5% de celles de l'Estonie. Les ventes à la Russie représentent également 9,56% des exportations de la Finlande et 5,26% de celles de la Pologne.

La part de la Russie dans les exportations françaises se limite à 1,77%. Mais les pays moins concernés vont quand même être affectés indirectement par la baisse des importations de ceux de leurs partenaires européens qui sont très exposés à la Russie. La récession russe peut donc aggraver légèrement la stagnation de l'économie de la zone euro. La chute des prix du pétrole va également aggraver les tendances déflationnistes en zone euro. Toutefois l'effet total est incertain car la baisse des prix du pétrole brut peut augmenter le pouvoir d'achat des ménages, améliorer la rentabilité des entreprises, et contribuer à la relance de l'activité en zone euro. 

L'Allemagne n'est-elle pas particulièrement exposée à la situation russe ? Angela Merkel avait expliqué que les sanctions européennes prises à l'encontre de la Russie cet été n'allaient pas être sans conséquence pour le pays. Qu'en a-t-il été finalement ?

Michael Lambert : L’Allemagne dispose d’investissements en Russie et la diaspora russe qui réside dans les grandes villes est importante. Il est évident que l’affaiblissement de l’économie russe aura des conséquences sur les exportations, le niveau de vie des résidents russes et le tourisme. Malgré cela, l’économie allemande semble apte à compenser ces pertes en réorientant les exportations et en adaptant sa politique dans les mois à venir. C’est l’occasion de recentrer l’attention allemande sur les partenaires européens, ce qui ne serait pas incohérent si l’on regarde la situation économique en Europe et permettrait de montrer l’importance pour Berlin d’avoir un marché plus stable que ne l’est la Russie ; il est bien sur question ici de celui de l’Union européenne.

Les embargos ont des conséquences en Allemagne, mais il ne faut pas oublier que le premier partenaire économique de l’Allemagne est encore une fois la Chine et ensuite les Français et autres pays d’Europe et les Etats-Unis. La Russie n’a donc pas l’importance des autres pays, ce qui est révélateur de la véritable position de Moscou dans le monde, celle d’une puissance militaire mais, économiquement, à la traîne. 

Si l'Allemagne est touchée, quelles conséquences sur les pays partenaires comme la Pologne par exemple ? Quelle réaction en chaîne au niveau de l'Europe?

Michael Lambert : Si l’Allemagne devait véritablement être touchée de manière critique (ce qui est improbable), le gouvernement allemand devrait revenir sur ses grands projets d’avenir qui sont actuellement trop coûteux : on pense ici à la transition énergétique. Il est certain que la Pologne dépend de l’Allemagne, tout comme les pays limitrophes, dont la France, mais la Russie n’a jamais eu sur le plan historique la capacité de déstabiliser l’Europe. Encore une fois, la Russie ne représente que 145 millions d’habitants, ce qui en fait une puissance démographique trop faible pour influencer les marchés européen, américain et asiatique. L’Allemagne a une dette acceptable par rapport aux critères de l’Union européenne, des prévisions qui sont bonnes, une population instruite, un chômage bas, on imagine donc mal comment la Russie pourrait influencer la première économie européenne, tout comme la Pologne qui sont des pays qui doivent leur performance à la qualité de leurs élites et qui misent sur le système d’enseignement, c’est-à-dire sur les ressources humaines. Les investisseurs feront rapidement la différence entre la Russie qui est un pays isolé avec des défauts structurels et l’Allemagne qui est membre de la zone euro et un leader industriel en Europe depuis plus de deux siècles.  

Eric Dor.La part des ventes à la Russie dans les exportations allemandes s'élève à 3,27%. L'Allemagne est donc exposée à la récession russe. Bien évidemment un ralentissement de l'économie allemande aggravé par la crise russe va peser sur ses importations en provenance de ses principaux partenaires commerciaux. Or 65% des importations allemandes proviennent d'autres pays de l'Union Européenne. Les pays très concernés sont les Pays Bas avec une part de 9,9% des importations allemandes, et la France avec une part de 7%. De manière générale l'activité européenne est très sensible à une réduction des importations allemandes et la crise s'amplifierait par le biais de réductions induites des importations de certaines économies nationales, alors qu'elles sont les exportations des autres.

Quel sera l'impact de cette crise russe à un niveau plus politique?

Michael Lambert : Ce dernier point est le plus contraignant. Depuis la crise en Ukraine, la Russie s’est retournée vers la Chine pour son économie et ses exportations. On est donc en présence d’un pays qui s’intéresse de moins en moins à l’Union européenne et s’en détache pour se replier sur l’Union eurasiatique et se tourner vers l’Asie. Par contraste, l’Union européenne, qui était entre Washington et Moscou, se retrouve progressivement orientée exclusivement vers les Etats-Unis. On assiste donc à la naissance de deux nouveaux pôles d’attraction : "l’Eurasie-Asie" et "l’Amérique-Europe",  ce qui n’est pas favorable, ni pour les Russes, ni pour les Européens.

Les Russes, qui se coupent progressivement de l’Europe, vont se retrouver à faire des concessions de plus en plus conséquentes avec la Chine et à abandonner les valeurs occidentales balbutiantes comme la liberté de la presse et la démocratie "à l’occidentale". Cela fait que la population russe sera la première à souffrir socialement de cette mise à distance.

Parallèlement, les Européens devront se tourner vers les Etats-Unis et se rapprocher d’eux car ils seront la puissance dominante sur le plan économique et politique, la Russie étant totalement mise à part. Il est donc probable que l’Union européenne se retrouvera à devoir adopter une ligne pro-américaine avec ce que cela implique, c’est-à-dire un respect des normes écologiques plus faible et l’ingérence des grandes entreprises américaines. Un exemple flagrant est à ce jour le projet de partenariat transatlantique, qui est bénéfique sur un plan macroéconomique, mais qui n’est pas favorable à l’autonomie de l’Union européenne sur le plan des entreprises. Il n’est pas ici question de s’opposer au rapprochement avec les Etats-Unis, mais seulement de bien mesurer le fait que les Américains ont un regard ambivalent sur l’Europe, à la fois compétitrice et amie de longue date. L’absence de la Russie amènera le souhait d’autonomie de l’Europe à se réduire de plus en plus et les Etats-Unis à jouer un rôle prépondérant, ce qui n’est pas mal, mais c’est un facteur à prendre en compte pour ceux qui souhaitent voir émerger une Europe qui n’est pas uniquement une puissance économique, mais aussi une puissance diplomatique.

Pour synthétiser, l’Europe-Amérique se retrouvera face à la Russie-Chine qui seront les deux grands ensembles. Reste à savoir si ces derniers développeront des relations amicales ou de compétition néfastes dans les dizaines d’années à venir. En tout cas, le divorce Europe-Russie n’est pas une nouveauté, les deux civilisations se sont toujours inspirées l’une de l’autre, mais sans jamais parvenir à un accord. C’est la raison de l’isolement de l’Empire russe au XIXème siècle, puis de celui de l’Union soviétique un siècle après et, aujourd’hui, de la rupture qui s’opère lentement mais sûrement.

Eric Dor. Ce sont avant tout les sanctions qui poussent la Russie à se rapprocher des pays émergents comme la Chine et s'éloigner de l'Europe. Le rôle de la baisse des prix pétroliers et de la chute du rouble qui s'en suit est ambigu à cet égard. D'un côté la volatilité des devises des pays émergents comme la Russie à l'égard du dollar peut les conduire à accélérer leurs tentatives d'établissement de nouvelles formes de coopération monétaire entre eux. C'est le projet nouvel ordre monétaire international avec un bloc émergent moins dépendant du dollar comme devise de réserve internationale. D'un autre côté la récession en Russie peut réduire la popularité interne du gouvernement russe et son aptitude politique à se distancer du bloc occidental. Fragilisée, l'économie russe n'a sûrement pas besoin d'une nouvelle dégradation de ses échanges avec les pays occidentaux pour des raisons politiques Cela pourrait plaider pour un revirement de la politique russe dans le sens de l'apaisement des tensions avec l'Union Européenne. La zone euro, empêtrée dans une stagnation longue, a également intérêt à une normalisation de ses relations politiques avec la Russie. De toute manière, à long terme, les réserves énergétiques de la Russie seront pour elle une source de prospérité économique.

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