Grand écart de prix sur les médicaments sans ordonnance : le symptôme de la crise du modèle économique des pharmacies<!-- --> | Atlantico.fr
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Le prix des médicaments non remboursés varie considérablement d'une pharmacie à l'autre.
Le prix des médicaments non remboursés varie considérablement d'une pharmacie à l'autre.
©Reuters

Dur à avaler, la pilule

Selon une étude publiée par France rurale, si le prix des médicaments non remboursés par la sécurité sociale reste stable, il existe des disparités considérables selon les différentes pharmacies, qui peuvent varier de un à quatre pour le même produit.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : Qu'est-ce qui peut impacter les prix de vente des médicaments non remboursés pour expliquer de telles différences ? Est-on juste dans une logique d'offre et de demande, de concurrence ou de monopole ?

Frédéric Bizard : Les prix de vente moyen des médicaments d’automédication en pharmacie sont globalement stables depuis 2010 selon cette enquête mais il existe de fortes disparités selon les pharmacies. Ces disparités s’expliquent principalement par trois facteurs : le prix d’achat pour la pharmacie (le pouvoir de négociation de la pharmacie), la pression concurrentielle et la localisation de la pharmacie (le pouvoir d’achat de la clientèle).

Les pharmacies achètent leurs produits souvent à des grossistes répartiteurs, mais aussi à des groupements de pharmacies ou directement au fabricant. Le prix d’achat des produits peut varier du simple au double selon le volume d’achat acheté et l’utilisation d’intermédiaires ou non (grossistes, groupements). La taille des officines est très variable, ce qui joue sur leur pouvoir de négociation des prix d’achat. En 2012, la moitié des officines a dégagé un chiffre d ‘affaires inférieur à 1,4 million d’euros, une sur dix moins de 560 000 euros et une sur dix plus de 2,7 millions d’euros. Ces dernières concentrent un quart du chiffre d’affaires total du secteur (38 milliards d’euros en 2012). Le niveau chiffre d’affaires d’une pharmacie peut varier de plus de 1 à 5, avec une moyenne nationale autour de 1,6 millions d’euros.

La pression concurrentielle varie fortement d’une région à l’autre, en dépit d’une règlementation stricte d’implantation. En moyenne, une pharmacie sert 2700 habitants en France. Mais la densité par habitant est variable d’une région à l’autre, plus faible dans les régions du Nord de la France (une pour 3 900 habitants en Alsace par exemple). Dans les régions du Sud où la population est plus âgée, la densité pharmaceutique est forte. Dans les régions où le nombre d’officines est plus élevé, le chiffre d’affaire par habitant en médicaments est plus élevé (580 euros en moyenne en France).

La pharmacie reste un commerce (à forte valeur ajoutée de conseil) dont les charges d’exploitation, en particulier les loyers sont très variables d’une région à l’autre et dont le pouvoir d’achat des clients est aussi très hétérogène. C’est surtout vrai dans les grandes agglomérations. Ainsi à Paris, les écarts de prix entre la pharmacie du drugstore des champs Élysées et une pharmacie du XXème arrondissement sont largement liés à ce facteur du pouvoir d’achat et des charges de loyer.

La pharmacie est souvent perçue comme un commerce à forte marge, notamment car l'installation est soumise à une autorisation en fonction du nombre d'habitants. Est-le cas dans les faits ? Les marges sont-elles homogènes sur le territoire ?

Le taux de marge commercial des pharmacies, après avoir baissé régulièrement de 2000 à 2006, progresse à nouveau depuis 2006. En 2012, il était de 27,5% contre 25,9% en 2006. Ce taux reste cependant en deçà de celui du commerce de détail (29,4% en 2012). En revanche, le taux de marge d’exploitation (excédent brut d’exploitation divisé par la valeur ajoutée) a atteint 52% en 2012, bien supérieur à la moyenne du commerce de détail (27%).

Les marges sont identiques sur tout le territoire pour les médicaments remboursables dont les prix sont administrés. Depuis 2000, la rémunération du pharmacien est composée d’un forfait par boite (0,53 euro) et un système de marge dégressive. En fonction de la répartition du chiffre d’affaires de la pharmacie (entre les médicaments remboursables, non remboursable, la parapharmacie et le matériel médical),  les marges varieront d’une pharmacie à l’autre. Cependant, la part fortement majoritaire des médicaments, en moyenne de 76% en France dans le chiffre d’affaires d’une pharmacie, entraîne une relative homogénéité des marges des pharmacies en France. 

Comment ces marges ont-elles évolué dans le temps ? Comment s’expliquent ces évolutions ? Comment la pression économique exercée par la sécurité sociale explique-t-elle cette évolution ?

Les marges des pharmacies ont légèrement augmenté depuis 2006, malgré un ralentissement de la hausse des ventes depuis 2006 (+1,6% par an contre +5,6% par an de 2000 à 2006). Le ralentissement du chiffres d'affaires est lié à la baisse des prix des médicaments (-3% par an depuis 2006) et de la montée en puissance des génériques à prix faible.

La hausse de la marge est liée à des effets combinés. Le système de forfait par boite a entrainé la multiplication des conditionnements de petite taille et le taux de marge est plus important pour les tranches de prix inférieures. La politique de promotion des génériques, dont les marges sont les mêmes en valeur absolue que les médicaments princeps, accroit aussi le taux de marge.

Comment l'essor des produits de parapharmacie a-t-il impacté l'équilibre économique des pharmacies ? Dans quelle mesure ce phénomène a-t-il pu contribué à tirer à la hausse le prix des médicaments ?

La baisse des prix des médicaments depuis 2006 a entrainé une baisse de la part des médicaments remboursables dans le chiffre d’affaires des pharmacies, passée de 85% à 76% entre 2000 et 2012. La part des médicaments non remboursables est passée de 8% à 11,6%, celle de la parapharmacie de 3,3% à 6% et celle des autres produits (articles médicaux, orthopédiques) de 3,5% à plus de 6%.

L’enquête de France rurale montre une forte hétérogénéité des prix des médicaments non remboursables (ceux des médicaments remboursables sont identiques et administrés) mais une stabilité des prix moyens de ces médicaments depuis 2010.

Quelles sont les autres pressions concurrentielles que vont devoir affronter les pharmacies à l'avenir (essor des ventes sur Internet, possibilité de voir les médicaments en libre-service en grande surface) ? Les marges sont-elles menacées ? 

L’arrêté du 3 mars 2008 a instauré une nouvelle tranche de marge pour les médicaments de plus de 150 euros à 6% contre 10% auparavant. La tendance est donc à la baisse des marges des pharmaciens sur les médicaments et à la rémunération forfaitaire par boite ou par acte. A partir du 1er janvier 2015, un nouveau système de rémunération fera une place plus importante au forfait compensé par une baisse des marges. La loi de santé de la ministre Marisol Touraine en préparation prévoit d’autoriser le pharmacien à vacciner.

Dans quelle mesure la sécurité sociale porte-t-elle une part de responsabilité dans ces disparités de prix en choisissant de ne pas rembourser (ou de ne plus rembourser) certains médicaments ? 

La baisse régulière des prix des médicaments remboursables (-2% entre 2000 et 2006 et -3% entre 2006 et 2012) imposée par la sécurité sociale a sensiblement transformé le modèle économique de la pharmacie qui dépend de plus en plus de la vente de produits dont les prix sont libres. Cette part plus forte de produits à prix libres donne une perception de plus grande variabilité de prix entre les pharmacies aux citoyens.

La rémunération forfaitaire du pharmacien et l’arrivée de nouvelles activités de prévention à prix fixé par la sécurité sociale devrait ralentir ce phénomène.

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