Droits des femmes : l'Arabie saoudite avance à tout petits pas mais pas en trompe l'oeil<!-- --> | Atlantico.fr
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La décision du roi Abdallah d'accorder le droit de vote aux femmes marque-t-elle un progrès pour le droit des femmes ?
La décision du roi Abdallah d'accorder le droit de vote aux femmes marque-t-elle un progrès pour le droit des femmes ?
©Reuters

Progrès

Les femmes pourront voter en Arabie Saoudite en 2015. Même si cette réforme a finalement peu de sens dans un royaume qui ne croit toujours pas en la démocratie, il souligne néanmoins une rupture avec les religieux les plus durs.

Stéphane Lacroix

Stéphane Lacroix

Stéphane Lacroix est maître de conférences à Sciences Po.

Il a enseigné dans différentes universités étrangères, notamment à Stanford (Etats-Unis).

Son dernier ouvrage s'intitule Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée (Presses Universitaires de France, 2010).

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Atlantico : La décision du roi Abdallah d'accorder le droit de vote aux femmes marque-t-elle un progrès pour le droit des femmes ?

Stéphane Lacroix : Le Roi Abdallah a en vérité pris deux décisions. Le droit de vote et l’autorisation pour les femmes de se présenter aux élections municipales en 2015, d’une part. Le droit des femmes à siéger au Conseil consultatif (le Majlis al-Shura) à partir de 2013, d’autre part.  

Le Majlis al-Shura est le Parlement nommé par le roi qui était uniquement masculin jusqu'ici. En 2013, il y aura un renouvellement de cette assemblée. On peut donc imaginer qu'il nommera donc plusieurs femmes à ce moment-là.  

Depuis plusieurs années, on note une série de mesures qui visent à améliorer la place de la femme dans la société, avec notamment la nomination d'une femme vice-ministre de l'éducation il y a deux ans. Mais dans les équilibres politiques saoudiens, ça ne change pas grand chose. Les assemblées concernées sont consultatives et sans grand pouvoir. Pour tout dire, on ne sait pas à quoi servent les conseils municipaux. Cela fait six ans qu'ils existent, mais ils ont des prérogatives minimales et ne se réunissent pas très fréquemment. Le « Saoudien moyen » ne sait pas à quoi ils servent.   

Le Majlis est un peu plus important car il propose des lois. Il est de plus un interlocuteur direct du gouvernement, même s’il reste uniquement consultatif. On note donc une avancée symbolique non négligeable avec des femmes qui pourront siéger dans l'équivalent saoudien du Parlement. Mais, là encore, cela ne change rien aux équilibres politiques.


Pourquoi cette réforme sur le droit des femmes intervient-elle maintenant ?

Depuis son arrivée sur le trône,  le roi Abdallah a ce projet de réforme sociétale autour du rôle de la femme. Il sait que sur ce point l’Arabie saoudite doit s'ouvrir.  
Dans le même temps, il y a certainement une conjoncture favorable. Ainsi, peu avant l’été, on a vu un mouvement de contestation de femmes qui, via les réseaux sociaux, demandaient le droit de conduire. Certaines d'entre elles se sont filmées au volant et ont partagé ces vidéos sur YouTube. Il y a donc eu, récemment, une polarisation sur la question de la femme. Plus généralement, on a un royaume qui sait faire usage de ce type de problématiques pour redorer son blason vis-à-vis de l'Occident.


Serait-ce juste donc qu’une belle opération de communication ?

Ce n'est pas que de la com'. Le roi Abdallah croit vraiment en ce projet. Il y croit d’autant plus qu'il ne croit pas en la réforme politique. C’est un réformateur sociétal mais pas un réformateur politique. Il n'est pas prêt à transformer la monarchie saoudienne en monarchie constitutionnelle. C'est un modernisateur… autoritaire.


Le Roi Abdallah est malade et a 87 ans. Ne viserait-t-il pas également la postérité ?

A ce que l'on sait, il est en relativement bonne santé. Il est certes âgé mais il n'est pas atteint de pathologie grave. Il connait simplement des problèmes de dos. Donc il n'en est peut-être pas encore à considérer l'après!
Cela dit, il n'est évidemment pas éternel. Le numéro 2, Sultan ben Abdelaziz Al Saoud, est très malade. Le prince Nayef, actuellement ministre de l'Intérieur et numéro 3 dans la ligne de succession, est réputé plus conservateur. Il ne reviendra pas en arrière, mais le rythme de ces réformes sociétales devrait ralentir.  



Quel a été l'effet du 11 septembre et de la mort de Ben Laden sur l'Arabie Saoudite?

Le 11 Septembre a eu un effet paradoxal en Arabie saoudite. Il y a eu une prise de conscience collective des excès du puritanisme. Et, depuis dix ans on voit bien de la part de la société comme de la part du gouvernement une « ouverture à la saoudienne » ; une ouverture qui, selon nos critères, reste limitée. Mais depuis dix ans, on voit néanmoins l’Arabie saoudite avancer –à petits pas certes- vers un modèle un peu plus libéral.  

La mort de Ben Laden n'a pas affecté ce mouvement. Beaucoup de Saoudiens avaient rompu symboliquement avec Ben Laden longtemps avant son élimination.


Est-ce l’Islam, ou l’interprétation qui en est faite, qui rend si difficile l’intégration des femmes dans la société saoudienne ?   

Une partie des gens en Arabie saoudite vont diront que les contraintes sont à la fois sociales et religieuses. L'islam vient légitimer les pratiques sociales. De même, les pratiques sociales viennent chercher dans l'islam une légitimation.  
Tout ne découle donc pas de la religion. Par exemple, des Saoudiens libéraux ne vous présenteront jamais leur femme, car c'est quelque chose qui ne se fait pas. Il est difficile de voir la différence entre une règle sociale et une règle religieuse, dans une société très conservatrice.


Qu'est-ce que ce nouveau droit de vote des femmes va changer dans la société saoudienne ?

La décision prise dimanche est peut-être une première étape vers l'octroi aux femmes du droit à conduire. Cela peu sembler anodin, mais c’est un sujet qui a pris une importance centrale dans le débat en Arabie Saoudite. Historiquement, ce droit a été un véritable enjeu de lutte entre libéraux et conservateurs, cristallisant toutes les passions. Le roi Abdallah est probablement prêt à franchir le pas.  


Quelle est la réalité des femmes saoudiennes aujourd’hui ?

Etre une femme en Arabie saoudite reste très contraignant : il y a des règles qui s'imposent. La première est celle de non-mixité. Il  y a très peu de lieux de mixité. Le principal reste le centre commercial, malgré une police religieuse qui veille à ce que cela ne mène pas à des rencontres inappropriées. Mais dans les services publics, on est séparé. Enfin, quand on est une femme, on ne peut toujours pas conduire et on ne peut toujours pas exercer certains métiers -en particulier ceux qui impliquent un contact avec les deux sexes...

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