Génération “Maul zu/feignants de Français” : l’Europe a-t-elle fini par devenir une machine à transformer l’amitié franco-allemande en franche hostilité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les deux pilliers européens traversent une crise relationelle.
Les deux pilliers européens traversent une crise relationelle.
©Reuters

Crise de couple

La tension est palpable entre les deux piliers économiques et politiques de l'Europe. Des deux côtés du Rhin, certains représentants n'hésitent pas à parler crûment, les uns invitant Angela Merkel à "la fermer", les autres vilipendant ces Français qui ne respectent pas leurs obligations. Car la principale source de discorde réside bien dans l'institution européenne qui les unit malgré eux.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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François Beaudonnet

François Beaudonnet

Après avoir été en poste à Bruxelles, François Beaudonnet est désormais correspondant à Rome pour France 2. 

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Les relations franco-allemandes ont connu de meilleurs jours. A la suite du tweet virulent de Jean-Luc Mélenchon, qui invitait Angela Merkel à "la fermer" et à "s'occuper de ses pauvres et de ses infrastructures en ruine", Henri Guaino a déclaré que l'ancien leader du Front de gauche avait dit "tout haut ce que sans doute beaucoup pensent tout bas". Parallèlement à cet échange de courtoisies, Michel Sapin, qui a tout de même pris soin de qualifier le message de Mélenchon de "grossier, injurieux et imbécile" a accordé une interview au Financial Times, dans laquelle il encourage les responsables allemands à "surveiller leurs paroles", précisant que "les personnes extérieures à la France doivent faire attention à la façon dont elles expriment leurs opinions sur la France (...) Il faut vraiment faire attention à se respecter mutuellement et respecter nos histoires, nos identités culturelles et nos points sensibles, sinon, cela aidera les partis extrémistes à se renforcer".

Atlantico : Dans quelle mesure l'avertissement de Michel Sapin aux représentants politiques allemands est-il révélateur d'une exaspération grandissante au sein de la société française ? Des dérapages sont-ils à craindre ?

David Engels : Il me semble que ce qui est en jeu pour le moment, ce sont moins les relations franco-allemandes en tant que telles que la crédibilité des partis "établis" des deux côtés de la frontière. Ainsi, nous assistons à un véritable débat de sourds, où les invectives sont plutôt adressées aux oreilles du public national qu’à celles du partenaire outre-Rhin, selon la bonne vieille tactique de dévier les frustrations populaires en cherchant un responsable à l’intérieur ou à l’extérieur. Dès lors, les invectives que nous avons entendues ces derniers temps n’étaient pas adressées au voisin, mais plutôt, de la part de la France, à l’électorat du "Front National", et, de la part de l’Allemagne, aux électeurs de la "Alternative für Deutschland" ou du mouvement tout récent "pegida". Leur but ? Sauver les meubles et conserver, paradoxalement, la crédibilité du projet européen : en clamant défendre leurs intérêts "nationaux", les partis traditionnels se positionnent face au danger souverainiste et gardent le contrôle sur le discours. Mais il ne faut pas non plus oublier que ce dialogue de sourds comporte un grain de vérité. D’un côté, nous ne pouvons-nous fermer au constat que la France (et pas seulement elle) est en plein déclin et que l’équilibre du pouvoir inter-européen se déplace continuellement en faveur de l’Allemagne. Et d’un autre côté, il ne faut pas négliger que la prospérité de l’Allemagne dépend essentiellement de sa situation hégémonique fragile au cœur de l’Europe et que la longévité de cette situation ne saurait être assurée sans l’exportation du modèle économique allemand à des pays que ce modèle, à la longue, ruinerait... 

Gérard Bossuat :  Le sentiment de l’opinion française vis-à-vis des Allemands reste mouvant. Il est fait d’admiration pour la réussite de l’Allemagne démocratique depuis 1945, d’appréciation positive pour son organisation économique et en même temps subsiste le souvenir des conflits du passé et, sans aucun doute, la peur d’une hégémonie d’une puissance qui fut nocive pour la France. Autrement dit, si ce n’est pas assez clair, les Français ont construit une représentation positive de l’Allemagne qui s’effrite quand l’Allemagne semble s’ériger en modèle européen d’autant plus que la chancelière adopte souvent une attitude cassante qui évoque trop la morgue prussienne que l’on croit débusquer dans son comportement. Peut-être Michel Sapin pensait-il à cela. Les politiques Allemands gagneraient à prendre en compte ces sentiments mêlés à leur endroit de l’opinion française moyenne. Des dérapages  peuvent en effet se produire si les politiques français se laissent aller à un ressentiment qui n’a pas lieu d’être et si les Allemands se croient la mesure de l’harmonie économique dans le monde.

François Beaudonnet : Je ne suis pas certain que les déclarations des politiques français soient le reflet de l'opinion, mais plutôt de l'exaspération d'une partie de la classe politique, car notre pays ne tient pas ses promesses. Il n'est jamais très agréable d'être mis face à ses responsabilités. La députée de la CDU invitée il y a peu sur le plateau de l'émission "Des Paroles et des actes" a rappelé sereinement cette réalité, et malgré cela Jean-Luc Mélenchon s'est mis en colère de manière outrancière et inappropriée. Les représentants politiques français sont bien ennuyés car la réalité est ce qu'elle est : la France ne tient pas ses engagements. C'est tout de même elle qui a accepté les traités. Cependant les torts ne se trouvent pas uniquement côté français : il arrive à certains dirigeants allemands de céder à certaines maladresses lorsqu'ils parlent de la France. C'est dans ces cas que l'on voit que tout ce qui touche à la souveraineté reste très sensible de part et d'autre. Lorsque Christine Lagarde, encore ministre, avait pointé du doigt un trop grand décalage en termes de modèles économiques entre les deux pays, cela avait été très mal vu outre-Rhin.

Beaucoup de personnes en France, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon ou Henri Guaino, voient d'un mauvais œil les efforts demandés par la Commission européenne, et voient l'Allemagne comme un désagréable donneur de leçon. En face, l'opinion allemande et la classe dirigeante portent un jugement sévère sur les performances de la France. Jusqu'à quel point cette vision de notre pays est-elle présente outre-Rhin ?

David Engels : Dans toutes les questions touchant à la situation de l’Allemagne, il ne faut jamais négliger l’importance du traumatisme de 1945, véritable année zéro de la mentalité allemande actuelle. Depuis ce moment-là, l’Allemagne a mis un trait en dessous de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à de "l’idéologie", de "l’utopie" ou même de la "politique mondiale" et elle s’est concentrée principalement sur le seul domaine qui lui permettait de conserver un semblant de fierté et de satisfaction : l’économie.

Certes, il serait naïf de nier que politique et économie sont étroitement liées, mais dans le cas de l’Allemagne, les vieux rêves de gains territoriaux, d’égalitarisme social (ou racial) ou d’exportation d’une notion spécifique de "Kultur" sont désormais relégués aux oubliettes de l’histoire. Cela confère une crédibilité exceptionnelle au discours politique et économique de la "Bundesrepublik" ; crédibilité qui, d’ailleurs, est graduellement plus entachée par une certaine auto-complaisance de plus en plus difficile à supporter par ses voisins comme la France… Mais cela représente aussi le pied d’Achille de l’Allemagne et de l’Europe. Car autant cette foi aveugle en l’économie libérale et en la constitution fédérale a pu être un moteur pragmatique important dans la reconstruction de l’Allemagne et, depuis la chute du mur, de l’Europe de l’Est, autant ces idéaux ne suffisent pas à insuffler une vie nouvelle à l’idée européenne et à cimenter cette solidarité entre Nord et Sud malmenée par la crise économique, identitaire, culturelle et institutionnelle qui fait rage en ce moment.

Mais l’Allemagne a peur d’accepter ce nouveau rôle qui risque de déstabiliser profondément toute sa classe politique et préfère jouer, comme elle l’a toujours fait depuis 1945 au "bon élève" qui pense surtout à ses propres points - et on connait toute la popularité ambigüe que confère ce rôle...

Gérard Bossuat : Nous avons tous des images stéréotypées du voisin, déformées par l’accès limité, du fait de la langue, à une presse parfois excessive, (moins que la presse britannique cependant). Les jugements sévères de la presse allemande sur les performances budgétaires et fiscales de la France semblent en effet partagés par une partie de l’opinion allemande. Il n’est pas possible dans les limites de cette réponse de faire une véritable enquête d'opinion. On en reste aux stéréotypes qui semblent partagés à mi-voix. Oui les grèves à répétition agacent, les jérémiades sur l’austérité énervent après les efforts consentis par l’Allemagne de Schröder. Pourtant la France est appréciée en Allemagne pour la variété de son espace, pour sa gastronomie et ses vins, pour ses succès industriels partagés avec l’Allemagne (Airbus par exemple), pour l’amitié franco-allemande réaffirmées, avec quelle force, depuis Schuman et Monnet en mai 1950 et par de Gaulle dès septembre 1958. L’est-elle suffisamment pour les actions militaires extérieures que la France mène au service de tous les Européens ?  Ceux qui ont un peu de références historiques savent que la France a été un intermédiaire puissant pour la réintégration de l’Allemagne en Europe et pour le pardon donné au peuple allemand après les horreurs de l’idéologie nazie. La référence aux couples politiques franco-allemands mythiques reste essentielle pour ceux qui gouvernent l’Allemagne.

François Beaudonnet : Un sentiment prévaut, celui que la France ne tient pas ses promesses, que ce n'est pas un pays fiable. Les Allemands sont traversés par une vraie inquiétude, car ils savent bien que la France est la seconde économique de la zone euro, et que par conséquent si la France va mal c'est toute la zone qui en pâtit. On peut donc parler d'exaspération en Allemagne, où France et Italie font régulièrement l'objet de critiques, jugés trop "latins". C'est l'occasion de ressortir les vieux clichés.

Plus qu'un mariage d'amour, la relation franco-allemande est souvent dépeinte comme un mariage de raison. Quels démons en sommeil pourraient se réveiller, et pourquoi maintenant ?

David Engels : Les lecteurs savent que je suis rarement prompt à verser dans l’optimisme, mais j’avoue que, dans ce cas particulier, je ne vois aucun risque véritable, bien que je n’exclue pas l’hypothèse que le fait que je sois bilingue (franco-allemand) puisse conditionner mon optimisme. Quoi qu’il en soit, je suis confiant que le conflit franco-allemand soit définitivement résolu, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier que cet antagonisme est, en fait, seulement de courte date dans l’histoire européenne et probablement beaucoup moins important que les antagonismes franco-anglais, franco-espagnol et franco-autrichien sous l’Ancien régime.

Par contre, alors que l’idée d’un possible conflit politique ou même économique majeur entre les deux pays me semble exclue, il ne faut pas sous-estimer le risque que l’échec de l’Union européenne à se poser en véritable héritier de l’ancienne idée paneuropéenne et non seulement en porte-parole d’un ultra-libéralisme à vocation universelle compromette le rêve de l’unité européenne. Car en même temps que les institutions européennes perdent en crédibilité, les citoyens en déduisent erronément que l’unification européenne était une mauvaise idée, alors que c’est seulement les modalités de sa réalisation qui ont été désastreuses.

Mais en même temps que l’idée européenne subit ces revers injustes et que l’idéologie du "politiquement correct" mine toute notre vie sociale et politique, il faut craindre que l’engouement pour la fraternité entre peuples européens en souffre durablement. De plus, il est à redouter que toute cette situation profite aux souverainistes, dont je partage largement, certes, le constat politique, mais dont je fais découler la conclusion politique contraire : non pas le retour à l’État-nation et le renouveau de la concurrence terrible entre 28 nations, mais la nécessité de renforcer l’Europe – mais une Europe sociale, transparente, fière de ses traditions historiques et proche des citoyens, donc une Europe aux antipodes de ce que l’Union européenne est devenue.

Gérard Bossuat : Ce n’est pas un tweet de travers, nécessairement ramassé et donc sans intérêt qui réveillera les démons en sommeil. La méfiance mutuelle serait l’un de ces démons, associée à la peur. Ma génération, qui n’est pas celle des plus jeunes, a été mise en garde contre la renaissance d’une Allemagne dangereuse, habitée par des ambitions impérialistes. Les fils et petits-fils des combattants de la Grande guerre et de la seconde guerre mondiale ont constaté les ravages de la peur, de l’ambition nationaliste et de l’aventurisme idéologique des chefs. Ils ont appris aussi, et ils ont réussi, à recréer les conditions d’un dialogue avec la RFA puis avec l’Allemagne réunifiée. Ils ont insisté sur les avantages de l’équilibre entre deux Etats autrefois en rivalité permanente. Ils ont, pour la première fois, uni leurs efforts pour un projet commun. La construction de l’unité européenne a été le moyen trouvé par Monnet et Schuman, mais aussi par Mollet et de Gaulle, suivis par Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing et Mitterrand de partager un avenir commun dans un monde ouvert, où l’Europe réunifiée n’a plus d’autres choix que s’unir ou périr (merci Paul Reynaud !).  Les démons en sommeil sont en nous et il dépend de nous, Allemands et Français de s’interdire de les préparer à sortir en travaillant politiquement et économiquement à rendre plus égales les relations franco-allemandes.

François Beaudonnet : La situation n'est pas fameuse. Le couple ne marche pas bien, car dans un couple il faut de l'égalité. Or là la France est absente, elle est faible économiquement, et sa parole politique est absente lors des sommets. Aujourd'hui la France laisse une grande place à l'Allemagne, qui ne l'a pas vraiment cherché. Il est vrai qu'il est difficile d'être fort au niveau européen avec autant d'élus FN,  un président aussi impopulaire… face à une Angela Merkel portée aux nues dans son pays.

Quels risques une relation déséquilibrée entre les deux piliers politiques et économiques de l'UE fait-elle peser sur l'Union européenne ?  L'Union européenne, telle qu'elle est conçue en ce moment-même, et au vu des déséquilibres actuels, est-elle paradoxalement en train de creuser le lit d'une conflictualité franco-allemande beaucoup plus assumée ? Comment ?

David Engels : Tout à fait. Alors que l’alliance franco-allemande a été à l’origine du projet européen, l’élargissement (inévitable) de l’Europe et l’établissement d’un mode de gouvernance échappant peu à peu aux responsables démocratiquement élus ont fait émerger une institution – ou plutôt un dédale d’institutions – dominée par une confiance aveugle en les marchés, les institutions internationales, les diverses idéologies universalistes, les lobbies et l’élitisme intellectuel.

Cette combinaison dangereuse n’a plus rien à faire avec l’idée que les Athéniens, au 5e siècle av. J.-Chr., se faisaient d’une véritable démocratie, qui ne devait pas seulement être, comme aujourd’hui, un gouvernement pour le peuple, mais aussi par le peuple, alors qu’aujourd’hui, notre démocratie s’est transformée, si nous regardons les choses en face, en un genre d’oligarchie technocratique jouant le disciple docile des forces des "marchés". Il était inévitable que cette lente transformation de l’Union européenne provoque, au long terme, des situations de crise comme celle que nous avons vécue (et celles que nous vivrons bientôt !), tout en rendant impossible tout véritable sentiment de solidarité entre Européens contaminés par le matérialisme et l’égoïsme.

De même, on ne pouvait éviter que cette transformation rejaillisse aussi sur les relations franco-allemandes. Certes, le déséquilibre économique croissant entre les deux pays ne fait rien pour désamorcer cette évolution, mais il ne faut pas oublier que compte tenu de la disproportion démographique, cette divergence était inévitable, et que, si l’Allemagne semble mieux se porter, c’est au prix du démantèlement de son système de solidarité sociale et d’une censure médiatique et politique de plus en plus lourde. Et vu la décroissance inquiétante de la population allemande (-10% à l’aube de 2050) et les succès indéniables de partis politiques alternatifs, je me demande sérieusement pendant combien de temps cette situation particulière durera encore… Et la chancelière le sait aussi, ce qui explique en partie la véhémence des propos allemands : le moment de restructurer l’économie européenne à l’image de l’Allemagne afin de cimenter la domination économique allemande au sein de l’Union est aujourd´hui arrivé ; dans quelques années, il sera déjà tard.

Gérard Bossuat : Y-at-il une faiblesse intrinsèque de la France ? Nos médias sont hantés par le déclin de la France. La mélancolie française, la "zemmourisation" des esprits, le continuel Hollande bashing, l’appel au racisme, nourrissent le Front national à coups de paroles assassines contre la gauche, contre les salariés, contre la nécessaire évolution de la société en s’appuyant sur les conservatismes de la Manif pour tous. Sans croire que le passé était meilleur, souvenons-nous de la situation de la France à la Libération. Le même sentiment de déclin déchirait les cœurs des Français et cependant un projet national de relèvement a été construite et réussi grâce à de Gaulle et à Monnet : la modernisation économique de la France avec le plan Monnet. Travaille-t-on moins en France qu’en Allemagne ? Les chiffres ne corroborent pas les rumeurs. Oui la France connaît des faiblesses structurelles à corriger. Elle s’y emploie ; pas assez vite selon certains, dont les Allemands, mais comme le montraient aussi divers journaux et revues, elle gagne aussi. La comparaison avec l’Allemagne n’est pas en faveur de la France actuellement. Il n’y a aucune raison de penser qu’elle l’est définitivement.

Il serait paradoxal que l’UE soit à l’origine d’une relation conflictuelle entre la France et l’Allemagne. Le risque de conflit serait liée aux contraintes budgétaires imposées soit disant à la France, les fameux 3% du PIB de déficit budgétaire à ne pas dépasser. Or si l’UE a imposé cette limite, la France faisait partie de l’UE quand elle a été édictée et adoucie d’ailleurs dans les années Schröder- Chirac. Cette condition faisait bien partie des choix français. C’est par faiblesse politique que les gouvernements constitués sous la présidence de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy n’ont pas voulu prendre les mesures indispensables pour respecter les limites acceptées par eux. Ils n’ont rien fait pour réduire la dette de l’Etat issu du déficit des comptes publics. La Commission européenne se borne à faire respecter les dispositions arrêtées en commun. Elle n’impose rien que la loi commune. Pourquoi alors la charger ?

Dialogue permanent et diplomatie sont indispensables pour amener les deux partenaires à un accord. La rudesse allemande dans cette affaire, à peine adoucie par la grande coalition au pouvoir et les éternels débats internes en France sur les limites de l’austérité supportable ou la trahison supposée des idéaux de gauche empêchent les deux partenaires de travailler pour l’Europe et pour eux à l’invention du tournant majeur de la nouvelle économie, celui vers l’économie alternative fondée sur des sources d’énergie renouvelables et des productions durables, accompagnée d’une révolution sociale favorable à la solidarité et à la tolérance. On parlerait alors, comme au Bhoutan, d’une augmentation du "bonheur national brut" (BNB). Assumer une prétendue conflictualité franco-allemande durable conduirait à deux impasses : le succès de forces politiques et sociales régressives, le retour de la peur entre deux nations européennes.

François Beaudonnet : Pour l'instant nous en restons aux échanges verbaux, dans cette affaire. Il est temps que la France se remettre en route, elle n'a pas vraiment le choix. Il faut être fort, et nous ne serons respectés que lorsque nous nous respecterons nous-mêmes. La crise a révélé la nécessité d'un équilibre. Or aujourd'hui les discours antiallemand et antifrançais que l'on croyait révolus refont surface.      

D'ici quelques semaines seulement la gauche radicale anti-austérité (parti Syriza) pourrait arriver au pouvoir en Grèce, faisant plonger la Bourse d'Athènes, qui inquiétée par cette perspective a cédé 12,78 %. Les élections régionales italiennes de novembre ont quant à elle fait le jeu de la Ligue du Nord, qui commence à s'imposer dans le sud également, sur une ligne politique comparable à celle du FN. Dans quelle mesure cette montée des populismes, à laquelle d'ailleurs la France n'échappe pas, fait-elle écho aux mises en garde faites par Michel Sapin dans son interview au Financial Times ?

David Engels : Vous mentionnez-là ce qui est, probablement, le problème principal de nos sociétés post-démocratiques : l’indignation des masses face à un monde politique qui leur échappe de plus en plus et donc face à une idéologie universaliste qui, derrière des mots pompeux comme "liberté", "droits de l’homme", "démocratie" ou "égalité", ne semble qu’apporter malheur et misère au simple citoyen. La récente montée en force des diverses formes de "populismes" - d’ailleurs un mot singulièrement mal choisi qui trahit déjà tout le mépris de notre caste politique prétendument démocratique pour les véritables tracas du peuple – représente un véritable tournant dans l’histoire européenne d’après-guerre.

En effet, elle risque de changer totalement la donne, tout en renforçant, paradoxalement, le problème principal en le portant à son paroxysme. D’un côté, les populismes forcent les partis établis de s’aligner graduellement, au moins sémantiquement, sur le nouvelles données. D’un autre côté, le poids le plus en plus important des partis dits "extrémistes" oblige les partis établis à collaborer encore plus étroitement, d’immobiliser ainsi, dans les faits, toute réforme, et d’accélérer encore plus l’avènement de nouvelles crises économiques et institutionnelles. Qu’est-ce qui en résultera à la longue, après les années, voir les décennies de crise et d’affrontements entre classes et ethnies qui se préparent ? Soit le morcellement de l’Europe et sa transformation en un genre d’échiquier des autres grandes puissances, soit une unification beaucoup plus étroite que nous ne pouvons l’imaginer aujourd’hui. Dans tous les cas, nous vivons les derniers jours de la vieille société civique et politique d’après-guerre...

Gérard Bossuat : La montée des populismes en Europe trouve un écho dans les prises de position des uns et des autres, y compris de Michel Sapin. Il est normal qu’un démocrate, socialiste et républicain, se préoccupe d’empêcher l’arrivée au pouvoir de partis dont les valeurs sont celles de la nation seule, de la célébration des gloires nationales seules, de la préservation quasi génétique des populations de la vieille France, de la méfiance envers toutes différences, du repli économique sur le territoire national et qui disent vouloir quitter le mécanisme communautaire. Mesurent-ils, peuvent-ils comprendre le formidable bond en avant que l’intégration européenne a fait effectuer à toutes nos nations depuis 70 ans ? Mais face aux différents problèmes de nos sociétés : chômage, pouvoir d’achat, sécurité, mouvements de populations vers l’Europe, éducation, la réponse aux programmes  dangereux des populistes ne peut venir que d’un couple franco-allemand conscient comme l’étaient Mitterrand et Kohl, De Gaulle et Adenauer, VGE et Schmidt qu’il est le seul moyen de faire vivre et prospérer plus de 500 millions d’Européens dans un monde qui peut très bien se passer d’eux.

François Beaudonnet : On a les populistes que l'on mérite. Ce ne sont pas les déclarations ou les postures allemandes qui génèrent la montée de ces partis, mais la situation économique, les élites en manque de crédibilité, le chômage…

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