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Poutine et son homme de paille Medvedev : héros de "l'homo sovieticus"
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Russie

Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev devraient échanger leurs rôles après la prochaine présidentielle russe de 2012. Le premier redeviendrait Président quand l'autre occuperait le poste de Premier ministre. Apparemment populaire en Russie, le duo constitue une étrangeté politique pour l'esprit occidental...

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Vladimir Poutine devrait donc redevenir Président de la Russie tandis que l’actuel Président Dimitri Medvedev devrait être nommé Premier ministre. Quel sens politique donner à cet accord ?   

Jean-Sylvestre Mongrenier : Cet accord manifeste la réalité de ce régime politique, que l’on peut définir comme un autoritarisme patrimonial, et met en évidence les limites de la « transition » (c'est-à-dire de la libéralisation politique de la période post-soviétique). C'est en fait le scénario inverse de celui de 2008, lorsque Medvedev avait remplacé Poutine à la présidence, ce dernier redevenant chef de gouvernement (soulignons qu'il l’avait déjà été à la fin de l’ère Eltsine, en 1999). Medvedev, même s'il a peut-être envisagé en son for intérieur une candidature à la présidence, sait bien que Poutine est le « mâle dominant » de ce tandem.

Cela fait des années que les observateurs avertis de la vie politique russe affirment que Medvedev est simplement là pour permettre à Poutine de conserver le contrôle du pouvoir. Certes, il a dû éprouver l'envie de s'affirmer, mais il y a un rapport de force structurel au niveau de la classe dirigeante russe, constituée de « siloviki » et d’oligarques, qui est en faveur de Poutine.

Le retour de Poutine au Kremlin était donc attendu (il y avait d’ailleurs conservé des bureaux) mais il est toutefois surprenant de voir que Poutine envisage tout simplement d'intervertir les rôles, c'est-à-dire que Medvedev redevienne Premier ministre. Au final, c’est le scénario le plus « grossier » qui prévaut. La réalité dépasse la fiction. Nous sommes bien loin des normes qui sont celles des régimes constitutionnels-pluralistes occidentaux.


Comment expliquer une telle situation ?

C'est la traduction en actes de l’autoritarisme patrimonial. Dans ce type de système autoritaire, il existe bien une certaine dose de libertés individuelles ; si l'individu accepte de se replier sur sa sphère personnelle, sans engagement civique contraire à l’orientation du pouvoir, ces libertés sont effectives. Ce n’est pas là une mince différence avec l'époque soviétique.

Cependant, lorsqu’ il s'agit de participer en toute liberté au pouvoir et à la sélection des dirigeants, la marge d’autonomie du citoyen est des plus limitées (pour dire le moins). Un certain nombre d'observateurs, fascinés par ce type de pouvoir, disent que les Russes souhaitent cela. Mais qu'en sait-on ? Vu les jeux de pouvoirs, les pressions sur les médias, le peu de fiabilité des sondages, on ne sait pas vraiment ce que les Russes veulent. Et puis la liberté n'est pas une valeur qui se mesure à l'aune des sondages et des courants d’opinion.

Malgré tout, la possibilité de mouvements de contestation en Russie ne peut être exclue. Il ne faut pas tomber dans un schéma excessivement essentialiste ou culturaliste et considérer que la Russie est définitivement verrouillée, dans l'avenir proche ou lointain, voire vouée de toute éternité à l’autoritarisme. L’Histoire est souvent faite de surprises (stratégiques ou autres) ; les événements du monde arabe en est sont un bon exemple même s’il y aura sous ces latitudes des déconvenues (mais ceci est une autre histoire !).


Vladimir Poutine pourrait donc diriger le pays jusqu’en 2024…

Il y a eu une modification de la Constitution dès l’arrivée de Medvedev à la Présidence, pour préparer le retour de Poutine disait-on alors (avec raison). Les deux premiers mandats de Poutine furent de quatre ans (2000-2004 et 2004-2008). Depuis la révision constitutionnelle de 2008, nous sommes passés d’un mandat de quatre ans à six ans, à compter de 2012. Nous en sommes donc à envisager un troisième mandat puis  un quatrième mandat, de six ans chacun, pour Poutine. Dès lors, 2024 est une perspective envisageable si l’on s’en tient à la temporalité institutionnelle.


Le fait que Medvedev ne soit pas membre du parti de Poutine « Russie Unie » peut-il gêner sa capacité à être Premier ministre ?

Le système est très largement opaque et repose sur des jeux de clientèles et d’équilibre entre les clans oligarchiques, jeux qui nous échappent très largement. On ne peut donc considérer que Medvedev sera automatiquement le Premier ministre de Poutine, même si c’est le scénario le plus probable par ailleurs. En dernière instance, tout dépend du bon vouloir de Poutine, et non pas des députés de « Russie Unie », même si celui-ci doit tenir compte des « jeux » précédemment évoqués.

Nous ne sommes pas, il faut le souligner, dans le cadre d'un système parlementaire à la britannique. Medvedev ne va pas être porté à la tête du gouvernement par une majorité cohérente et volontaire, comme c'est le cas en Angleterre. « Russie Unie » est un parti aux ordres de Poutine et ses députés suivront  la volonté de ce dernier. Enfin, soulignons le fait que Poutine lui-même n’est pas membre de « Russie Unie ».


Vladimir Poutine semble populaire en Russie et impopulaire en Occident. Comment l’expliquer ?

On nous dit qu'il est populaire en Russie mais comment interpréter cette information, sachant que les médias sont soit contrôlés, soit sous influence ? Cela dit, il ne faut pas exclure que l’idéal-type de « l'homo sovieticus » renvoie à une partie de la réalité russe.  


L’homo sovieticus ?

Alexandre Zinoviev avait dressé une sociologie de la Russie communiste à son époque et, ce faisant, créé l’expression d' « homo sovieticus ». Il entendait montrer qu'il ne fallait pas avoir une vision trop romantique des dissidents de l’URSS, vus en Occident comme les porte-voix d'un peuple russe aspirant unanimement à se débarrasser du communisme. Il insistait sur l’existence d’un conformisme soviétique, conformisme vécu par les sociétaires, ainsi que sur les pathologies sociales développées dans le cadre de l’URSS.

Il se peut que l’idéologie communiste et les modes d’exercice du pouvoir à l’époque soviétique aient modelé les mentalités de certains Russes, une partie de la population aspirant  à un système prétendument fort et stable, tel que celui prôné Vladimir Poutine (« démocratie dirigée » et « verticale de pouvoir »). Mais encore une fois, ne généralisons pas. Bien des Russes sont au contact de l’Occident et s’inquiètent d’un mauvais « remake » du brejnévisme (dixit). Du côté des dirigeants occidentaux, il faut cesser de parler de « relance » (le « reset »), de « partenariat », et dire les choses telles qu’elles sont. Tout simplement. En politique comme en religion, dit-on, c’est la vérité qui sauve !

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