Education prioritaire : et pour ceux qui ont déjà décroché du système scolaire, on fait quoi ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Najat Vallaud-Belkacem a dévoilé ce mercredi 17 décembre la nouvelle carte des réseaux d'éducation prioritaire.
Najat Vallaud-Belkacem a dévoilé ce mercredi 17 décembre la nouvelle carte des réseaux d'éducation prioritaire.
©Pixabay

Bouée de sauvetage

Si le nouveau découpage des réseaux d'éducation prioritaire devrait permettre de mieux lutter contre les inégalités, les décrocheurs estimés à 150 000 en France échappent à ces dispositifs. Reste les alternatives comme les écoles de la 2e chance qui demeurent néanmoins inégalement réparties sur le territoire.

Google et Yahoo, internet

Camille Bedin

Camille Bedin est conseillère départementale des Hauts-de-Seine, canton Nanterre-Suresnes, et secrétaire nationale, membre du bureau exécutif des Républicains.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem a dévoilé ce mercredi 17 décembre la nouvelle carte des réseaux d'éducation prioritaire. Si cette réforme applicable dès 2015 pourra être bénéfique à de nombreux élèves, quelles sont les alternatives pour ceux ayant déjà quitté le système scolaire sans diplôme ?

Camille Bedin :Les décrocheurs constituent un public extrêmement hétérogène et difficile parce que, par définition, ils sont sortis du système. Plusieurs possibilités s'offrent à eux : les programmes d'insertion et de préparation à l'emploi dans les missions locales, les écoles de la 2ème chance, les micro lycées, les établissements publics d'insertion de la Défense, les dispositifs relais. J'aimerais insister sur une possibilité que nous devrions tous encourager : l'entrepreneuriat, notamment dans l'innovation technologique ou dans les nouveaux commerces et services sur Internet. Par exemple, dès le plus jeune âge à l'école, par des "cours d'entrepreunariat" peuvent être dispensés ou plutôt de création d'un projet autour d'un petit budget. Il faut encourager l'envie de créer avec un budget et par l'intervention d'entrepreneurs dans les établissements dès le plus jeune âge. Ce qui est important est de leur montrer qu’ils peuvent le faire. Souvent, les freins relèvent de barrières mentales que possèdent certains enfants issus de quartier et/ou de milieux sociaux défavorisés. Il s'agit de leur montrer que c'est possible à travers l'expérience de personnes issues du même milieu social.

Les décrocheurs sont ceux qui sont sortis du système scolaire, on estime que 150 000 personnes sortent de l'enseignement sans diplôme. Et on passe forcément à côté de beaucoup d'entre-eux, même si nous disposons d'un maillage qui permet le plus généralement de les identifier, et notamment grâce aux mairies et des missions locales. On peut essayer de rattraper les décrocheurs mais le problème intervient en amont et nécessite des réformes structurelles de l'éducation. 

PIerre Duriot : La difficulté scolaire est très prise en compte, trop même, aux dires de certains qui expliquent que la structure ne se préoccupe que d'eux, il y a du vrai. Mais un enfant qui apprend bien n'a pas vraiment besoin de pédagogie particulière. Justement, la pédagogie particulière est celle de la difficulté scolaire, souvent dispensée par des maîtres spécialisés diplômés et plutôt bien formés avec un complément d'études qui intervient après des années de pratique. Mais ces maîtres sont en nombre insuffisants, sont même très inégalement répartis sur l'ensemble du territoire. Des départements en sont même totalement dépourvus au profit d'autres dispositifs. Au choix, il peut y avoir plus de maîtres que de classes, des séances en petits effectifs, en primaire, des écoles de la seconde chance. Des structures périscolaires, gérées conjointement par les directions académiques, les Maisons du handicap, le milieu hospitalier, gèrent la difficulté scolaire liée à des maladies, des handicaps, des affections particulières,les CAMSP et CMPP entre autres.

En milieu scolaire pur, des structures comme les classes spécialisées en primaire (CLIS) et en collège (ULIS, SEGPA), accueillent les élèves en grande difficulté ou entrant dans le champ du handicap. Enfin, des structures privées, comme les orthophonistes, les psychologues, les psychomotriciens entrent en ligne de compte dans le traitement de la difficulté chez l'enfant. Pour l'élève ordinaire, la pédagogie différenciée, celle qui consiste à adapter la progression à chaque élève est sensée être opérante.

Ceux qui sont sortis du système scolaire sans diplôme, 130 000 à 140 000 par an sont assez difficiles à suivre. Il existe de très nombreuses structures prenant en charge des formations pour les adultes, telles que l'AFPA (Formations adultes), le CNAM (Conservatoire des arts et métiers), les Centre de formation d'apprentis, des initiatives de milieux professionnels qui forment eux-mêmes leurs salariés, des écoles locales nées de collaborations entre chambres consulaires CCI et assemblées territoriales...
En fait le système bute souvent sur la nature même de l'élève et de son entourage. La misère sociale, affective, le dénuement, le refus de l'école, des dispositions affectives complexes, sont des paramètres difficiles à prendre en compte dans une scolarité et l'école hérite de l'ensemble des maux de la société sans pouvoir les gérer seule. En fait, l'école fait partie d'un ensemble de leviers sur lesquels agir pour solutionner nos maux sociaux et vouloir agir sur le seul levier de l'école ne solutionne pas grand chose.

Xavier Niel, à la tête de Free, a créé en mars 2013 l'école 42 dont l'objectif est de former gratuitement des "génies de l'informatique", sans exiger de diplôme à l'entrée et sans en délivrer à la sortie. Quelles sont les autres alternatives de ce type en France ? 

Camille Bedin : Il y en a hélas peu. Elles existent surtout dans le domaine des arts ou des disciplines moins "traditionnelles", comme l'Ecole de la Cité (du cinéma) fondée par Luc Besson. En revanche, il existe beaucoup de programmes et d'associations qui tentent de booster la créativité (cours de programmation informatique, par exemple).

Pierre Duriot :  Ce type d'initiative a surtout un effet de loupe, permet de laisser penser que l'exception peut devenir la règle et que l'élite peut se confondre avec la masse. Cela reste pourtant exceptionnel. Au-delà de cette initiative, de ces initiatives, très louables, mises en exergue dans la presse, il faut une bonne dose de réalisme. Chez Xavier Niel, on sélectionne par la motivation, on vise l'excellence, on ne s'embête pas avec des éléments perturbateurs… cela fonctionne à la manière d'une écurie de course : la performance ou rien. L'enseignement public n'a pas les mêmes objectifs, il vise l'acquisition d'un niveau minimum, le plus élevé possible, chez un maximum de jeunes et il est obligatoire c'est à dire qu'il a le devoir de scolariser le tout venant pour lui donner à la fois un niveau scolaire mais aussi une capacité minimum à vivre en société : ce n'est pas la même mission.

Quels sont les ressorts du succès de ces méthodes ?

Camille Bedin Elles contournent les cursus traditionnels fondés sur l'excellence disciplinaire en classe. Elles mettent en avant la créativité, l'imagination, l'inventivité, la curiosité. Le fait de ne pas être bon ou très bon en classe n'est pas un problème. Et c'est très bien que ces parcours existent ! Tout comme les métiers plus manuels, il ne doit pas y avoir une seule voie d'excellence en France, qui serait celle de l'université ou des grandes écoles.

Pierre Duriot :  Ce sont ceux de l'excellence, toujours les mêmes, ils sont parfaitement connus : motivation, travail, discipline… au risque de passer pour ringard, si ce n'est pire !

Ce genre d'initiatives se prêtent-elles à tous les domaines ?

Camille Bedin Non, je ne crois pas. En revanche, toutes les voies d'excellence gagneraient à accueillir des talents différents des qualités traditionnellement requises.

Pierre Duriot :  Si les trois conditions évoquées à la question précédente sont réunies, bien sûr. Chaque corps de métiers a ses valeurs, son élite, ses meilleurs pédagogues et sa capacité à se renouveler. En la matière, des initiatives locales, des personnes emblématiques, sont aux manettes, mais encore une fois, il faut bien distinguer les missions de masse des missions spécialisées. Elles sont complémentaires bien sûr mais ne doivent pas faire croire que l'exception peut devenir la règle.

Quel est le bilan que l'on peut en dresser auprès des jeunes en situation d'échec scolaire ? Ces initiatives permettent-elles de les réinsérer ?

Camille Bedin : Je n'ai pas les chiffres qui me permettent de donner le bilan exact des dispositifs d'insertion. En revanche, pour avoir fondé il y a plusieurs années deux associations qui aident les jeunes de ZEP à intégrer des grandes écoles, je peux dire une chose : nos formations universitaires ou de grandes écoles passent à côté d'énormément de talents, d'ingéniosité et d'envie, en cantonnant les concours sélectifs à l'excellence scolaire. Il ne faut pas les dévaloriser : il est très important de conserver aussi une élite plus intellectuelle, à une seule condition, celle de s'ouvrir à la diversité sociale et elle doit laisser un peu de place à d'autres formations, moins traditionnelles, mais tout aussi élitistes, dans l'art, l'innovation technologique ou l'artisanat !

Pierre Duriot :  Un bilan global des jeunes en état d'échec scolaire est difficile à établir, une fois adultes, jeunes adultes, ils se noient dans la masse sans vrai suivi possible. Mais quelques paramètres sont connus. On sait qu'un apprentissage difficile de la lecture en CP n'augure pas d'une bonne scolarité, que la difficulté scolaire ne surgit pas à un âge avancé mais démarre très tôt. On sait également que le milieu social est un paramètre important de la réussite scolaire, que le paramètre environnemental de l'élève intervient également... sans parler des questions réglées par le discours officiel.

Cependant, la réinsertion par le travail marche effectivement et les initiatives portent souvent leurs fruits, mais il faut parfois attendre que les dispositions requises soient présentes chez la personne. On se décide parfois, après l'âge scolaire, à s'investir dans les études, après avoir erré lors de la période où cela se fait normalement.

Comment expliquer que l'Education nationale échoue où d'autres parviennent à insérer ? Quelles sont les leçons qu'il serait possible de tirer en matière de pédagogie ?

Camille Bedin : L'Education nationale fonctionne avec un moule unique, dans lequel devraient rentrer tous les élèves de France. Elle ne laisse pas suffisamment de place à l'esprit de créativité, d'entreprise, aux talents manuels ou à l'imagination ! Toutes ces qualités ne sont jamais valorisées. Cela donne un système terne, qui n'épanouit pas les enfants. La priorité de l'école devrait être de donner à tous les moyens d'apprendre à lire, écrire et compter et, une fois cela fait, de s'épanouir là où ils le veulent, sans préjugé ni idée reçue ! La France a besoin de tous les talents, elle a besoin d'ouvrir ses élites à la diversité sociale comme à la diversité des champs d'action.

Pierre Duriot : Les leçons sont connues : un enseignement moins théorique aux jeunes âges, plus concret, plus de travail, d'exigence, de respect, de formation des professeurs. Remettre le travail et non l'élève au centre de l'école, remettre sur le métier l'alliance éducative entre parents et institution, se préoccuper plus d'instruction et de résultats que de considérations idéologiques ou sociétales. Ceux qui réussissent sont ceux qui peuvent se permettre de travailler avec des publics sélectionnés, d'exiger du travail et des résultats tout en se séparant des éléments les moins aptes, qui fonctionnent en fait comme des entreprises privées, avec la caution parentale que n'a pas toujours le système éducatif d'Etat. En ce sens, on ne peut pas comparer l'Education Nationale qui tente de remplir une mission de masse avec une école privée en réussite qui travaille totalement autrement et avec un autre public. Les initiatives privées d'excellence s'appuient quoi qu'on en pense sur le travail préalable de l’État. Encore une fois, il ne faut pas opposer ces deux missions, elles sont complémentaires, même si la mission de masse remplie par l'école est largement perfectible.

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