Malades en fin de vie : l’espoir peut-il venir de la start up qui propose de tester des médicaments pas encore mis sur le marché ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La société myTomorrows se propose de faciliter l'utilisation de médicaments encore en cours de validation par des patients en fin de vie.
La société myTomorrows se propose de faciliter l'utilisation de médicaments encore en cours de validation par des patients en fin de vie.
©Reuters

Le tout pour le tout

La société myTomorrows se propose de faciliter l'utilisation de médicaments encore en cours de validation par des patients en fin de vie. Un marché lucratif, mais qui pose de nombreuses questions d'ordre éthique.

Marc Girard

Marc Girard

Marc Girard est médecin et a mené des recherches sur la modélisation mathématique en biologie. Il est désormais spécialiste du médicament et a travaillé avec plusieurs usines pharmaceutiques. Il occupe désormais les fonctions d'expert judiciaire et a couvert quelques scandales de santé publique telle que les hormones de croissance. 

Il est l'auteur de Médicaments dangereux : à qui la faute ? publié aux éditions Danglès en 2011.

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Atlantico : "myTomorrows fournit aux médecins et aux patients qui n’ont pas la possibilité de participer à des études cliniques un accès à des médicaments innovants en voie de développement." Le but affiché de cette start-up néerlandaise, également installée en France (voir ici) : aider les personnes condamnées par la maladie à courte échéance, et pour lesquelles il n'existe pas encore de traitement sur le marché, à tenter le tout pour le tout grâce à des médicaments n'étant pas encore passés par toutes les étapes de validation. Quelle est l'importance de la demande de ce type de service chez les patients en fin de vie et chez les médecins ? Cette start-up vient-elle effectivement remplir un vide ?

Marc Girard : À l’heure actuelle, le problème de la recherche pharmaceutique n’est pas la difficulté des patients pour trouver des essais cliniques, mais la difficulté des fabricants pour recruter des gens afin de remplir les contraintes des essais innombrables générés par une créativité brouillonne qui n’a pas grand-chose à voir avec la véritable « innovation ». C’est l’une des raisons qui portent l’industrie pharmaceutique à délocaliser ses essais dans les régions du monde les plus reculées où – avantage complémentaire – les contrôles techniques et éthiques y sont encore allégés. Pour ce qui concerne plus précisément les cancers, Nicole Delépine a répétitivement dénoncé – sur votre site, notamment – la scandaleuse quasi-interdiction qui est désormais faite aux malades, même en France, de refuser d’être inclus dans un essai. Il me semble donc que la publicité faite autour de cette start-up hollandaise tend singulièrement à brouiller les véritables enjeux.

Le fantasme du « tout pour le tout » a probablement toujours existé dans toutes les situations médicales désespérées, et s’est incarné dans des pèlerinages, des oblations, des recours à la sorcellerie ou aux rebouteux, etc. Il ne concerne pas seulement les cancers ou les pathologies fatales, mais également les situations chroniques lourdes et désespérantes. Il est évident que les situations humaines sous-jacentes excitent les convoitises les plus viles, l’esprit critique des gens étant émoussé par leur détresse : de toujours, le domaine de l’incurable a représenté un lieu de prédilection pour les « charlatans ». Paradoxalement, cette situation ancienne est aggravée, à l’heure actuelle, par toute une propagande – évidemment intéressée – visant à vanter les pouvoirs de « la Science » et de la médecine, dans le contexte d’une « culture du narcissisme » qui promeut l’hypocondrie et flatte l’impuissance infantile où se trouve le consommateur moyen d’affronter avec un minimum de sérénité l’inéluctabilité de la mort.

Dans le cas du site dont vous me parlez, on y retrouve exactement la manipulation déjà dénoncée par Boorstin dans son livre classique (qui date de 1961[1]) : après avoir désespérément cherché un essai clinique dans l’espoir d’un miracle, le père du créateur de ce site est mort – ce qui, jusqu’à plus ample informé, est quand même le destin de tous les pères… Aucun indice, aucune information ne permettent de penser que ledit père soit passé à côté du médicament miracle qui aurait contrarié cette issue : mais en clamant – évidemment sans la moindre preuve – qu’il aurait pu le trouver, on crédibilise qu’il devait exister. Sur ce type de manipulation rhétorique, Boorstin parle de « prophétie auto-réalisatrice » : en langage moins philosophique, on retombe sur la notion de foutage de gueule

Cette start-up ne vient donc pas « remplir un vide » : elle s’inscrit dans d’innombrables tentatives du même ordre qui visent à faire de l’argent sur la contrainte où se trouve l’industrie pharmaceutique de mener, quand même, un minimum d’essais – même si lesdits essais sont conduits en dépit du bon sens, et sur des médicaments qui tiennent plus de l’escroquerie que de l’innovation. Vous remarquerez d’ailleurs cette autre prophétie auto-réalisatrice du « médicament innovant en voie de développement » : s’il est encore en développement (c’est-à-dire en train d’être évalué), d’où tire-t-on que ce serait une « innovation » – et pas simplement un bide parmi d’autres ?...

myTomorrows se présente comme une plateforme facilitant les formalités administratives et légales, ainsi que les échanges entre les personnes et les laboratoires. Certains traitements pourraient ainsi être utilisés sur des patients en phase terminale au bout de seulement sept ans de développement, alors que leur mise sur le marché peut prendre le double de temps. Quelles sont les potentialités de réussite de cette nouvelle approche dans le traitement ?

Le développement pharmaceutique exige trois qualités principales : une créativité technico-scientifique, un respect scrupuleux de la réglementation, une éthique intransigeante (notamment pour faire face aux situations imprévues qui renvoient aux « trous » de la réglementation). Toutes qualités naturellement peu développées chez les monstres froids où se recrutent les financiers qui font désormais la loi dans la pharmacie industrielle. Tout leur est bon, par conséquent, pour dénigrer les très modestes contraintes qui s’opposent encore à leur gloutonnerie sans limite et à leur obsession du maximum d’argent dans le minimum de temps.

Il est absolument faux qu’un développement clinique exige une quinzaine d’années : les vaccins contre la grippe H1N1 ont été préparés en quelques semaines – avec les conséquences que l’on sait –, Gardasil a court-circuité les étapes cruciales du développement clinique (fast-track). Il existe, d’autre part, des procédures réglementaires (autorisation temporaire d’utilisation) qui permettent de distribuer un produit censément prometteur avant qu’il ne soit formellement autorisé. Mais pour se limiter aux cancers, la pharmacopée est pleine « d’innovations » hors de prix dont l’intérêt attend encore d’être démontré.

L’enjeu n’est donc pas de « réussir » – c’est-à-dire de faciliter la mise à disposition de produits effectivement innovants – mais d’accélérer le retour sur investissement, quitte à gaver les malades de produits douteux, voire franchement toxiques.

Certains esprits chagrins pourraient avancer que myTomorrows représente un excellent pré-test pour les produits des laboratoires.  Les mourants  deviendraient des cobayes ? Quels problèmes d'ordre éthique cela pose-t-il ?

Pour que les mourants deviennent des « cobayes », encore faudrait-il que ceux qui les incluent dans les essais cliniques aient la compétence nécessaire pour « expérimenter » les médicaments qui leur sont administrés – ce qui n’est évidemment pas le cas.

Le véritable problème d’ordre éthique (et politique) est que, si allégée qu’elle soit grâce aux « experts », aux parlementaires et aux « lanceurs d’alerte » à la solde de Big Pharma, ce qui reste de la réglementation pharmaceutique représente encore une contrainte intolérable pour les prédateurs financiers. Tout est bon, par conséquent, pour la contourner.



[1]Le triomphe de l’image, Lux Éditeur pour l’édition française (2012).

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