La CDU et le PS sont-ils en train de venir à bout de 50 ans d’axe franco-allemand pour de tristes raisons de cuisine interne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La CDU et le PS menacent-ils l'axe franco-allemand ?
La CDU et le PS menacent-ils l'axe franco-allemand ?
©Reuters

Etat critique

La polémique Mélenchon-Merkel aura au moins eu le mérite de nous en apprendre davantage sur le caractère particulièrement friable du couple France-Allemagne, pourtant censé être le moteur de l'Union européenne. Et si les deux pays demeurent extrêmement liés, les dérapages incontrôlés de la part des politiques pourraient bien aboutir à une confrontation directe et lourde de conséquences.

Jakob Höber

Jakob Höber

Jakob Hoeber est chercheur associé en économie, compétitivité et modèles sociaux européens à l'Institut Thomas More.

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Jean-Luc Mélenchon n'a pas mâché ses mots à la suite d'une interview accordée par la chancelière allemande au quotidien conservateur "Die Welt", dans laquelle celle-ci déclare que “la Commission européenne a souligné que ce que la France et l'Italie ont mis sur la table est insuffisant. Je suis d'accord avec ça.". "Fermez-la Madame Merkel, la France est libre. Occupez-vous de vos pauvres et de vos équipements en ruine", a tweeté l'ancien leader du Front de Gauche.

Atlantico : Au travers de leurs déclarations, Angela Merkel et Jean-Luc Mélenchon étaient sûrs de rencontrer un écho favorable au sein de leurs bases électorales respectives. L'axe franco-allemand est-il mis en péril par des considérations électoralistes observables des deux côtés du Rhin ?

Jakob Hoeber : Angela Merkel a en effet déclaré que “La Commission européenne a souligné que ce que la France et l'Italie ont mis sur la table est insuffisant. Je suis d'accord avec ça." Il est étonnant que cette phrase fasse autant de bruit. Mais la pression sur les deux partis est assez grande, notamment en ce qui concerne l'essor des partis ayant un discours anti-européen – le FN en France et l'Alternative für Deutschland (L'Alternative pour l'Allemagne - AfD) en Allemagne. Bien que la situation ne soit pas la même pour les deux politiciens : Mme Merkel a une majorité confortable à la tête de son pays ; en revanche, M. Mélenchon et son parti n'ont pas su profiter de la faible popularité du PS.

Or, les différences d'opinion – mais aussi des intérêts – concernant la possible sortie de la crise ne mettent pas en péril la coopération entre les deux pays. Au niveau administratif, des liens ont été créé pendant les dernières 50 années. Dans les ambassades, entre les ministères et dans le monde culturel, des échanges continuent et souvent le personnel travaille depuis de longues années avec leurs homologues respectifs. Cette coopération supportera même une mésentente telle que celle qu'on constate aujourd'hui au niveau gouvernemental entre M. Hollande et Mme. Merkel. Si les politiciens ne sont pas toujours d'accord, l'administration a conscience de la nécessité de coopérer et de trouver des terrains d'entente.

Cependant, rien n'est irréversible. L'amitié franco-allemande paraissait être une chose impossible dans le temps de l'après-guerre, mais des choix politiques et les efforts de la société civile ont prouvé le contraire. La persistance des différences entre les gouvernements sur le long terme pourrait également être synonyme de la fin de cette coopération administrative. En même temps, la dénonciation du voisin qui a lieu les deux côtés du Rhin a créé une image défavorable de l'autre. Ce fait est renforcé par les ambitions des certains politiques qui cherchent à se profiler en public ou devant leur parti.

Voyant la polémique enfler, Angela Merkel a pris soin dans la journée de lundi 8 décembre de faire savoir qu'elle soutenait le plan d'économies de la France. Sous la pression d'une base électorale partisane de l'austérité sur le plan économique, et qui juge sévèrement le cas français, le jeu d'équilibriste auquel se livre la Chancelière est-il tenable ? Ne risque-t-elle pas de se retrouver condamnée à adopter une posture ouvertement critique vis-à-vis de la France ?

A ce moment, le dossier français n'occupe pas une grande place dans le quotidien politique allemand. Ceci se reflète dans l'agenda du sommet de la CDU, où les impôts seront au coeur du débat, et non les affaires européennes. Par ailleurs, le passage cité par Mélenchon ne prenait pas beaucoup de place dans l'interview dont l'accent était la politique avec la Russie et le Traité de Libre-Echange avec les Etats-Unis.

Cela ne veut en rien dire que la Chancelière aurait du mal à contrôler ses rangs en cas d'une nouvelle phase chaude de la crise. Un certain nombre de députés se voit menacé par l'essor de l'AfD, et le parti-frère en Bavière, la CDU continue avec son discours anti-européen. Or, la popularité de l'Alternative a souffert depuis les élections européennes. Beaucoup dépendra alors des élections à Hamburg en mi-février où le parti pourra faire sa première entrée dans un parlement en Allemagne-Ouest. Si l'AfD peut confirmer les bons résultats obtenus dans les Länder de l'ancienne RDA, on peut s'attendre à un ajustement de la politique d'Angela Merkel.

Le ministre des finances Michel Sapin a qualifié le message de Jean-Luc Mélenchon de "grossier, injurieux et imbécile". Mais face à la grogne de la gauche de la gauche et des "frondeurs" de son propre parti, le gouvernement est-il en mesure de contenir ses troupes ? A sa manière, le PS est-il lui aussi en train de menacer la pérennité de l'axe franco-allemand, et ce pour des raisons d'absence de cohésion ?

M. Sapin et Mme. Merkel ont conscience des enjeux dont les politiques sont confrontés dans leur parti respectif. On peut regretter qu'un discours anti- allemand et anti- français gagne de l'ampleur parmi les militants, et dans la population. Au final, les gouvernements savent qu'ils ont besoin l'un de l'autre, que se soit pour la stabilité de l'Europe ou bien pour avoir un poids politique et économique dans la construction d'un monde en changement rapide.

Cependant la mésentente empêche une avancée plus rapide sur certains dossiers importants, comme une harmonisation de la fiscalité ou un plan d'investissement cohérent pour toute l'Union Européenne. Or, l'avenir des deux pays et du continent dépend directement de la capacité de la France et de l'Allemagne à travailler ensemble.

L'Allemagne et la France ne peuvent se passer l'une de l'autre", entend-on souvent dans la bouche de nos politiques. Après 50 ans de construction communautaire, quelles seraient les conséquences d'une rupture officieuse entre les deux pays moteurs de l'UE ?

Le résultat serait la stagnation de l'intégration européenne – dans un temps où la maison est à moitié construite. Les conséquences ne se feront pas sentir à court terme, grâce aux liens établis entre les deux pays. Néanmoins, il sera difficile de continuer le projet européen sans au moins un accord principal entre les deux nations- moteurs que l'avenir se trouve ensemble dans une Europe unie. Cette stagnation ne permettra pas de résoudre les problèmes sous-jacents de l'Union : chômage des jeunes, sous- investissement dans certaines régions, concurrence entre les pays concernant de la taxation des entreprises, un marché d'énergie toujours trop régionalisé...la liste est encore longue.

Spéculer sur les conséquences d'un éclatement de la zone Euro est pourtant vain. On ne peut que prédire qu'elles ne seront pas belles : Fuite des capitaux, cessation de l’investissement et de la consommation, augmentation du chômage en flèche... Ayant conscience de ces scénarios, les gouvernements savent encore résister à la tentation d'une confrontation directe – malgré des désaccords qui peuvent exister. Or, ceux qui font parti du jeu politique : on peut bel et bien y voir un débat entre deux pays qui savent qu'ils ne peuvent se passer de l'autre.

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